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2 octobre 2013 3 02 /10 /octobre /2013 09:00

La solitude de l'écrivain

  (Sur une citation de Sylvie besson).

  3-copie-1

Gaston Bachelard

***

" Un homme solitaire, dans la gloire d'être seul, croit pouvoir dire ce qu'est la solitude. Mais à chacun sa solitude. Et le rêveur de solitude ne peut nous donner que quelques pages de cet album du clair obscur des solitudes. Pour moi, tout à la communion avec les images qui me sont offertes par les poètes, tout à la communion de la solitude des autres, je me fais seul avec les solitudes des autres.
Je me sens seul, profondément seul, avec la solitude d'un autre" ...

 

Gaston Bachelard

 " La flamme d'une chandelle"

*

 Ce thème de la solitude de l'écrivain est un des thèmes récurrents des essais consacrés à la littérature, de même qu'il constitue la trame réflexive de nombreux auteurs. Mais le problème qui se pose d'emblée est celui de savoir s'il existe une singularité de la solitude de l'écrivain ou bien si cette dernière n'est qu'une des déclinaisons particulières de cet état  commun qui étreint souvent les êtres au cours de leurs vies.

  Christian Bobin - ce magnifique écrivain contemporain à l'œuvre si originale -, déclarait lors d'une interview à "Psychologies.com", en Juillet 2009 :

  "Curieusement, ce sont quelques personnes, quelques rencontres, qui m’ont donné la solitude. C’est un don, qui m’a été fait. […] Vivre dans la solitude est un luxe, vivre dans le silence est un luxe. Je suis relié d’une façon qui serait difficile à exprimer. Une façon d’où viennent sans doute les livres, l’écriture. Oui… là, il y a sans doute un état paradoxal de la solitude telle que je peux l’éprouver."  - (C'est nous qui soulignons).

  Certes, la réponse contient sa charge d'étonnement, tellement nous nous attendions à une constatation dolente, à l'exposé d'un lourd et inévitable pathos dans lequel l'écrivain se fût réfugié afin de nous délivrer l'image conforme à sa supposée condition : celle d'une constante dramaturgie à laquelle faire face, genre de tribut à payer relativement à tout acte de création. "Don"; "luxe" par deux fois énoncé. Nous sommes invités à tutoyer "Luxe, calme et volupté" de Matisse alors que nous nous étions déjà disposés à entendre les sombres complaintes d'un Lautréamont ou bien à regarder les toiles cernées de finitude d'un Vincent sous le ciel d'Arles, par exemple "L'Autoportrait à l'oreille bandée", alors que la folie est déjà installée comme la dague d'une solitudeplantée dans une épiphanie dramatiquement atteinte.

  La position de Bobin : "Ma solitude est plus une grâce qu'une malédiction", ne signe pas cependant d'une manière radicale la légèreté de la solitude mais bien plutôt la pose comme une des conditions de possibilité de toute création. Comment, en effet, une œuvre pourrait-elle naître dans "le bruit et la fureur", au milieu des agitations mondaines, cernée des confluences étroites des habituelles contingences ? Certes l'on pourra argumenter que Sartre et Simone de Beauvoir affectionnaient le Café de Flore, lequel devenait le lieu de leur écriture :

 " Nous nous y installâmes complètement : de neuf heures du matin à midi, nous y travaillions, nous allions déjeuner, à deux heures nous y revenions et nous causions alors avec des amis que nous rencontrions jusqu'à huit heures. Après dîner, nous recevions les gens à qui nous avions donné rendez-vous. Cela peut vous sembler bizarre, mais nous étions au Flore chez nous. " - JP Sartre.

 Ce qu'il faut retenir de la dernière phrase de Sartre, c'est bien le : "nous étions au Flore chez nous", ce qui rend au célèbre Café, sa dimension hestiologique d'accueil, de foyer à partir duquel pouvoir faire naître une écriture. Car le tandem Jean-Paul/Simoneassumait sa solitude, faisant abstraction de l'environnement immédiat, sans doute à l'aune de cet admirable existentialisme portant à la révélation tout ce qui pouvait ressortir comme une des façons d'assumer sa propre liberté.

 Mais laissons Bachelard à sa solitude poétique seulement le temps  de comprendre de quoi elle est tissée. Souvenons-nous, simplement, que cet étonnant  prosateur aussi habile à traiter de l'imagination que du symbole ou de l'alchimie, était tout autant Philosophe que Poète. Et, soudain, nous nous sommes dotés d'une clé de compréhension insigne.

 "Nous ne savons rien de l'entretien du poète et du penseur qui habitent proches sur des monts éloignés…"   (Heidegger).

 Ici, c'est moins la proximité des deux disciplines, poétique et philosophique, que nous retiendrons que celle de la position commune sur des "monts éloignés". Cette belle métaphore nous incline à une soudaine verticalité. Nous sommes sur des "monts". Nous pensons à Montaigne : "Penser, c'est être à la recherche d'un promontoire" ; nous pensons à René Daumal et à son "Mont analogue",  à ce lieu éminemment symbolique inaccessible aux mortels, - seulement aux Poètes - nous pensons à ce redoublement de toutes les anciennes montagnes mythiques, Sinaï, Mont Meru, Olympe, alors que l'ineffable est en vue.  Mais comment pourrait-on être dans le voisinage des dieux, ces nervures de la pure transcendance, sans en partager l'étrange et immense solitude célestielle ? Car l'empyrée est cette démesure par laquelle l'homme tutoyant l'éther devient l'équivalent de la parole portée à son acmé, à savoir le dire poétique dans son essentialité.

  "Le poète est « l'entre-deux », celui dont le destin est de se tenir « entre les hommes et les dieux», et alors nous saisissons intuitivement ce que signifie ce délicat statut ontologique des "poètes […] (ces) demi-dieux destinaux, participant au mot divin, à la vérité originaire, et à l'être des mortels." 

  (Franck Darwiche - Le divin dans la philosophie de Martin Heidegger - L'art et la langue).

  Or, ici, nous saisissons bien l'essence de cet espace poétique, pur surgissement du verbe, langage porté à son flamboiement, profusion du dire dans le silence du monde, éclatement des mots dans les sphères de l'art. Ici est le lieu d'une immense solitude. Ici, plus d'agora où se rassembler en présence des autres Athéniens pour s'exercer aux vertus de la dialectique, plus de foule, plus de confluence humaine, seulement la place d'Hermès aux sandales ailées, le messager, le médiateur portant au regard du commun des mortels le chant poétique, la parole de l'origine, le breuvage auquel se ressourcer, la magique ambroisie. Tout acte essentiel, fût-il sacrifice, offrande aux dieux, acte liturgique, prière, méditation, contemplation s'abreuve à une même eau, à savoir celle d'un rapport sans détour, immédiat, au sacré, donc d'une relation dépouillée de ses artifices, des contacts avec le monde qui en altèreraient la pureté, autant dire l'exercice d'une voie solitaire. Identiquement à l'ermite, lequel, du haut de son météore s'adresse directement à son idole.

   C'est la condition même de Poète qui l'institue dans cette difficile position, qui l'exile au milieu des autres Existants, le pousse hors de sa patrie, selon la belle formule heideggérienne :

  "Le poète fait un voyage loin de sa patrie, ce même voyage de Hölderlin dans la pensée grecque, et revient, mais il ne rentre pas tout de suite chez lui."

(Franck Darwiche)

  Or tout voyage en direction de la patrie du langage est nécessairement solitaire. On n'entre pas dans l'espace de l'art comme on vient en compagnie de ses amis écouter un concert ou bien voir un spectacle. Le poèmeest toujours cette langue subtile, cette adresse sublime dont le Poète est le SEUL dépositaire. Les mots, il les confiera aux "pages de cet album du clair obscur des solitudes", se sentant seul "avec la solitude d'un autre", car pour le Poète, il y aura égale impossibilité à se relier aux dieux retirés dans leur ténébreuse réserve, aussi bien aux lecteurs, fragiles et tremblantes silhouettes que n'éclaire guère que " la flamme d'une chandelle", la poésieétant précisément cette lueur crépusculaire, cette teinte grise diagonale, ce passage d'un non-dit à un dit dans la majesté de la parole.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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