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2 août 2013 5 02 /08 /août /2013 09:59

 

  Vous aurez deviné, Henriette, on peut pas vraiment dire qu'elle est vraiment en phase avec Garcin. Faut dire, le Garcin, il est plutôt du genre mal équarri et il semble plus tenir à la complétude de sa bedaine qu'à l'incomplétude de ceux qu'il croise. C'est comme ça, Garcin, c'est pas le mauvais diable, mais il n'hésite jamais à jouer des coudes dans la fille d'attente de la primaire, à pousser un brin la viande des Mitoyens, de façon à piquer la place à côté du poêle qui ronfle alors que les giboulées font les malignes juste derrière le carreau.

  Oui, vous me direz que vous en connaissez plein des types du genre de Garcin, des pas-gênés-aux-entournures qui pensent qu'ils sont la Terre, le ciel et les étoiles. Ils sont comme des soleils avec le carrousel des planètes qui tourne autour et ça les empêche pas de mettre un pied devant l'autre.

  Des fois, Henriette, elle dit que tous les hommes sont comme ça. Des fois Jules dit que toutes les femmes sont comme ça. C'est étrange, tout de même, cette manie de se défiler dès l'instant où il s'agit de prendre le miroir et de trouver au milieu du tain brillant ses petites taches, ses petites éclaboussures, lesquelles sont là juste là pour nous dire nos insuffisances, nos manquements, nos obsessions mesquines et la vie qui tourne autour et qui n'en peut mais !

  Indulgence avec soi, exigence avec les Autres comme si ces derniers étaient de faibles et confondantes hypostases de notre propre royauté. Mais c'est tout simplement magnifique cette manière d'inconscience qui nous permet d'exister à l'économie, le cul posé sur les braises sans même en sentir la chaleur. Oh, souvent, il y a bien des inquiets, des atrabilaires, des métaphysiques qui viennent souffler sur les braises, juste histoire de voir si, au-dessus, brûle la flamme de la conscience. Mais heureusement pour chacun de nous, nous sommes des Subjectivités montées sur pattes, de minuscules volcans animés de l'intérieur et nous ne consentons à prendre acte des autres insularités qu'à projeter en leur direction, fleuves de lave, rigoles de feu, jets de lapillis et autres bombes volcaniques.

  Et, de cela, y a-t-il lieu  d'en prendre ombrage, d'aller en place de Grève, de dresser l'échafaud et de disposer sa tête sur le billot ? Mais alors nous ne serions que notre propre bourreau, nous mettrions fin à l'individu, pas à l'humanité, à ses travers, à ses marches de guingois. Car, voyez-vous, nous sommes comme les crabes. Nous ne consentons à sortir de notre abri de rocher qu'à aller sucer la moelle de l'Autre, le pauvre et innocent bernard-l'hermite qui traîne son existence derrière lui à la façon d'un obséquieux boulet. Mais, dans ceci, il n'y a rien de tragique, pour la seule raison que, tour à tour et collectivement, nous sommes tantôt crabes, tantôt bernard-l'hermite et nul ne songerait à s'en offusquer ! Et comme je suis, comme vous, une pure Subjectivité, je sais que vous pensez comme moi.

  En son temps, un type comme La Bruyère - quel nom délicieux tout de même pour dire aux arbres que nous sommes comment ils doivent pousser ! -, ce type donc, dans les "Caractères" dressait le portrait robot de l'humaine condition, avec justesse, nous inclinant à corriger nos défauts.  Mais c'est au délicieux Blaise Cendrars que nous laisserons le soin de conclure :

 

  "Sans l'appui de l'égoïsme, l'animal humain ne se serait jamais développé. L'égoïsme est la liane après laquelle les hommes se sont hissés hors des marais croupissants pour sortir de la jungle."

 

  Sans doute sommes-nous continuellement occupés à sortir de la jungle des comportements et sentiments humains. Mais qui donc consentira à lâcher la liane le premier ? 

 

 

 Garcin 

 

 

  "D'abord Garcin, j'ai envie de me le payer depuis longtemps, celui-là, c'est plutôt un drôle de type, on dirait qu'il est vraiment SEUL sur la Terre et d'ailleurs, quand il te croise dans la rue, le José, il te dit même pas bonjour, et il est comme chez lui et il occupe tout l'espace, faut dire, avec le bide qu'il a on voit pas comment il pourrait faire autrement, et son chien, son épagneul qui ressemble à une serpillière, il fait comme s'il le voyait pas quand il lève la patte et qu'il vient discrètement arroser ton thym et ton romarin, et si t'as le malheur de lui dire quelque chose, le Garcin il t'envoie sur les roses et il te dit que t'es qu'une râleuse et comme conversation c'est plutôt limité avec lui, quand il t'a raconté l'insurrection dans les Aurès, en 54, qu'il a dit "les Berbères", "La Kabylie", "Le FLN", "Ben Bella" et quand il t'a parlé du bled, des expéditions de représailles, des fouilles des indigènes, des types en djellaba qu'il poussait devant lui, mains sur la tête, du couscous avec lequel il buvait du Sidi Brahim, eh bien Garcin, il a plus rien à te dire, et c'est comme si l'outre s'était dégonflée, c'est comme s'il faisait du sur-place depuis qu'il avait eu vingt ans dans les Aurès, au moins, à cette époque-là, il devait être mieux physiquement, du moins je l'espère pour sa dulcinée."

  J'ai toussé un peu, j'ai bougé un chouïa devant le formica, mais ça n'a pas enrayé la tornade et Henriette elle a même monté d'un cran du côté de la véhémence-, et elle a rajouté :

  "Dire que ce pauvre Garcin a même pas été foutu de réussir le Concours pour entrer chez les Flics, faut quand même être con, c'est pas si compliqué que ça de vérifier les papiers d'identité et de faire passer les bagnoles au carrefour d'Ouche, surtout à l'époque, des bagnoles y en avait presque pas, juste les cars de Pierson ils circulaient dans les années 60 et puis, tiens, j'ai oublié un truc du côté de la politesse, quand Garcin il entre à la boulangerie, il passe devant tout le monde parce qu'il a, soi-disant, des médicaments à aller chercher pour sa Georgette qu'a toujours des migraines et nous, comme des connes, on le laisse passer et on râle juste après qu'il est sorti, parce que, autrement il en profiterait pour noyer le poisson et nous faire, une fois de plus, le coup des kabyles et, d'ailleurs, moi j'aime pas les sanguins."

  J'essaie de lui dire à Henriette  qu'y a pas vraiment de rapport entre les sanguins et les kabyles, mais elle poursuit :

  "Je les aime pas les sanguins, leur côté "bon vivant" qui te fait toujours passer pour une emmerdeuse et puis ils sont plutôt du genre décomplexés et un brin impudiques et, dès qu'il y a un rayon de soleil, tu le vois, le Garcin, déambuler dans les allées du square avec la bedaine à l'air, le short kaki comme du bon temps de l'Algérie et même c'est pas très ragoûtant toute cette bidoche qui s'expose façon étal de boucherie."

 

 

 

 

 

 

 

 

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