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9 mars 2014 7 09 /03 /mars /2014 10:36

 

Les Petits Ennuagés.

 

 

 NUAGES-N--9.JPG

Nuages N° 9.

Œuvre : Marc Bourlier.

 

 

 

   De la Terre, c'était tout juste si l'on apercevait les Nuages sur lesquels ils avaient décidé d'arrimer leurs existences : une petite mélodie boisée. Parfois, les jours de grand vent, c'était un branlant équilibre qui les signalait aux yeux des Zumains. C'était une absence de bras suspendue dans le bleu, comme épinglée aux nervures de l'espace. Parfois, c'était une culbute : cul par-dessus tête et l'on aurait cru un bouchon cloué en plein ciel. Parfois, c'était une tête vissée en haut d'un corps et cela ressemblait à une écharde d'ardoise perdue dans l'éternité. Mais les Zumains ne passaient pas leur temps à lorgner en direction des étoiles et, d'ailleurs, le torticolis, ils n'aimaient pas vraiment ça. Alors ils vaquaient à leurs occupations, ils vaquaient d'ailleurs sans arrêt, du matin que faisait naître le Soleil jusqu'au soir qu'allumait le croissant de la Lune.

  Et les Petits Ennuagés, qui étaient un brin rêveurs et non moins curieux de tout, passaient le plus clair de leur temps à observer ces braves Terriens qui allaient partout, sans bien savoir, peut-être, où et pourquoi. Cela faisait des meutes de bruits bizarres qui montaient à l'assaut des boules d'écume et même on aurait dit de gros bourdons en train de butiner quelque fleur de tournesol. Ils montaient, les Zumains,  dans d'étranges cubes de bois, en tous points semblables aux silhouettes courtes  des Petits Flottés et ils fonçaient à toute allure aux quatre coins de l'horizon en faisant de gros nuages gris comme la cendre. Des fois, ils entraient dans de hautes caisses avec plein de trous qui s'éclairaient, la nuit, et on ne voyait plus que leurs têtes ébouriffées penchées sur des carrés de lumière, avec des éclairs bleus. Il y avait, aussi, de bonnes odeurs, comme du jasmin ou bien du chèvrefeuille qui montait vers eux, les Nuageux,  avec plein de tourbillons et ça leur faisait tourner la tête. Ça, les odeurs comme des caresses, c'étaient les Zumaines qui les portaient en haut le leurs silhouettes avec des chapeaux larges comme des roues.

  Il paraît que ce tournis qui chavirait leur petite éclisse de bois, ça s'appelait "Amour" et alors, parfois, sur la courbe de nacre d'un nuage l'on voyait deux Petits Ennuagésun Tenon & une Mortaise se prêter serment pour la vie. Mais n'allez pas penser à de vilaines choses, ici, sur les pelotes de vapeur, parmi les vents alizés, on ne s'occupe que de se frotter le bout du nez. D'abord parce que c'est comme cela que l'on dit "Je t'aime" et puis, des fois, ça réchauffe le cœur de faire un peu de sciure juste pour chatouiller les plumes d'un oiseau. Parce que des oiseaux, des blancs mais aussi certains en couleurs, on est amis avec, vu que ce sont eux qui nous font visiter le Pays des Nuages. Et c'est beau ce Pays. C'est plein de murmures jolis avec des toboggans de brume et, certains jours, c'est à peine si on voit le Boisé d'à-côté. Mais ça ne fait rien, on sait qu'il est là. Ça se sent même quand on dort. C'est un murmure. Vous savez, au fin fond de nos fibres, il y a encore plein de musique. De musique du temps où on était arbres. Des coulées de vent comme des sources vives. Des remontées de sève et cela fait comme la caresse de la flûte de Pan. Des crissements d'écorce et on dirait un grand animal qui s'ébroue. Dans le genre d'un rhinocéros qui frotterait son cuir histoire de nous dire qu'il existe, qu'on peut compter sur lui des fois qu'on aurait des ennuis. Et puis, aussi, le glissement du lierre comme un collier d'eau qui voudrait gagner le ciel.

  Autrefois, il y a très longtemps, les Zumains n'étaient pas encore nés, on était de tout jeunes arbres pas plus grands que des caprices et on jouait dans notre clairière à plein de jeux simples comme le jour. A saute-chênes, à attrape-olivier, au-dernier-perché-aura-un-gland et une tresse d'eucalyptus. D'ailleurs, avec les capsules d'eucalyptus, on se faisait des colliers en regardant les vagues de la mer faire leur mousse blanche. Puis, un jour, alors qu'on faisait la sieste, on a entendu des bruits bizarres. On n'était pas habitués. A part le vent et les hululements du hibou, on ne connaissait pas d'autre langage. Alors quand on a entendu Adam faire la cour à Ève avec plein de roucoulements et des vols de plume, d'abord on a eu peur. Puis, on s'est vite aperçus que ces Zumains n'étaient pas dangereux. Ils cherchaient notre ombre et nos fourches pour s'y reposer. Puis beaucoup de temps a passé et on a grandi, même on est devenus presque des géants. Et les Zumains aussi avaient grandi. Il y en avait partout qui couraient sur le dos des collines et dans les échancrures des vallées. C'était plutôt joli à entendre le bruit des paroles et les chants, le soir, comme des berceuses avec des palmes et du duvet plein d'air. Mais, un jour, on ne sait pas pourquoi, peut-être pour fabriquer leurs premières huttes de bois, des Hommes sont arrivés avec des lames brillantes et des dents de scie et, bientôt, on a entendu les premières plaintes monter au-dessus de la clairière. Certains ont essayé de s'enfuir parmi le Peuple des arbres mais avec les racines enfoncées dans la terre ce n'était pas facile et les outils nous ont vite rattrapés. On avait beau esquiver, on recevait des coups et nos corps se fissuraient, nos écorces jonchaient le sol. Alors, à quelques uns, on a décidé de faire silence, de demeurer sans bouger et d'attendre que l'orage passe. Les Zumains, ce qu'ils voulaient, c'étaient des grosses branches pour en faire des poutres. Les éclisses, les échardes, les chutes d'écorce, ils ne les regardaient même pas.

  Alors on s'est tenus tranquilles, attendant que la pluie arrive. Il y a eu des ruisseaux, on flottait dedans en attendant la prochaine averse. Les gouttes qui tombaient étaient larges comme des feuilles et les traits de pluie faisaient leurs aiguilles de cristal qui partaient dans tous les sens. Certaines remontaient en direction des nuages qu'elles avaient quittés il y a peu de temps. On ne sait pas comment cela s'est fait, mais, soudain, on s'est sentis soulevés dans les airs, comme emportés sur les ailes d'un oiseau. Il y a eu une nuit, puis un jour, puis plein de jours encore et quand nos yeux - on ne savait pas d'où ils venaient -, se sont ouverts, on a vu plein d'autres Boisés qui avaient fait le voyage avec nous. On était devenus des "Zumains", mais de bois, placides, ne cherchant de querelle à personne. Cela fait longtemps, maintenant, que nous habitons les nuages. Les nuages se sont habitués à nous, les oiseaux aussi qui nous apportent plein de graines bonnes à manger. Depuis nos balcons d'écume nous regardons la Terre. Nous voyons le dessin des routes. Nous voyons les lignes bleues des rivières. Nous voyons la grande flaque de la mer avec ses côtes brunes comme l'écorce des pins. Nous voyons les Zumains. Nous leur faisons des signes avec les mains que nous n'avons pas encore. Mais jamais ils ne regardent le ciel et on ne sait même pas s'ils ont des yeux, s'ils rêvent, à quoi ils pensent. Nousles Petits Ennuagés, depuis notre terre de brume nous regardons les étoiles, le lever du Soleil, la course de la Lune, le vol gris des oiseaux, les ailes du vent, les flocons de l'air et nous pensons aux Hommes. Nous pensons à Adam & Ève, eux qui étaient si bien au milieu de nos feuillages avec plein de trouées de soleil et des chansons de vent. Les Zumains, vraiment on les plaint. C'est si bien d'habiter les nuages et d'être de simples Petits Boisés. Vous en pensez quoi, vous qui lisez notre histoire ? Si cela vous chante, on vous fera un peu de place. Vous verrez, c'est si accueillant les nuages. Et puis, si un jour vous vous ennuyez, eh bien vous profiterez d'une bonne pluie et vous retournerez sur Terre rejoindre vos anciens Compagnons. Mais, vous voyez, quand vous y aurez goûté à notre vie simple et douce, vous n'aurez pas le cœur à redescendre au milieu des vôtres. Vous n'aurez pas le cœur. On vous fait une petite place. Là, juste contre notre âme. Parce que, peut-être vous ne le savez pas, mais le bois ça a une âme. Et cela, l'âme, ça ne se refuse pas !

 

 

 

 

 

 

 

 

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