(1786)
L’An deux mille quatre cent quarante
Epître dédicatoire et Avant-propos
AVANT-PROPOS
Désirer que tout soit bien est le vœu du philosophe. J’entends par ce mot, dont on a sans doute abusé, l’être vertueux et sensible qui veut le bonheur général, parce qu’il a des idées précises d’ordre et d’harmonie. Le mal fatigue les regards du sage, il s’en plaint ; on soupçonne qu’il a de l’humeur ; on a tort. Le sage sait que le mal abonde sur la terre ; mais en même tems il a toujours présente à l’esprit cette perfection si belle et si touchante, qui peut et qui doit même être l’ouvrage de l’homme raisonnable.
En effet, pourquoi nous seroit-il défendu d’espérer qu’après avoir décrit ce cercle extravagant de sottises autour duquel l’égarent ses passions, l’homme ennuyé reviendra à la lumière pure de l’entendement ? Pourquoi le genre humain ne seroit-il pas semblable à l’individu ? Emporté, violent, étourdi dans son jeune âge ; sage, doux, modéré dans sa vieillesse. L’homme qui pense ainsi, s’impose à lui-même le devoir d’être juste.
Mais savons-nous ce que c’est que perfection ? Peut-elle être le partage d’un être foible et borné ? Ce grand secret n’est-il pas caché sous celui de la vie ? Et ne faudra-t-il pas dépouiller notre vêtement mortel pour percer cette sublime énigme ?
En attendant tâchons de rendre les choses passables, ou, si c’est encore trop, rêvons du moins qu’elles le sont. Pour moi, concentré avec Platon, je rêve comme lui. Ô mes chers concitoyens ! Vous que j’ai vu gémir si fréquemment sur cette foule d’abus dont on est las de se plaindre, quand verrons-nous nos grands projets, quand verrons-nous nos songes se réaliser ! Dormir, voilà donc notre félicité.