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17 novembre 2015 2 17 /11 /novembre /2015 14:55

 

NOIRE IDOLE

 

Nativeemotions [1600x1200]

                         Source :   Nativeemotions photography.  

 

  L'heure est venue de convoquer la Noire Idole. Pour oublier. Comme on boit un long verre d'absinthe. Dans la pièce où rôde une généreuse pénombre, la voilà qui surgit. A peine un effleurement du temps, une fragilité de l'espace. Un modelé lissé par l'heure crépusculaire. Le corps n'est pas dans son entièreté. Il n'est qu'une esquisse, un tremblement, une fuite à peine retenue. Si près du glacis de l'obsidienne, tellement semblable au tracé du fusain, au trait  entr'aperçu de l'estompe. Ce qui, encore, la rend plus désirable. Déjà on sait la volupté, déjà on sait le rêve, déjà la sublime affliction entraînant par delà les rites ordinaires.

  Sur le corps de nuit, le corps de basalte, glisse uniment la douce lumière. Comme pour dire l'étrangeté, la distance, mais aussi le gué à franchir pour ailleurs. Rester à la frontière se confondrait avec l'étroit destin du supplicié. Dans l'intervalle il reste à s'installer dans la contemplation. Mais quelle est donc cette pluie ruisselant sur la terre de la sculpture humaine ? Seraient-ce des larmes préparatoires à une joute sacrificielle ? Ou bien une source claire à laquelle s'abreuver longuement ? Ou bien la persistance d'un mirage ?

  Peu importe. Nous aimons à nous interroger, à demeurer sur le seuil tant que la tension se résoudra à ne pas nous détruire. Et cette pliure de la lumière selon courbes, dolines et dépressions est-elle la projection à même la peau saturée d'envie des Pléiades, de Cassiopée ou la Chevelure de Bérénice ? Cette clarté nous la vivons de l'intérieur et, dans l'espace urgent de nos anatomies, cela fait de grandes flammes blanches, des langues de feu, des gerbes d'ivresses. Silène est tout près qui veille à nos soporifiques pensées. Car nous ne saurions rester éveiller qu'à risquer notre perte. Nous sommes à la lisière, encore dans la clairière laiteuse du doute, souhaitant la percée en même temps que nous la redoutons. Il y a danger à demeurer, à stagner dans le marais des sentiments troubles, dans l'irrésolution. Nous sommes attirés par le geste même de cette main androgyne qui fait ses effleurements sur la hanche en forme de dune. Ovale parfait des ongles. De brillantes lunules s'y allument, invites à se saisir d'une autre démesure.

  En nous, alors que la nuit est entrée dans  son encre profonde, commence la longue impatience, la délicate métamorphose. Attente, nous sommes, d'un outre-noir, d'un au-delà du corps qui nous fait face en son énigme. C'est du pur surgissement que nous espérons le salut. Cela vient, par ondes successives, cela s'invagine dans le moindre de nos abîmes, cela colonise notre urticante peau. Cela a trait aux abysses, aux yeux globuleux des baudroies, aux dépliements des algues, mais aussi aux flux tempétueux lors des hautes eaux. Nous le sentons. Nous atteignons notre solstice, juste avant le basculement. Myriades de traits qui fusent dans les remous de notre cortex. Etoiles filantes, queues de comètes, gerbes ultimes. Nous sommes bousculés, l'étui de notre épiderme se retourne comme la calotte du poulpe, nos membres sont livrés aux flagelles de la pieuvre.

  Nous existons en-dehors de nous, en plein ciel alors que de hautes vagues mescaliniennes, rythmes pressés de traits et de points, habitent la pointe de notre chiasma, juste en arrière de nos yeux. Depuis nos racines mortelles montent des cascades de phosphènes, nos nerfs s'étoilent en longs rhizomes étincelants, en ténus fils d'Ariane, notre sang se gonfle de bulles carmin, nos alvéoles sont des chambres livrées au bouillonnement du magma, nos mains parkinsoniennes avancent à l'aveugle, cherchent, cherchent, la paroi est proche, nous en sentons la lourdeur pariétale longuement parcourue de signes, le danger aussi est tapi dans l'ombre qui pourrait nous réduire à néant.

  Nos yeux soudés se décillent soudain, pupilles dilatées jusqu'à la mydriase. Il n'y a plus de nuit, plus de pénombre où réfugier sa peur. Seulement un éblouissement. Ça y est, nous sommes enfin de l'autre côté de la Noire Idole, sur sa face de clarté. La blancheur est rayonnante, les chaos d'écume roulent leurs anneaux, la mousse est aérienne, les bulles fusantes, les corpuscules serrés comme le grain d'un fruit très précieux. Nous commençons à voir, à exister alors que, devant nous, l'amphore féminine, le violoncelle sublime est là, debout dans sa certitude, silhouette à contre-jour, ourlée de réalité. Là-bas, plus loin, est l'air crépusculaire sur le seuil duquel, jusqu'à maintenant, nous nous tenions. Il fait ses confluences nocturnes, comme un appel au ressourcement. Nous le rejoindrons bientôt. Mais, d'abord, livrons nos sclérotiques de porcelaine à l'émerveillement. Les courbes sont parfaites. Depuis la conque du bassin en passant par la pure courbure des hanches, le creux adouci des reins, le col de cygne des épaules, la longue déclivité de la nuque. Là, à la racine de la sensation, sur le plein et le délié de l'Existante, de la Noire Idole, en lettres de feu et de braise, l'ultime scarification qui gonfle la peau : OPIUM

 

 

 

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