Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
20 novembre 2012 2 20 /11 /novembre /2012 16:53

 

PERPETUUM MOBILE (2)

 

 Oui, Cécile, t’as raison, je crois qu’on va un peu attendre, on sait jamais, les Mobiles de 5° génération on aura même pas à les acheter, on aura même pas à se les faire greffer sur l’os temporal, on les aura directement dans la tête, il suffira de penser et tous tes amis, les nouveaux et les anciens, tes concitoyens, même ceux qui sont en dehors des frontières, tous les Blancs, les Jaunes, les Métis, les Siamois, tous les habitants de la Terre, tu les auras dans le creux de ton oreille, les Abyssiniens, les Afghans du fond de leurs grottes souterraines bourrées de TNT ; les Congolais de la forêt équatoriale, les Australiens et les Malgaches du bush ; les Amazoniens tapis au creux des mangroves, les Altaïques turcs, mongols et toungouses ; les Arcadiens du Péloponnèse ; les Arméniens de la diaspora, tous les échappés des grands génocides ; tu vibreras aux sons des dialectes des Bavarois et des Tyroliens ; les habitants du Béloutchistan te raconteront les merveilles de la civilisation de l’Indus ; tu écouteras le bengali venu du lointain Bangladesh ; le bolivien et le bosniaque ; le cafre du peuple Bantou ; les hottentots ; les Bochimans à la peau claire, à la petite taille te parleront de leur exode jusqu’au désert du Kalahari ; tes tympans vibreront aux rythmes de la musique arabe venue de Cordoue et de Grenade ; tu seras traversée des voix des Castillans, des Chypriotes, des Dalmates ; tu entendras parfois le gaëlique venu d’Ecosse, le son aigrelet des cornemuses que rythment les rapides tambourins ; tu danseras sur l’air de la sardane ponctuée des sons des cinglantes coblas ; tu seras entourée de tous les langages, du finnois, du flamand, du galicien aux accents portugais qui te fera penser au nostalgique fado ; tu entendras le yupik et l’inupik modulés par les voix graves des Eskimos ; le créole haïtien au parfum de rhum et de papaye ; le cocktail anglo-polynésien des Bichlamars du Vanuatu ; les paroles bibliques des Iduméens qui auront traversé l’espace et le temps ; le bavonjajour des Javanais ; le tamazight rocailleux des Berbères ; le laconien parlé à Sparte ; le caucasique, le cherokee des Indiens Iroquois ; l’afrikaner des Boers ; le pali répandant le canon bouddhique au Sri Lanka et en Birmanie ; le syriaque et l’araméen des peuples sémitiques ; le sanskrit védique des textes sacrés des véda et des brahmana ; oui, Cécile, avec ton Mobile de 5° génération, oui, c’est ça, celui qui ne s’arrête vraiment jamais, qui ne connaît aucun repos, qui existe peut-être depuis toujours et existera de toute éternité, bien après que la terre aura cessé de tourner, épuisée par la vanité et l’inconscience des hommes, eh bien sur ton Méga-Génial-Mobile, tu les entendras toutes ces langues anciennes dont le nom est si beau car le langage de ta minuscule machine est universel, il transcende les peuples et les frontières, il transcende le temps, il transcende l’Histoire et tu pourras, seulement en pensant, écouter le chant yiddish des Klezmers d’Europe de l’est, ce chant aux voix cuivrées qui vient de très loin, d’avant l’holocauste et qui, bientôt, disparaîtra faute de mémoire ; le malais aussi te parviendra, venu des rizières en terrasse de Singapour ; de l’île Obi Latu en Indonésie partiront en ta direction les cris sinistres de la purification ethnique et religieuse des Moluques en fuite vers les Célèbes, oui, Cécile, c’est atroce mais c’est ainsi, le Grand Communicateur du XXI° siècle n’épargne rien ni personne, il ne veut dire que la vérité, celle de la beauté mais aussi celle de la peur, de la haine, de la soumission, de la torture et c’est pour cette raison que ton cortex sera continuellement bombardé, assailli, par exemple par les cris des fillettes excisées dans les huttes de branches et de boue du Mali ; par les plaintes muettes des mariages forcés dans les tribus archaïques d’Afrique Noire ; par les mélopées des esclaves noirs dans les plantations de café brésiliennes ; par les rumeurs du peuple des favelas de Rio de Janeiro ; par la douleur démesurée qui suinte par tous les pores de ses cabanes de planches et de goudron, de ses ornières où croupit l’eau saturée de soleil ; par les chants des réfugiés tibétains au Népal ; par les cris des hordes Hutus lancées à la poursuite sanglante du peuple Tutsi et de son demi-million de morts ; par l’insupportable silence des léproseries où les nodules gonflent sournoisement sous la peau, où le visage devient difforme et léonin, où les cartilages s’effondrent sans bruit, où la bouche n’articule plus qu’une absence de sons comme une longue plainte malade d’elle-même ; par la longue dérive des Noirs exclus par l’apartheid des anciens immigrants hollandais qui, dans leurs églises calvinistes, puisaient dans la Bible leurs arguments en faveur de la ségrégation raciale ; oui, Cécile, ce monde est MOBILE, extrêmement MOBILE, perpétuellement MOBILE et il y a tout autour de la terre cette immense toile d’araignée qui, par le fait de notre seule volonté, peut se transporter en tous lieux en abolissant le temps et il y a partout, sur les sommets des immeubles de béton, des collines, des gratte-ciels de New-York et de Hong-Kong, de hautes tours d’acier pourvues de larges disques de métal, grandes oreilles écoutant la rumeur des villes et des peuples, grands yeux qui scrutent sans cesse les mouvements, les déplacements, les translations, et nous sommes vraiment comme l’araignée arrimée à sa toile et nous vibrons à chaque vibration et nous souffrons à chaque souffrance mais nous n’en sommes guère conscients et nous nous réjouissons aux bonnes nouvelles mais, comme des enfants gâtés, nous ne sommes jamais rassasiés et nous demandons encore et encore et quand notre vision commence à être saturée des spectacles de guerres, d’horreur, d’apocalypse, nous détournons nos oreilles et nos yeux, nous orientons nos Mobiles vers des images sereines, des sons semblables à des louanges et dès lors plus rien ne peut nous détourner de notre conviction et de nos désirs et ce monde tellement mobile se peuple de vertus paradisiaques semblables aux peintures joyeuses de Gauguin dans les îles du côté de Papeete ou de Mataïea et nous ouvrons toute grande notre conscience aux humeurs festives et les clameurs de la fête couvrent bientôt les plaintes des gueux et des sans-logis, des exploités, des prostituées, des hôpitaux où l’on meurt à chaque seconde avec des tuyaux qui colonisent le nez et la bouche, des galeries des mines où les Gueules Noires tombent sous les coups de grisou, des loqueteux exploités par les propriétaires des filons d’or dans les sombres corridors des forêts amazoniennes et alors il n’y a plus que les bruits lumineux, les paillettes et le strass dans des tavernes éclairées de rouge ; les bruits étouffés des bouchons dorés qui s’extraient des bouteilles vertes où perlent les gouttes d’eau comme autant d’infimes diamants ; les bruits de glissement de yachts milliardaires sur les eaux bleues des lagons ; les bruits de l’amour dans les chambres somptueuses de Las Vegas ; ceux très onctueux et voilés des palaces où l’on parle en chuchotant ; ceux des tapis verts où s’amassent les dollars ; les paroles des croupiers comme des vérités ultimes ; le langage de la Bourseoù l’argent virtuel coule dans d’étranges vases communicants, toujours les mêmes ; ceux des Banquiers qui thésaurisent pour le plus grand bien de l’humanité ; ceux du show-biz qui consacre l’une de ses précieuses soirées à une cause humanitaire ; ceux encore des culs-bénits bien-pensants qui comptent leurs sous entre deux Pater-Noster et deux Ave Maria ; ceux qui écrasent de leurs luxueuses limousines les pieds des mendiants qui traînent le long des caniveaux ; ceux, très pommadés, des Agences de cosmétiques qui prennent votre argent parce que cela va de soi ; ceux qui animent les cercles des sociétés secrètes et autres sectes où l’on manipule, où l’on contraint, où l’on décérèbre et éviscère, où les adeptes ne sont plus guère qu’un sac d’os entouré de peaux converties et serviles, oui, tous tes amis je dis bien Cécile, dès que tu penseras, ils entendront ton message et ils pourront à leur tour te répondre.

 

                                                                                                                          A suivre...

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : ÉCRITURE & Cie
  • : Littérature - Philosophie - Art - Photographie - Nouvelles - Essais
  • Contact

Rechercher