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2 février 2014 7 02 /02 /février /2014 09:36

 

Théorie du secret.

 

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 "Mille et trois souffles d'écorce ou la dernière forêt…"

 Œuvre : Jephan De Villiers.

 

  A peine aperçu et ce Petit Peuple d'Écorces nous interpelle. Comment pourrait-il en être autrement ? Soudain, nous sommes arrachés à nos préoccupations mondaines et transportés au-delà des contingences vers une terre de l'imaginaire. Nous ne le savions pas, mais ces fragiles Personnages de bois nous hantent depuis la nuit des temps. Ils sont là, cachés au creux d'un buisson, près du cercle lumineux de la clairière, adossés à un chêne à la majestueuse ramure ou bien dans le clair-obscur d'une résille de pin, attendant la marche vers leur destin. Ils sont des guetteurs de l'infini que leur mince statuaire dispose à l'oubli. Ils sont tellement inapparents que nous n'y prenons garde et nos pieds hasardeux butent souvent dans leur modestie de fibre sans que nous nous en apercevions. Et, pourtant, nous eussions été bien inspirés de les prendre en considération plutôt que de les confier aux feuilles étroites de l'oubli. Car ces Modestes sont porteurs d'un secret tellement lié à notre propre destinée que nous aurions dû le percevoir au moindre bruissement de la forêt, au minuscule  passage de l'oiseau à contre-jour des feuillaisons. Mais nous sommes distraits et demeurons volontiers dissimulés dans notre conque germinale pareils à des Existants en voie d'éclosion.

  Et puis, le Petit Peuple, il faut le dire, n'éveille guère l'attention des humains. Depuis leur taille d'environ cinq pouces de haut - les Lilliputiens, pour mémoire, en mesurent six -, ils passent inaperçus, simples flottements sur le bord ombreux de quelque rivière. Ils sont tellement discrets, on ne les entend guère sauf le froissement d'une brume qui s'élèverait de l'onde, sauf le glissement de la fourmi porteuse de brindille. Ce qui les rend précieux c'est précisément cette inscription dans l'inapparent. La libellule touche notre cœur à seulement imprimer dans l'air sa trace de cristal.

  Mais comment donc les avons-nous découverts ? Leur venue au monde s'est faite dans une telle ingénuité, un simple grésillement d'élytres, un faible rythme de tamtam sur le sol de poussière, la fuite du vent le long du sentier semé d'herbe et de minces graviers. La nuit était venue dans sa vêture d'obsidienne, lame longue se confiant à la rumeur des étoiles. Bien des Vivants, déjà, avaient confié leur hasardeux destin aux coussins de plume et le bruit du monde était pareil au glissement de l'eau. Quelques AttentifsNoctambules impénitents, Astronomes dans leur sphère savante, Gardiens de phares, Écrivains penchés sur leurs manuscrits d'encre avaient été alertés par ce qui ressemblait à un frottement, un mince raclement se produisant sur l'écorce d'argile où vivaient les hommes. Alors, tous ces Veilleurs de l'impossible avaient, un instant, déserté leurs lunettes, leurs lentilles blanches, leurs plaines de papier et avaient ouvert leurs yeux sur l'événement qui parcourait la Terre de sa douce insistance. Et voilà ce qui s'était dévoilé à leurs yeux incrédules :

  Toute une théorie de menues Écorces, toute une pléthore d'éclisses de bois marchaient en caravane dense sur les chemins du monde, comme attirés, aimantés par on ne sait quelle force mystérieuse, abritant dans leur houle de branches un char démesuré, hautes roues cerclées de fer, lit de rameaux sur lequel reposait une dalle de bois nervurée surmontée d'un objet aussi étrange qu'insolite, lequel faisait penser à une grande coque de noix cerclée de cordes serrées. Même l'imaginaire le plus fécond - ce dont les Voyeurs n'étaient pas dépourvus, loin s'en fallait -, même l'inclination à l'invention demeuraient le souffle court et l'on ne formulait guère d'hypothèses au sujet de cette singulière ethnie. Dévisager suffisait. Rêver s'imposait. Être dans le silence s'illustrait comme la seule initiative envisageable. Ce qui était le plus étonnant, c'était la force silencieuse dont semblaient être pourvues ces menues Esquisses, leur volonté apparemment intangible d'atteindre quelque but, leur résolution de porter à son terme un projet réel, bien qu'illisible pour Ceux qui s'essayaient à en déchiffrer le confondant hiéroglyphe. Leur progression, quoique lente - elle faisait penser à une procession en direction de quelque idole -, se déroulait avec une belle constance, visiblement guidée par une pure lumière dont on ne pouvait savoir l'origine (Brillante Étoile, Icône boisée, Gemme translucide ?), les Petits Personnages au visage blafard faisant penser aux Moaïs de l'Île de Pâques, stèles mystérieuses toisant l'infini. Ils en étaient la minuscule représentation symbolique, leurs faces épatées semblant témoigner d'une identique interrogation du monde étrange qui leur faisait face. Et la démesure du char qu'ils entouraient de leur multitude pressée amplifiait encore l'impression de cérémonie possiblement initiatique ou bien de rituel crypté.

  Mais toutes les supputations des Veilleurs de nuit, pour savantes qu'elles fussent, ne cernaient la vérité de ce Petit Peuple que dans un genre d'approximation en tous points semblables aux plans que pouvaient tirer sur la comète les premiers découvreurs d'une terre vierge. Ce que les Distraits terriens ne savaient pas, c'est que cette procession incompréhensible à leurs yeux n'était que la résultante de leurs propres comportements ainsi que de leurs coreligionnaires, lesquels avaient foulé la Terre sans souci de la préserver des atteintes et des blessures qui, toujours, finissent par précipiter l'essence des choses dans des abîmes dont nul peut se relever à moins qu'un miracle ne se produise. Ce que transportaient les Minuscules consciences boisées n'était rien d'autre que ce qu'elles avaient pu sauver qui, encore, n'avait pas subi d'atteintes irréversibles et dont ils pensaient qu'il leur appartenait de les mettre en sécurité, quelque part sur un Mont éloigné de la curiosité des Erratiques. C'était donc un bien précieux, le plus précieux de tous, de minuscules rejetons de la Nature qu'il s'agissait de préserver de toute prédation, de toute dégradation. Comme une "toison d'or", un présent divin  à faire aux hommes, une garantie d'une possible immortalité, le royaume d'une sagesse infinie par laquelle continuer à rayonner, à doter le monde de ce Bien qu'ils cherchaient depuis toujours, à défaut de pouvoir s'en saisir.

  Dans la coque de noix refermée sur elle-même afin que le trésor soit préservé, transmissible aux générations futures, dans de menus écrins pareils à de la soie, l'on pouvait trouver : des copeaux de nuages pareils à des éclats de neige; des limailles d'étoiles, des vrilles de lumière, des queues de comètes, de fins cheveux de cascades, des perles de rosée, de longs fils de la vierge, des paillettes de glace translucide, des ailes ajourées de Nacrés de la ronce, des antennes volubiles de Zygènes cendrées, des broderies de brume, des dentelles de pluie, des rémiges d'air, des voilures de sternes, des aiguilles d'oursins, des vols de colibris, des yeux mobiles de caméléons, des clapotis de fontaine, des étoiles de mousse, des barbes de lichen, des crosses de fougères, quantité de graines, des sons de flûte, des glacis de lacs, des processions de moraines, des écailles de bois, des cris d'enfants joyeux, des farandoles, des tintements de comptines, des écritures, des sautillements d'araignées d'eau, des coulures de vent, des chutes de frondaisons, des levers de soleil, des aubes grises, des nuits de mercure, des sabliers intemporels, des jours immobiles, des trilles de secondes, des sarabandes de minutes, des échos de dunes, des balancements de palmiers et encore plein de choses cachées depuis toujours au regard des hommes alors que leurs yeux étaient  plein de merveilles mais qu'ils ne le savaient pas !

  Les soirs de pleine Lune, disposez-vous derrière votre fenêtre, ne faites aucun bruit et ouvrez vox yeux sur le miracle du monde. Vous les apercevrez sans doute ces Petits Écorcés faisant leur bruit de cigale alors qu'au-dessus de leur innocent cheminement les étoiles les observent avec toute la bienveillance qui sied aux rituels sacrés. Car c'est bien un itinéraire de cette nature qu'ils accomplissent afin de nous dire la nécessité de chaque chose que nous négligeons parfois de considérer avec la bienveillance qui sied à l'inapparent. Le chiffre du monde est aussi bien dans l'écorce qui flotte entre deux eaux que dans la chute de la feuille  sur le sol d'automne, que dans l'œuvre d'art qui tient son langage dans la pure beauté. Aussi bien en nous. Le secret est seulement à contempler : c'est de cette manière qu'il s'ouvre et rayonne dans l'espace et le temps : son aire de jeu infini.

 

 

 

 

 

 

 

    

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