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21 mars 2014 5 21 /03 /mars /2014 09:48

 

 

 

Une écriture hyperbolique.

 

 

ueh.JPG 

 Source : Planète Gaia.


 

 

   L'on peut avoir beaucoup marché et ne pas connaître le chemin. L'on peut avoir beaucoup lu et ne pas connaître le livre. L'on peut avoir beaucoup peint et ne pas connaître la peinture. Et ceci ne sonne nullement comme une condamnation à l'encontre de l'homme. C'est seulement la nature des choses que de toujours se situer dans une approximation, comme si l'on marchait sur l'aire courbe d'une sphère, refusant d'en connaître le centre, la plénitude, l'étonnante densité. Juste une dérive hasardeuse à la périphérie, alors que l'inquiétude même sourd, juste au-dessous de la translation distraite de son objet. Un effleurement, une brise, une approche dans l'indistinction de ce qui voudrait se donner à connaître mais échoue le plus souvent, le Sujet plié en lui-même refusant, par nature, de se soumettre à une exploration de ce qui le constitue et le porte au regard du monde. Car l'inquiétude ci-dessus nommée est inquiétude d'exister, il n'y en a pas d'autre ou, lorsque nous croyons en repérer une forme différente, ce n'est, en réalité, qu'une hypostase de cette Angoisse Majuscule qui habite le Dasein en son entier et maintient sa voilure debout. L'aventure qui nous porte au-delà de nous-mêmes, il la faut décisionnelle, intentionnelle, il faut vouloir avec la force du désir. Faute de cela le chemin se ferme, le livre échoue, la peinture s'écaille.

  L'on peut avoir beaucoup écrit et ne pas être entré dans l'orbe des significations. Écrire n'est jamais simplement tracer des signes sur l'espace de la feuille blanche. Plus que l'encre qui s'y projette, c'est la substance même dont nous sommes tissés qui s'imprime dans le filigrane et fait du texte ce sens à lui-même alloué, d'abord, ensuite faveur et don pour Celui qui écrit, ensuite offrande à CeuxCelles qui le recevront et le disposeront là où les choses s'éclairent, sur la pointe extrême de la conscience. Il n'y a pas d'autre voie, pour l'écriture, que cette "porte étroite" par laquelle se laisse voir l'essence du réel. Notre monde contemporain dont la modernité n'est pas la moindre fierté a réussi le tour de force ontologique de cliver l'être, de le déposer selon deux perspectives opposées, générant par là même le lieu d'une abrupte dialectique. Comme deux plaques tectoniques dressant, l'une contre l'autre, leurs massifs denses, jusqu'à l'obtention d'une diaclase, ce géologique affrontement dispersant l'unité première du minéral. Mais, dans  la perspective anthropologique, c'est simplement  la séparation du phénomène apparitionnel - qu'il s'agisse de nature, de culture, de personne -, en deux territoires distincts apparemment non miscibles : le Sujet d'un côté, l'Objet de l'autre. Comme si, nous saisissant d'une esquisse du monde, une pomme par exemple, nous avions fait le décret d'en dissocier essence et existence. D'un côté la pomme intelligible seulement atteignable par la vertu intellective; de l'autre la pomme sensible à portée d'une toujours possible et réelle préhension. C'est Platon, ce génie du logosqui, le premier, a secoué l'édifice de l'être en introduisant dans le réel le coin d'une différence, œuvre largement amplifiée par Descartes et son cogito, l'âme devenant indépendante du corps. On ne mélangera plus les genres, à savoir la substance pensante de l'âme et la substance étendue du corps. Désormais les choses se feront face dans une dualité proche de la polémique.

  Donc, cette modernité ayant procédé à un démontage du réel, l'on pourra s'autoriser à dissocier ce qui, originairement ne peut l'être, à savoir l'unité du surgissement ontologique sur la scène de l'exister. Si le discours peut paraître abstrait et éloigné de son objet, à savoir l'écriture, cela ne saurait résulter que d'un effet d'optique, sinon d'une illusion, le langage, parfois, éprouvant quelque difficulté à décrire ce qu'il transcende, le réel comme catégorie aisément saisissable par la main, moins par l'esprit. Ce que nous voulons dire, c'est que sous la férule de cette soi-disant modernité - ce faux concept n'étant qu'un fourre-tout commode -, l'homme s'autorise à dissocier la nature fondatrice des choses, inclinant plus facilement du côté de l'existence que de celui de l'essence. L'essence ne pouvant être qu'intuitionnée, alors que l'existence se laisse saisir dans sa densité matérielle. Ce discours ramené à l'objet qui nous occupe, à savoir l'écriture,  veut seulement dire que commettre un écrit, aujourd'hui, et en faire un livre, par exemple,  devient une tâche purement technique laissant dans l'ombre les présupposés qui l'animent en son fond, ce caractère de l'art dont on ne peut s'exonérer qu'à la condition de renier son essence. Cette longue digression sur les conséquences de la modernité ne se comprendra, relativement au langage à l'œuvre dans le texte du livre, qu'à percevoir le fait selon lequel s'opère une dissociation de l'être et du paraître. Commettre une œuvre écrite, devrait toujours s'illustrer sous les auspices d'une vérité - vérité des personnages, de la fiction elle-même, de l'exactitude du langage, de la qualité d'un style, de l'exigence de faire apparaître un fondement, une essentialité -, or, le plus souvent, cette véritélaisse place à des approximations, à des flottements de l'intrigue, en un mot, à un manque-à-être dont la résultante la plus évidente est celle-ci : ce langage n'a guère servi qu'à porter au jour, insuffisances et objet d'une mode passagère. Aucune des conditions supposées participer à l'édification d'une œuvre authentique, à savoir son caractère esthétique et éthique, n'ayant été réunie, ne fait phénomène qu'une "pseudo-écriture" ayant échoué à faire surgir quoi que ce soit de littérairement pertinent.

  Ainsi nombre de fictions ne voient le jour qu'en raison même de leur impéritie, de leur insuffisance native, de leur allégeance à la première contingence venue. On parle le langage de la rue ou bien celui, convenu, d'une mode passagère. On thématise des amours de pacotille avec son inévitable triangle boulevardier mettant en scène l'amour-l'amant-l'aimée et bien sûr, au centre de la farce le mari dupé. On roucoule des airs dans le vent. On affiche son "American way of life". On affectionne de paraître jeune, d'avoir une silhouette de magazine, on se dévoue corps et âme à cette "Société du spectacle"dont Guy Debord, en son temps, fit la brillante démonstration. Le paraître supplante l'être, l'avoir impose son imperium, le simple s'écroule sous les meutes de la possession. En matière de "création littéraire" - ce n'en a nullement les moyens, s'entend -, cela donne une eau tiède qui coule des robinets indigents, cela met en scène une piètre comédie humaine seulement inquiète de se montrer sous une apparence flatteuse, cela fait un sous artisanat alors que nous attendons de l'art.

  Sans doute trouvera-t-on notre réquisitoire sévère, sans doute nous accusera-t-on d'élitisme. Et alors ? Peu nous chaut. Mieux vaut lire un seul livre digne de ce nom que des kyrielles de fictions insanes qui n'ont de valeur qu'à être superbement ignorées. Lire-écrire ne sont pas des activités superfétatoires qui se rajouteraient à quelque hasard mondain. Lire-écrire, c'est accepter et même vouloir pénétrer l'essence des choses jusqu'en son intime. Lire-écrire nécessite un effort afin que, dépassant l'horizon des distractions ordinaires, nous puissions accéder à cette verticalité qui fait de nous des êtres-debout. C'est non seulement une question d'esthétique, c'est-à-dire d'élévation d'une forme selon telle ou telle inclinaison, mais c'est foncièrement une question d'éthique laquelle nous adresse l'injonction d'être des Pensants qui cherchent à inclure des significations dans l'ordre du monde. Lire-écrire n'est pas un acte de surcroît qui viendrait faire allégeance à la somme des choses présentes. Lire-écrire c'est élever une stèle sur laquelle inscrire le chiffre humain. Lire-écrire c'est dresser un menhir en direction d'une toujours essentielle transcendance. De la même manière que vivre n'est pas seulement faire se produire des processus biologiques, mais plus fondamentalement exister, se projeter vers du possible, de la véritéde la liberté. C'est de ce souffle dont le langage doit se doter afin qu'il parvienne à rayonner, à se déployer dans l'espace occupé par la belle aventure des Hommesdes FemmesLire-écrire n'est jamais de l'ordre d'un loisir quelconque. C'est la profusion d'un événement qui le fait se gonfler de l'intérieur, pareillement à une gemme brillant  de sa propre effusion. L'écriture est puissance du monde.La lecture est configuration d'un site étoilé portant CeluiCelle qui s'y adonnent au cœur de ce que, nous-mêmes, avons à dire des choses, au sein même de ce que les choses ont à nous dire.

  Car les choses parlentL'arbre parle son langage de chlorophylle et de vent, sa poésie racinaire, l'arbre exulte par la puissance de son tronc, par le balancement de sa voilure qui n'est que l'émergence du temps en lui. L'arbre est fable se revivifiant à la source. L'arbre est émanation de la terre en tant que son fondement. C'est ceci qu'il est urgent de comprendre afin que lisantécrivant nous ne tombions ni dans le faux-sens, ni dans le contresens, ni a fortiori dans le non-sens. C'est à cela que sert le génie humain : s'emparer des choses denses et en faire des êtres de transparence et de lumière. C'est à cela que nous sommes destinés : tracer sur le sol de poussière, dans la glaise ductile, sur l'écorce du monde la signature de l'âme, c'est ouvrir la voie, afin que d'autres, s'y engageant puissent faire prospérer, livrer à l'efflorescence la chair luxueuse de la connaissance. Signature, avons-nous  dit, oui, inscription dans le cœur des Existants, d'une trace, laquelle, si elle répond à une exigence de vérité, deviendra aussi inaltérable que l'est la persistance de la lumière. Car l'homme est signature, c'est-à-dire porteur d'une marque qui le singularise. Et signature, étymologiquement signifie :  « action d'écrire son nom à la fin d'une lettre, d'un contrat.». Ceci, cette définition somme toute banale nous indique tout de même une direction à suivre qui n'est pas seulement le fait d'une routine. Écrire son nom à la fin d'une lettre ou d'un contrat, c'est s'amener soi-même dans la présence à titre de témoin, c'est contracter une dette dontla signature sera le garant de ce lexique original apposé en bas du document. La signature impliqueCelui qui en est l'auteur, elle lui crée obligation de se conformer aux préceptes que doit nécessairement décliner toute relation, tout commerce avec Autre-que-soi. Cette dette est un autre nom de l'éthique dont nous avons déjà fait état. Toute signature, par nature, est détentrice d'un style qui la rend unique, infalsifiable, non reproductible. C'est cela l'essence de l'empreinte, la certitude que celle-ci est unique et que, chaque fois qu'on la rencontrera, ce sera du même Dasein dont il s'agira, de ce même Sujet de chair et de sang comme unique figuration de la condition humaine. Ce ne sera jamais de la nature d'un fac-similé, d'une imitation, d'une parodie de vérité. Et si nous insistons sur cette qualité insigne de la signaturedu style c'est afin qu'elle signifie par rapport à l'écriture, à l'Auteur, à l'œuvre. Lorsqu'on a affaire à une œuvre littéraire, vraie, profonde, exigeante, alors s'ordonne un style, alors surgit une trace que l'on reconnaît parmi la multitude des écritures. MontaigneRabelaisRousseau sont inimitables parce que, chacun à leur  manière propre, ils ont tracé leur sillon qui ne doit rien à personne. Bien évidemment ils ne se sont jamais exonérés d'une culture, d'une nature, d'une société qui les modelait à leur insu, mais ils ont su en extraire la forme adéquate à une expression singulière.

  Ceci, cette marque d'un génie particulier n'est pas le prédicat, loin s'en faut, de nombre de productions  contemporaines qui ne vivent qu'à être le théâtre d'une mince quotidienneté dont le nul et non avenu semble être la raison principale qui soutient une architecture bien précaire. Enlevez les thèmes conventionnels récurrents - amours délétères, érotisme de pacotille, sentiments à l'eau de rose, métaphores indigentes, comportements stéréotypés, liberté confondue avec des mœurs décadentes -, et vous obtiendrez ces bluettes qui pour n'être totalement idiotes ne sont que l'envers de l'art, c'est-à-dire de bien piètres échos d'une réalité qui, pour être ourlée de perte et d'indétermination , les dépasse de la tête et des épaules. Mais enfin rien ne sert d'épiloguer sur de l'inexistant, puisqu'aussi bien "exister", au sens étymologique c'est "sortir du néant" et que, parfois, cette nécessité de s'extraire des contingences dont le livre abouti est la nécessaire résultante n'est pas, à l'évidence, le souci majeur dont leurs Auteurs se sont préoccupés. Créer une écriture qui mérite le prédicat "d'œuvre", c'est-à-dire empreintede vérité, suppose, en effet, de montrer du différent, du notable, du remarquable, et ceci ne s'informe jamais qu'à partir de ce qui, par nature, n'indique rien d'autre qu'une présence têtue, dense, dépourvue de nervure signifiante. Écrire est mettre au jour une altérité, non se conformer à une quelconque mode qui n'en est que l'envers.

  L'écriture, afin de paraître dans son registre exact, s'exhausse elle-même du-dedans du langage en direction du monde. C'est ce que  semblent n'avoir pas compris quelques épigones, fussent-ils d'habiles imitateurs de plus grands qu'eux, qui s'obstinent, de livre en livre, à nous asséner des fadaises modeléespar le monde en direction du langage. C'est, bien évidemment, n'avoir rien compris au fonctionnement d'une langue qui, par définition est une essence, et ceci d'autant plus lorsqu'on prétend l'amener sur les fonts baptismaux de l'art. Ce ne sont pas les choses du réel qui façonnent l'œuvre comme un enfant habile le ferait d'une boule de glaise afin de la plier à son propre caprice. C'est l'œuvre qui façonne le réel en lui donnant lieu et place dans ses propres limites. Car le langage pris en ses fondements déborde toujours ce qui est commis à le servir, à savoir la fiction, le roman, la poésie. Le langage est ce par quoi les choses paraissent et brillent de leur éclat tant que ce dernier, le langage, en sous-tend l'expression signifiante. Adoptez un sabir et plus rien ne tient que des sons en perdition d'eux-mêmes. L'être-de-l'homme et l'être-du-langage sont tellement affiliés au même regard sur le monde des contingences que, jamais, ils ne peuvent s'extraire de leur singulière vision pour rejoindre ce dont ils se sont enlevés au prix d'une transcendance qui leur accorde un site de liberté et de vérité, puisque l'une ne saurait être sans l'autre.

  Mais, après avoir essayé de circonscrire l'inanité d'une certaine écriture, venons-en au titre de cet article et à la signification de son prédicat. L'hyperbole est, selon la définition proposée par Wikipédia :"une figure de style consistant à exagérer l'expression d'une idée ou d'une réalité afin de la mettre en relief. C'est la principale figure de l'exagération et le support essentiel de l'ironie et de la caricature. L'hyperbole correspond le plus souvent à une exagération qui tend vers l'impossible. C'est un procédé proche de ceux de l'emphase et de l'amplification."

  Mais nous croyons que la signification dont nous souhaitons la doter, comme par le recours au glissement sémantique de la métonymie, il faut aller en chercher la source dans son étymologie."Hyperbole" vient du grec hyperbolê, de hyper (« au-delà ») et ballein (« jeter »). Si, en effet, nous ne négligeons jamais de recourir à l'hyperbole en tant que simple procédé rhétorique d'amplification du style au titre de "l'emphase" et de "l'amplification", c'est bien sa signification sous-jacente de "jeter au-delà", qui nous semble féconde, à savoir en l'utilisant en tant que tremplin ontologique, lequel prenant essor "au pied de la lettre", déploie cette même lettre du sens bien au-delà d'elle-même. D'abord en direction d'une possible transcendance. Ce dont tout acte de langage est constitué en totalité puisque, dès lors qu'il est proféré, déjà il n'appartient plus à son Locuteur, à son Scripteur mais fait seulement figure d'esquisse dans les mots proférés, se fondant  déjà dans l'histoire de la langue. Revenir au site de l'énonciation, dans  cette perspective, est plus acte d'archéologue que de linguiste, à savoir interrogation d'une mémoire qui a dit et s'est retirée dans la densité de sa profération. Toute parole, tout écrit ont ce destin d'être archivés. N'étant plus prononcés ou tracés par le geste de la main, ils réintègrent le système des signes et des expériences humaines terminées.

  Ensuite, ce tremplin  ontologique étymologique, il convient de l'assurer d'un autre essor. "Jeter au-delà", c'est ne pas demeurer dans un espace et un temps figés. C'est faire des mots des vecteurs de sens mobiles. Nous avons souvent coutume de dire que les mots sont "polyphoniques""polychromes", souhaitant par là faire advenir leur puissance imaginative, l'empan selon lequel ils se déploient à l'infini, manière d'immense flamboiement dont le style phénoménologique a su s'emparer avec un rare bonheur. Il n'est que de lire, entre autres extraits, les somptueuses pages de Merleau-Ponty consacrées à la "chair du monde".

  Parlant d'autrui, qu'il définit comme "chair de ma chair", voici comment le Philosophe le présente dans une manière, précisément, de "jeter au-delà", geste verbal, certes, mais geste tout de même par lequel il projette hors de lui  pour rejoindre cette chair de l'Autre qui est aussi "chair du monde". Merveilleuse écriture par laquelle nous prenons  conscience de notre exister de la seule manière qui soit, celle d'une infinie ouverture au monde.

  Mais, un instant, réfléchissons avec le Philosophe et empruntons une phénoménologie à la première personne : Me percevant, essayant "de me saisir", c'est d'un même empan de la pensée que je saisis une altérité qui apparaît comme totalité. En moi, l'Autre, en l'Autre le Monde, en toutes choses le Monde qui se configure à partir de ma propre vision, mais également de la vision de Celui qui me fait face. Ainsi, le monde-hors-de-soi se présente-t-il sous les auspices d'une gémellité. Nous sommes indissolublement reliés à Cela qui est notre constant Vis-à-vis, par lequel nous existons en même temps qu'il se révèle à lui-même. Parler ici d'hyperbole, c'est accentuer  la présence au Monde des Autres  en les situant "comme reliefs, écarts, variantes d'une seule Vision". La Vision sensible à laquelle je me rapporte est agrandie par la dimension langagière, à savoir ce style, cette esthétique de l'exister qui s'imprime dans le texte et fait écho pour tout ce qui vient à l'encontre.

 "Prenons les autres à leur apparition dans la chair du monde. Ils ne seraient pas pour moi, dit-on, si je ne les reconnaissais, si je ne déchiffrais sur eux quelque signe de la présence à soi dont je détiens l'unique modèle. Mais si ma pensée n'est que l'envers de mon temps, de mon être passif et sensible, c'est toute l'étoffe du monde sensible qui vient quand j'essaie de me saisir, et les autres qui sont pris en elle. Avant d'être et pour être soumis à mes conditions de possibilité, et reconstruits à mon image, il faut qu'ils soient là comme reliefs, écarts, variantes d'une seule Vision à laquelle je participe aussi. Car ils ne sont pas des fictions dont je peuplerais mon désert, des fils de mon esprit, des possibles à jamais inactuels, mais ils sont mes jumeaux ou la chair de ma chair. Certes je ne vis pas leur vie, ils sont définitivement absents de moi et moi d'eux. Mais cette distance est une étrange proximité dès qu'on retrouve l'être du sensible, puisque le sensible est précisément ce qui, sans bouger de sa place, peut hanter plus d'un corps."

                                                                             Maurice Merleau-Ponty, Signes (Préface).

 

 

                                                                                     

 

 

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commentaires

M
bravo!
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