Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
27 avril 2014 7 27 /04 /avril /2014 08:03

PETITE PROSE DU JOUR - NOUVELLE (suite 3).

C'est à ces questions qu'essayaient de répondre les boiteux et les hémiplégiques de l'âme, tous ceux à qui la réserve d'invisible parlait en terme de mystère ou bien, pire, dans la langue de l'imprécation, de l'anathème, du rejet. Nombreux étaient ceux, celles qui, portés au mur de l'étrange, confrontés à l'illusion fantastique, condamnaient sans appel cette indécision de Solitude d'apparaître selon les perspectives de la pensée droite, orthogonale, élevant vers les cieux la fière stèle des certitudes, édifiant le menhir du concept avec l'assurance d'une belle stabilité. C'était la folie qu'on redoutait surtout, son visage hideux et grimaçant et nul, ici, dans cette Ville de grands Bourgeois et de Notables en robes et fracs ne se serait hasardé à croiser, fût-ce du regard cette Fille de la nuit qui portait, derrière elle, la traîne d'une union contre nature. La folie, non seulement on la redoutait mais on l'abhorrait, on la vomissait, on en faisait des pelotes de réjection, tels les noirs corvidés qui triaient le bon grain de l'ivraie. Nul, ici, se serait amusé à faire "L'éloge de la folie" comme cet idiot d'Érasme d'Amsterdam. La folie, terreau sur lequel s'élève le gueux et le laissé pour solde de tous comptes, la folie qui hante l'inconscient des Nantis jusqu'à leur donner la nausée, à les conduire au seuil de cette même folie qu'ils clouent au pilori, faute d'en connaître le prodigieux pouvoir de réenchantement du monde. Oui, Messieurs les pisse-vinaigre, la folie ne vous a point effleurés, celle qui fit écrire à Lautréamont les plus belles pages de la littérature française, celle qui porta Artaud tout en haut des beaux vertiges de la langue, celle qui alimenta la prodigieuse pensée de Nietzsche jusqu'à l'incroyable destinée de Zarathoustra, ce guide pour l'homme.

Oui, un instant, nous avons déserté la contrée de Solitude, nous l'avons perdue pour retrouver les marécages de l'aporie et les inglorieuses opinions qui clouent, contre les portes des granges des aliénés, les crapauds du mépris et de l'incompréhension. Mais ce n'était qu'un écart de la pensée, un saut en direction d'un réel trop réel qui enclave les cerveaux et détruit jusqu'à la possibilité de s'élever dans l'ordre de la connaissance. Car il y a toujours danger à exclure l'autre dans sa différence, fût-elle dérangeante et, par nature, elle l'est toujours. Mais retrouvons Solitude dans son périple au travers des boyaux de la terre, tout près du tellurisme où s'agitent les puissances sourdes de l'inconscient. Maintenant, la galerie devient plus étroite, débutant une ascension en direction de marches taillées dans la roche. Il y a, au bout du mince tunnel, comme une lumière diffuse, sépulcrale, une clarté pareille à la couleur éteinte d'une sclérotique de plâtre avec son iris plus dense au centre. "L'en-dedans…L'en-dedans…L'en-dedans…", la noire litanie parvient aux oreilles de l'Égarée avec des rumeurs sourdes, pareilles à la chute de tampons d'ouate. Comme des boules d'étoupe qui percuteraient les tympans, donneraient des coups contre la paroi élevée de la conscience. Folie percutante des mots qui glaivent l'en-dedans du corps, font éclater l'esprit en mille fragments épars. Solitude gravit les dernières marches qui conduisent au lieu du recueil, à l'aire de nidification, à l'espace du don. Du moins le croît-elle.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : ÉCRITURE & Cie
  • : Littérature - Philosophie - Art - Photographie - Nouvelles - Essais
  • Contact

Rechercher