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23 avril 2016 6 23 /04 /avril /2016 07:46
Libre de vous dans le jour qui vient.

Photographie : Nadège Costa.

Tous droits réservés.

Libre de vous dans le jour qui vient.

Que veut donc signifier cette mince ritournelle fichée dans l’espace des rêves ? Et qui ne veut point partir. Qui fore son trou à l’aune de son mince grésillement. Qui vrombit comme l’essaim d’abeilles et l’on est au centre de la ruche avec l’éblouissement du pollen. Et l’on n’est plus soi que dans le doute et l’approximation.

Cette image de vous qui faisait notre siège, détourait nos jours, cernait nos nuits de lumière, d’où venait-elle donc ? N’était-elle qu’une illusion venue frapper la rétine de notre imaginaire ? Ou bien une hallucination comme sous l’effet de quelque narcotique ? Ou bien encore une photographie aperçue dans une vitrine, une effigie colorée sur la cimaise d’une affiche ? C’est si troublant d’être hanté, habité de l’intérieur par une manière d’Ondine se dissolvant à mesure qu’elle apparaît. Comment ne pas être troublé alors qu’aucun nom, aucune identité ne peuvent être épinglés à l’angle de cette vision ? Quelle autre issue que de fouiller ses souvenirs, d’ouvrir le coffre à jouets de son enfance, de plonger les mains dans les fantasmes adolescents, de s’immerger dans les rêveries de l’âge adulte, ces perditions de soi dans la brume des jours ? C’était une telle douleur que de chercher à connaître et de ne rien savoir. Les doigts se tendent, se courbent parfois sous l’espèce des serres des rapaces, griffent l’air et ne ramènent que des volutes de rien, des fragments aussi vides que le néant. Si éprouvant !

Libre de vous dans le jour qui vient.

Mais comment pourrons-nous jamais être libres alors que, dans notre sommeil, rougeoie la braise de vos lèvres, se dessine le parfait arc de Cupidon disant la félicité dont nous devons être saisis à seulement vous côtoyer ? Comment, alors que le ruissellement de vos cheveux est une fontaine à laquelle se ressourcer et poursuivre, vers l’aval, la fuite longue de son destin ? Que la porcelaine du visage est si douce, si harmonieusement colorée qu’elle installe dans un genre de crépuscule comme au bord des lagunes inondées de clarté ? Que le cou est l’invite estompée à se saisir d’un bien mystérieux territoire ? Que le talc qui inonde votre gorge est tellement semblable au duvet du cygne, à sa fuite à peine esquissée sur le miroir des eaux ? Comment ? Y aurait-il perdition de soi à chercher davantage ? Ne serait-il pas préférable d’en demeurer à cette ineffable vibration sur l’arc de la pupille, à ce dédoublement de soi ? Une partie dans la conque de peau, une autre hors de sa conscience, dans l’orbe d’un domaine invisible, peuplé des efflorescences du songe ? N’est-ce pas un excès d’orgueil, la poursuite d’une quête impossible que de vouloir rapatrier dans son aire intime cela qui, jamais, ne s’y trouvera puisque la matière onirique est aussi insaisissable que le vol du moucheron dans le vent tissé de nullité ? La tentation est si grande ! La friandise est là, à portée de la main, il suffirait de tendre les brindilles désirantes de ses doigts, de déplier leur pulpe jusqu’à toucher et poisser ses propres signes avant-coureurs, ses sentinelles avancées de ceci qui est une insoutenable tentation. Mais il y a la vitre du réel. Mais il y a la vigie de la morale, l’aiguillon de la conscience et, soudain, alors que l’irréparable, l’impensable se promettaient d’être, voilà que l’on rétrocède vers son état antérieur, que l’on replie sa curiosité naturelle comme la langue du caméléon dans l’antre de sa bouche. S’ensuit alors une mutité doublée de sidération. On n’est plus très sûr de coïncider avec sa propre image, de porter en soi une unité. On est dispersés, ailleurs, exclus du temps, absents de l’espace.

Alors on est dans l’errance, pareil au loup des steppes tournant sur lui-même au milieu des chutes du grésil. Les yeux se voilent, l’ouïe siffle comme la bise, les membres sont gourds, la langue est une braise éteinte soudée au palais, la fourrure piquée des étoiles du givre. On cherche une proie. Un mulot suffirait. Peut-être même la carapace vide d’un scarabée. Mais il n’y a rien à l’horizon et les flancs, sous l’arrogance du gel, se resserrent comme les mâchoires d’un étau. On est si étique sous le ciel pris dans la glu. On est si infime dans l’heure immobile. On se dispose à faire du grand linceul blanc celui qui sera le dernier et nous conduira là où nous n’avons jamais cessé d’être : à l’extrême périphérie de nous-mêmes et les pieds dans l’abîme. Mais au milieu des giboulées, parfois la lueur blanche du soleil et une auréole disant encore la vie, la nécessité de ne point vendre son âme au diable, de chercher dans la moindre éminence du sol la possible lisibilité du monde. Alors on consent à rebondir, alors on fouille la caverne de sa mémoire. Là, sur les murs de calcite phosphorescente, les milliers d’images faisant leur carrousel, leur entrechat, leur gigue pariétale et les neurones sont en feu et les dendrites fusent longuement dans la nuit semée d’encre.

Libre de vous dans le jour qui vient.

Que veut donc signifier cette mince ritournelle fichée dans l’espace des rêves ? Mais c’est de vous, de nous dont il s’agit, de notre commune rencontre sur les chemins de l’exister. Il y a tant d’images partout répandues, hissées tout en haut de nos fronts, lovées dans les ventricules carmin de nos cœurs, logées dans la cavité de nos sexes désirants ! Tant d’images à moissonner, archiver, feuilleter le long des corridors de la mémoire. Oui, nous la voyons maintenant, votre image, dans ce palais de cristal, dans cette myriade de fragments. Kaléidoscope. Feu d’artifice. Lumière fusante de Bengale. Etoiles vives dans la soie du ciel. Cataractes et chutes, vrombissements et déflagrations, déploiements et replis dans la maille inventive des jours. Oui, on vous reconnait. Inutile de mettre les masques comme à Venise, de dissimuler votre cheminement sous l’agitation de quelque bergamasque. Animé, sauté et circulaire. Vous voilà mise à nu, sous le feu des projecteurs. Vous livrez, à votre visage défendant, les traits qui vous définissent mieux que ne sauraient le faire les traits de crayon de l’habile Léonard de Vinci. Mais prenons le temps de faire votre inventaire, de dresser votre portrait, d’en tracer la belle perspective comme dans une peinture de la Renaissance. Voici qui vous êtes, en réalité :

Celle qui nous donna le jour et pencha son doux visage sur le mince évènement que nous fûmes, attendant que vînt notre essor sur cette terre parcourue de longues vergetures.

Celles qui animèrent nos premiers jeux, nous blottirent dans la niche accueillante de leurs mains, dessinant à la craie, dans la cour de gravier, les cases de la marelle.

Celle qui, dans la classe aux vitres teintées de blanc d’Espagne, guida notre doigt sur notre premier livre de lecture.

Celles qui, tout en riant et caquetant, battaient le linge dans l’antique lavoir du village qu’alimentait l’eau d’une claire fontaine.

Celles que nous découvrîmes sur les pages glacées des livres d’art, ces idoles dont nous rêvions à défaut de pouvoir les posséder : les Mona Lisa ; les Marie de Médicis ; les Jeunes filles au turban.

Celles qui accompagnèrent nos voyages littéraires : la belle Madame de Rénal du « Rouge et du noir » ; la gracieuse Madame Gamiani de « Deux nuits d’excès » ; la passionnée Sanseverina de « La Chartreuse de Parme ».

Celles qui, sur scène, la superbe Athalie ; la passionnée Phèdre ; l’héroïque Bérénice nous donnèrent à penser la tragédie.

Enfin, toutes celles dont on croisa, par hasard, l’aventureuse marche, sur un quai de gare, dans une salle d’attente, à la terrasse d’un café, dans la salle enfumée d’un pub, dans l’échange d’un sourire, l’effacement de soi pour céder le passage, la main tendue pour gravir l’escalier, les coulisses du théâtre, le rêve éveillé, l’image surgie, au coin d’une rue, pareille à une brève illumination.

Libre de vous dans le jour qui vient.

Que veut donc signifier cette mince ritournelle fichée dans l’espace des rêves ? Et qui ne veut point partir. Qui fore son trou à l’aune de son mince grésillement. Qui vrombit comme l’essaim d’abeilles et l’on est au centre de la ruche avec l’éblouissement du pollen. Et l’on n’est plus soi que dans le doute et l’approximation.

Et l’image est là qui fait sa rumeur, son mince bourdonnement. Que vienne le sommeil, que s’installe la densité du rêve ! Nous n’en pouvons plus de vivre là, sur le bord de l’imaginaire et de risquer de chuter à seulement voir le pétale des lèvres, les cordes bleues des cheveux, la gorge de lait qui palpite dans l’air embaumé d’ombres. Que vienne le sommeil !

Libre de vous dans le jour qui vient.
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