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20 février 2015 5 20 /02 /février /2015 19:59
Fallait-il ruiner la passion ?

Fallait-il ruiner la passion, édifier une nouvelle raison ?

C’était comme cela que ça avait commencé. De grandes zébrures avaient envahi la neige du ciel, de grandes failles s’étaient ouvertes et des millions de phosphènes éblouissants comme mille comètes nageaient vers le sol avec des sortes de convulsions. Magma incandescent, lave invasive, bombes volcaniques faisant leur mortel borborygme. Et les hommes, saisis d’un immémorial réflexe avaient reflué vers les grottes de calcaire, les abris où leurs ancêtres, il y a des millions d’années, sur les aires pariétales, dessinaient les premières flèches, les premières rébellions contre la nature hostile du monde.

Fallait-il ruiner la passion, édifier une nouvelle raison ?

Partout était l’immense exténuation qui faisait les échines courbes et fuyantes comme celles des hyènes. Partout étaient les larmes de résine qui coulaient des yeux envahis de glaucome et de doute. Partout la grande frayeur d’être sur terre, sous le ciel et de n’en pouvoir réchapper. Fourches caudines enserrant l’enclume de la tête. Bélier têtu et contondant martelant les poitrines de sa hargne épileptique. Berceau de Judas enfonçant sa pyramide de métal dans la stupeur des génitoires. Tridents sataniques distribuant à l’aveugle les pointes acérées du mal. Partout l’effroi enduisant de glace et de frimas la moindre parcelle de peau. Partout peste et bubons semant à tous vents la hargne d’un malin génie.

Fallait-il ruiner la passion, édifier une nouvelle raison ?

Du ciel tombaient de minces éjaculations monochromes. De la terre montaient des trilles de lamentations hémiplégiques. De l’entre-deux où vivaient les derniers hommes s’évaporait le fumet doucereux des âmes en décomposition. Les terriens avaient été inconséquents, insouciants, se gaussant de tout, jetant aux orties tout ce qui ressemblait à la beauté, se vautrant dans la cupidité, se goinfrant d’égoïsme, s’oignant de stupre et de suffisance, plongeant, tels des cochons sauvages dans la soue emplie de remugles délétères. Les hommes s’étaient battus contre leurs ennemis, contre leurs amis et, pour finir, contre eux-mêmes. Ils n’étaient plus, sous les étoiles, qu’un faible murmure, un touchant vagissement pareil à celui du nouveau-né. Des bourgeons avaient colonisé les globes de leurs yeux. Des bouchons de cire obturaient leurs oreilles. Leurs langues étaient de mortelles sangsues. Leur cou une colonne de marbre. Leur poitrine un soufflet dont le cuir bouilli avait fondu. Leur ventre, un antre semé d’eaux putrides. Leur sexe, un épouvantail ; leurs genoux des bilboquets de buis ; leurs pieds, des ventouses visqueuses les clouant dans l’hébétude de leur mortelle condition. Et, par-dessus tout, soufflait le vent du néant, pareil à l’harmattan chargé d’air polaire. Partout le vide et la désolation. Sauf une mince voix, fragile et chevrotante comme celle d’un jeune agneau. Elle venait de l’espace, des confins lointains de la galaxie et disait :

« S' il vous plaît... dessine-moi un mouton ! »

Mais les hommes ne pouvaient l’entendre, ils étaient sourds aux parole de sagesse, aveugles aux dessins, indociles aux belles manifestations de l’art. A tout cela ils préféraient l’inconfort de la grotte, la lutte avec leurs semblables, la mutité de l’inconnaissance.

Fallait-il ruiner la passion, édifier une nouvelle raison ?

Fallait-il ruiner la passion ?
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