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20 février 2015 5 20 /02 /février /2015 09:42
La vie-oxymore.

Nous cheminions avec mon alter ego sur une petite route de campagne. « La vie-oxymore », pensais-je à haute voix, à mon corps défendant. « Qu’est-ce à dire ? », reprit mon alter avec un brin de malice dans la voix.

« Parles-tu de cette obscure clarté qui tombe des étoiles ? ».

Je dois avouer, j’étais un brin agacé de ces remarques faites sur le ton suffisant du lettré, de cet esprit qui ne voulait saisir du réel que sa mousse aérienne. Mais, en un sens, mon double avait saisi en quoi l’existence était, bel et bien, un vrai dilemme cornélien. Marchant sur le bitume rongé de mousse et taché de lichen, je ne pouvais m’empêcher de penser à cette belle métaphore de Baudelaire dans Petits poèmes en prose :

« Le voici qui, à la clarté sombre des réverbères tourmentés par le vent de la nuit, remonte une des longues rues tortueuses et peuplées de petits ménages de la montagne Sainte-Geneviève. »

Pourtant nous n’étions, mon alter et moi, ni sur les pentes de la Montagne Sainte-Geneviève, ni dans ses rues si caractéristiques et troublantes. Cependant, je sentais que sa remarque candide, à première vue, ne manquait pas de profondeur. N’étions-nous pas, en effet, tout comme cette modeste route traversée d’ombres et de lumières, identiquement aux étoiles cernées de nuit, aux réverbères diffusant leur onde fuligineuse, de simples êtres que la joie visitait, en même temps qu’une étrange douleur vrillait notre ombilic à la manière d’une maladie sournoise et définitive ? Le baiser glacé de Thanatos sur la bouche rubescente d’Eros. « Le vent de la nuit » ne faisait-il pas de notre corps ce fétu de paille que le destin emportait dans les mailles étroites de sa décision ?

La nature était belle, un frêle ruisseau aux eaux claires faisait sa parution de coccinelle, des feuilles mortes festonnaient le chemin, des oiseaux, des martins-pêcheurs à la tunique émeraude, des pics épeiches rouges et verts, des chardonnerets multicolores, lançaient leurs trilles printanières comme une pluie de joyeux grelots. Il y avait beaucoup de bonheur à glisser ainsi, genre d’écume à la face des choses en oubliant le rigoureux hiver qui, encore, tapissait de givre les combes ombreuses. Il y avait facilité à vivre, ici, sous le tumulte des feuillages, dans l’arche ouverte des arbres, sous les caresses déjà appuyées des rayons du soleil. Beaucoup à espérer du jour à venir.

« N’entends-tu pas le croassement des noires corneilles, les lugubres éructations des freux qui moissonnent le ciel de leur lame définitive ? N’entends-tu pas ? »

C’est ainsi que s’exprimait mon ego, avec un certain réalisme que teintait de noir et de mélancolie la seule pensée de la « vie-oxymore », une noire recouvrant une blanche en une étrange et confondante partition. Alors, lassé de tant de vérité urticante, mon ego, je l’ai enseveli dans le linceul de mon mouchoir, tout au fond de ma poche envahie de ténèbres et j’ai poursuivi mon chemin dans l’air qui chantait.

La vie-oxymore.
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