« La terre produisit de la verdure, de l'herbe portant de la semence selon son espèce, et des arbres donnant du fruit et ayant en eux leur semence selon leur espèce. » (Genèse - 1 : 12).
A l’origine, l’herbe avait constitué le début d’une fable, les prémices d’un généreux poème dont les hommes étaient invités à se saisir. La terre chantait l’herbe, la prodigieuse verdure, la croissance infinie par laquelle connaître le monde et y paraître à l’unisson de cette marée verte. Mais le chant remis aux hommes était vite devenu simple prose, puis silence et l’herbe, on l’avait oubliée. Elle n’était plus que ce tapis invisible, ce naturel épiderme couvrant collines et vallons. On vivait au-dessus d’elle, on l’ignorait avec une manière de superbe, comme on l’eût fait du ver se dissimulant dans les plis de l’humus. Pourtant, il y avait tellement de choses à voir à seulement la frôler, l’herbe.
Elle était cette souple ondulation,
ce minuscule remuement
près du miroir de l’eau
ou bien cette houle jaune
dans l’aridité de la savane.
Elle était ce roulis
dévalant en plein ciel
sur les hauts plateaux de l’altiplano
où elle imitait la laine
immatérielle des vigognes,
ces créatures célestes,
un pied dans le réel,
un autre dans la contrée
de l’invisible.
L’herbe, cette si belle métaphore, cette image mouvante, cette vérité disant, par la toile serrée de son rhizome, son attachement au royaume des morts, par ses pointes terminales son dialogue avec le monde des existants. De sa naissance à sa mort, en passant par son intime épanouissement à la face des choses, elle était le témoin du temps, la clepsydre agitée par le vent et la brume, là tout contre le marais, afin que les hommes connussent leur propre temporalité, leur juste mesure, la trace, en eux, de la finitude.
De cela, simplement,
les vivants sur Terre
auraient dû être alertés.
Ce qu’ils auraient pu faire :
s’asseoir dans le frais des ombrages,
tout près du murmure d’une rivière,
avec les fûts des grands arbres
en toile de fond et regarder
afin que leur âme fût emplie
de cette immédiateté des choses.
Ce qu’ils auraient vu :
dans le balancement du vent,
la pliure des herbes pareille
à une sudation de la terre ;
les éclats de diamant, l’hiver,
lorsque le soleil traverse
leur tunique de givre ;
les tiges phosphorescentes
des libellules les butinant,
le vol erratique de l’argus satiné,
sa consistance de flamme
ou bien la vibration des ocelles
du paon du jour,
comme pour dire la nécessaire
ouverture des yeux,
l’attente de ce qui est,
là dans la donation toujours ouverte,
l’oblativité de la nature,
son infinie prodigalité.
Voici ce que les hommes auraient pu faire mais le tumulte des fleurs blanches, le soleil des corolles les concerne si peu. Ils vaquent à leurs occupations, ils enfouissent leur trompe dans le calice des contingences et les fleurs pleurent, longuement !