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8 juin 2015 1 08 /06 /juin /2015 08:37
L’homme qui cherchait son âme.

« Âme ».

Œuvre : Eric Migom.

Court prologue afin de coïncider avec l’intention du texte.

Ce qui va suivre se livre comme une parodie au cours de laquelle est évoquée la simple possibilité pour l’homme de ne pas avoir d’âme, donc de ne pas la connaître, avec le corollaire qui le contraint à être reconduit à une lourde et confondante matérialité. Sorte de pierre dont l’occlusion ferait penser à la pesanteur d’une stalagmite dont le destin serait sous la coupe immémoriale de l’eau, de sa tendance à un écoulement ininterrompu. Vers quelle bonde terminale ? Bien malin serait celui, celle qui en percevraient l’énigme. Une longue harangue de forme oraculaire, en direction de la cécité de l’homme, (mais qui donc parle, l’auteur ? un dieu caché ? un inaccessible démiurge ? la voix de la conscience ?), l’adresse à l’homme, donc, voudrait seulement pointer vers la nécessité de poser la question qui, nécessairement, doit nous traverser comme recherche d’une vérité. Sommes-nous de la nature d’une gemme ou bien d’une lumière qui la transcenderait, la portant au-devant de soi dans des valeurs à tonalité d’absolu : l’Art, le Langage, l’Infini ? Le propos, s’il semble viser l’homme en propre, s’adresse à la relation de ce dernier avec ce qui le porte et le dépasse, l’œuvre par exemple, dont le sort est de nous ouvrir au domaine de l’étonnement. Car nous ne saurions regarder une telle proposition, nommée « Âme » et nous en retourner au logis avec la tranquillité de celui qui sait et fermer la porte au jour. Toujours celui-ci nous presse de l’interroger.

*****

« Âme », pouvait-on donner titre plus équivoque que celui-ci ? Cette fameuse âme dont tout le monde parle mais dont personne ne connaît la nature, si ce n’est sa propension à s’effacer derrière ce vocable ineffable et universel, derrière cette illusoire vibration se sustentant à mi-distance du sensible et de l’intelligible, dans une manière d’état intermédiaire, de mode de passage d’une réalité à l’autre dont il est toujours difficile de tracer les contours puisque, aussi bien, le statut d’ambiguïté ne saurait en avoir. La chercherait-on, l’âme, du côté du sensible, dans l’orbe d’une sensation, qu’aussitôt elle se situerait du côté de l’intelligible en mode d’intellection, de spéculation. C’est donc à une manière d’insaisissable que nous avons affaire. Alors, comment nous assurer de ce dernier, le non-préhensible, si ce n’est à l’aune de ce que Freud nommait une « inquiétante étrangeté » ? Là, dans ce tableau censé donner à voir l’humain, (nous-mêmes au premier chef), qu’en est-il de cette vision qui nous permette d’inscrire notre existence dans le cadre d’un savoir suffisamment assuré de son objet ? Dès l’instant où il s’agit d’une image, nous sommes déjà dans la fausseté inévitable d’une représentation et c’est comme une effigie en écho qui fait son tremblement. Les mirages sont de cette nature. S’agit-il de nous, à savoir du peintre lui-même, du voyeur de l’œuvre, de celui qui, sans la voir, le passager anonyme du monde, en assume cependant la lourde charge ontologique : notre apparition est toujours de l’ordre de l’étrange, du mystérieux, du confondant. C’est pour cette raison qu’elle nous interroge et nous plonge dans la posture de l’angoisse. Est-ce bien de nous dont il est question ou bien, seulement d’une ombre, d’un trouble de la vision nous reconduisant à l’émission de simples hypothèses, de hasardeuses intuitions ? C’est une telle épreuve de se confronter à soi, de tâcher de délimiter les contours de sa propre esquisse dans le corridor multiple du monde.

Mais, plutôt que de poursuivre dans la voie d’une intellection, il s’agit, maintenant, de décrire, afin que de cette approche, puisse s’élaborer quelque chose de compréhensible. Que nous donne donc à voir l’auteur de ce portrait ? Mais, d’abord, faisons la projection suivante, qu’il s’agit de nous, rien que de nous. Le fond duquel nous surgissons, tout comme l’être de chaque chose provient du néant dont il se détache, le fond, donc, est notre chair diluée dans l’espace. Il semble qu’il y ait une solution de continuité, que nous en émergions, tout comme le filet de fumée s’échappe de la braise, de la cendre dont il est pur prolongement. Comme si le monde que nous éprouvons toujours distant, tissait en nous les fibres d’un savoir à son sujet. Tout est dans la teinte de l’argile douce. Notre visage est de glaise qui dit son appartenance à la Terre, sa parenté avec le limon, sa levée pareille au sillon que le coutre fait surgir dans l’aire du labour. Assurance d’un site terrestre à partir duquel apparaître et faire sens dans la marche de notre destin. Que percevoir du fond, encore, qui nous rassure et nous installe dans notre contrée avec quelque certitude ? Le vert-amande pareil à une tache d’eau nous invite à une parenté avec le fleuve, avec la forêt, ces deux sites qui accueillirent nos lointains ancêtres dans la conquête de leur habitat, donc d’un lieu signifiant, abritant. Les effusions pourpres, de part et d’autre des joues, sont la métaphore du sang qui irrigue notre corps, confère à notre présence l’image du vivant, le caractère d’un feu qui nous anime, la puissance d’une combustion au gré de laquelle nous affirmons notre énergétique, la brûlure qui signe notre métabolisme.

Mais voyons le motif qui, sur ce fond signifiant, vient poser l’énigme qu’il est. Le visage, ce masque qui dissimule l’être que nous sommes tout en le dévoilant. Ici, l’ovale parfait semble témoigner en direction, non seulement d’une esthétique, mais d’un équilibre, d’une certitude quant à notre propre parution sur la scène mondaine. Un genre de plénitude, de sérénité que viendrait renforcer l’empâtement blanc fixant la chair, lui donnant ses assises dans le temps. Les sourcils, eux aussi, fortement arqués et accentués, deux traits vigoureux de fusain, concourent à fixer dans une sorte d’immuabilité la quadrature du visage. Comme si la durée s’était condensée sous le chiffre d’un éternel présent ; passé et avenir girant tout autour, en orbite, afin de mieux porter à la connaissance la parole immédiate d’une révélation. Mais voici que ce luxe perd bientôt ses ors, que cette gloire s’anéantit sous l’apparence tragique qu’une lame de scalpel vient entailler de sa douloureuse lucidité. L’épiphanie qui, jusqu’alors, semblait aller de soi, voici qu’elle s’ourle des ombres de cette « inquiétante étrangeté » que nous citions il y a peu. Comment, en effet, ne pas apercevoir, sous le fard blême du mime, toute la condition aporétique de l’homme ? Donc la nôtre, puisque, quoi que nous fassions, c’est toujours de nous, en propre, dont il s’agit. Celui qui apparaît, (nous donc), se livre à même son retrait dans quelque fosse inconcevable, dans une ornière dont il semble ne manifester que la nervure provisoire, en danger d’être et de demeurer. Il est comme absorbé par le fond qui semblait ne l’avoir exhaussé qu’à mieux le reprendre dans ses rets. Il y a confusion de l’espace-temps comme lame de surgissement avec ce qui en a jailli et menace, à tout instant, de retourner dans cette indistinction primitive. Cosmos rejoignant le chaos originel alors qu’il commençait à se donner comme possible ouverture à l’exister. Un instant, nous avions cru échapper au dessein de la Moïra, celle qui guide avec assurance nos pas dans la direction qu’elle nous impose, ce destin dont, toujours (pareillement à l’âme), nous parlons alors même que sa silhouette ne se révèle qu’à la mesure du drame, parfois du luxe d’exister, mais le cheminement est vite repris qui nous cerne d’une folie si ordinaire qu’elle en devient presque imaginaire. Et notre route se poursuit avec ses écueils, ses points géodésiques, parfois, du haut desquels de vastes paysages se découvrent. Oui, nous pensions en être quittes avec cette image rassurante que nous tendait, en première main, cette âme sur laquelle nous dissertons comme des aveugles évoquent avec lyrisme le fleuve, la colline, le bosquet absents de leur vision. C’est, en effet, soudain, comme si nous étions plongés dans le bain d’une lourde cécité. Nous sommes orphelins du monde, de l’autre, de nous-mêmes surtout, nous nous tendons la main sans pouvoir réellement la saisir, nous sommes scindés, traversés d’une schize qui nous écartèle et nous intime l’ordre de penser avec urgence notre condition, de saisir la moindre parcelle de notre essence qui voudrait bien consentir à s’allumer, quelque part, n’importe où, aussi bien dans les ombres de notre cortex, aussi bien devant, sur la porcelaine blanche et dure de nos sclérotiques. Mais combien nous sommes gourds, mais combien nous nous débattons dans une gangue boueuse qui ligote notre corps, soude notre esprit, nous remet à la mutité d’un menhir privé d’horizon, debout pour rien, seul, infiniment seul dans sa stature de pierre. Notre vue est si faible, à peine la lueur d’une bougie dans le jour qui vacille. Alors, nous regardons à nouveau « l’Âme », alors, à nouveau nous demandons au puits de nos pupilles de s’ouvrir afin que, la clarté pénétrant dans l’antre étroit, finisse par s’allumer la crypte de notre savoir. Nous regardons mais rien ne se passe qu’une intense souffrance, une douleur urticante étoilant le réseau magnétique de nos neurones. Ô fulgurances blanches, ô crépitements gris de nos dendrites qui n’ont plus de message à déchiffrer ! Soudain tout est noir, tout se dilue, l’anémone replie ses fouets, le poulpe ses tentacules, la conque referme ses mâchoires. L’âme est en fuite, nous la sentons s’écouler hors de nous avec la petite musique d’un suintement clair sur la pente de la falaise. L’âme, mais regardez-là donc, sinon elle en sa réalité, du moins ses manifestations, du moins ses infinis ruissellements sur l’aire dévastée de notre visage.

Vous qui êtes dehors, vous les Voyeurs de cet inestimable et étonnant spectacle, munissez-vous de vos stylos et écrivez, témoignez à la force de l’encre, à l’incision de la mine de graphite, ombrez vos feuilles pour dire l’indicible, éclairez-les d’une faille blanche si vous saisissez la moindre once de vérité, mais ne demeurez donc pas en vous avec les mains soudées au corps, vos langues muettes, votre pensée enroulée en colimaçon. Voici ce que vous direz à ceux qui veulent s’instruire des beautés du monde, dont l’homme est trop rarement atteint, mais qu’il sent comme le bien le plus précieux dès lors qu’elles font mine de s’absenter. Voici ce que vous direz, vos mains en porte-voix, du haut d’une colline de basalte, sous l’aire d’acier du ciel, en regard de la mer aux ailes immenses :

« Oui, le temps d’une malédiction est venu et les nuages sont lourds qui font leur bruit de tonnerre. Les hommes n’ont pas su voir leur âme et leur sort est indissolublement lié à cette coupable cécité. Mais voyez donc comme cette image sonne le glas de l’homme, combien elle est tissée de toute l’incomplétude des choses vaines et non advenues. Sur la terre du visage courent les stigmates de la désolation, les ravines du temps infécond, celui qui ne s’est pas ouvert faute d’avoir été compris. Le temps en son déploiement est l’envol de l’âme pour plus loin que toute distance, pour plus haut que le ciel, plus profond que l’abysse, plus rapide que l’éclair. Jamais elle ne s’arrête, bondissant de néant en néant, se sustentant de rien, respirant l’absolu, courant après l’infini. Cependant, elle eût fait halte auprès de l’homme, oui, de VOUS, plus longtemps, plus intensément si elle avait trouvé un refuge à sa dimension, un abri à sa convenance. Mais vous avez été un hôte insoucieux bardé d’ingratitude et de suffisance. Mais, chez vous, dans votre demeure d’albâtre et de stuc dont vous êtes si fier, avez-vous au moins un miroir, le reflet d’une « psyché » (l’âme se nomme ainsi, parfois), la réverbération d’une aire spéculaire afin qu’une fois, une fois seulement, vous pussiez prendre acte de ce qui vous englue et vous conduit à la demeure étroite de la chrysalide ? Avez-vous ? Et, à défaut d’un tesson de céramique, d’un verre de bouteille, que sais-je, d’un fragment de vitre, lustrez donc vos mains de cire et prenez acte de cela qui y apparaît. Mais qu’y apercevez- vous donc, si ce n’est ce front glabre et pierreux comme celui d’un mort, cet appendice nasal pareil à celui du comique nasique (mais chez vous la relation s’est inversée, ô combien !), cette molle protubérance de chair qui égoutte son insuffisance anatomique vers une pesanteur sans grâce. Mais qu’est-ce donc qui s’illustre sur ce désolant planisphère, si ce n’est l’aplat des joues si érodé qu’on penserait avoir affaire à une vieille laine usée ou bien à un mauvais lambris qu’une taraudante humidité aurait striée jusqu’à … l’âm … (j’ai failli commettre l’irréparable, vous attribuer ce que, jamais, vous n’aurez ; j’ai failli être parjure et vous confondre avec ce subtil principe dont vos mouvements syncopés de marionnette ne sont que de pitoyables parodies), strié jusqu’à … la corde, voici ce que dissimulait mon lapsus. Et cette coulure à l’aspect lie de vin qui tombe de vos cernes comme la prune chute de l’arbre. Sans doute vaut-il mieux que vous ne possédiez nul objet spéculaire, vous n’y apercevriez qu’un fantôme, une pelure d’humain avant qu’il ne sombre dans l’oubli définitif. Mais l’inventaire n’est pas fini. Il ne sera pas dit que je vous aie exempté de quelque peine, fût-elle légère à vos yeux ! Votre bouche, si l’on peut utiliser ce vocable prétentieux pour évoquer cette bonde carminée pareille à un sexe mutilé laissant fluer son sang. Si étroite. Si soudée sur un non-dit et, du reste, que pourriez-vous dire pour votre défense ? Tout est à charge et même les oiseaux du ciel, même les gentilles libellules vous condamneront sans l’ombre d’un remords ! Vous ne valez pas la langue pour vous exprimer, tout comme l’on dirait « la corde pour vous pendre. » Et quand bien même quelques mots s’échapperaient de votre ustensile buccal, ils n’auraient guère plus de vertu qu’un vague salmigondis, quelques éructations, feraient trois petits tours et votre « langage » s’étiolerait comme le feu-follet sur l’ombre maléfique des tombes. Être privé de parole, mais apercevez-vous combien vous frôlez le néant ? On prétend que certains animaux en possèdent un, langage, si vous m’avez bien suivi. Seriez-vous retombé dans un état identique à celui de vos lointains ancêtres (mais sont-ils si éloignés ?), de ces anthropoïdes qui n’avaient rien à envier aux pitreries des singes ? Et ne parlons pas de votre menton aussi piteux qu’une vieille galoche sous la pluie. Bientôt, soyez-en assuré, il tombera et le bas de votre visage ressemblera à un fond de jarre antique, en moins esthétique, s’entend ! Et vos oreilles, ces deux battoirs inconséquents qui flottent de chaque côté de votre belle physionomie, si semblable à des oriflammes sans gloire, vos oreilles que l’on présume sourdes. Pourquoi, du reste, se distingueraient-elles en quelque manière du désastre environnant ? Pourquoi ? Oui, le temps d’une malédiction est venu …»

« Oui, nous avons beaucoup dit, mais nous n’avons encore rien dit. Car nous n’avons pas parlé au sujet de vos yeux. Oui, le temps d’une malédiction est venu et votre absence de regard en est la preuve la plus patente, le cri le plus strident qu’ils puissent proférer. Oui, vos yeux crient, vos yeux poussent des lamentos, vos yeux exultent et leur clameur est assourdissante qui vrille les tympans, menace de les faire se disloquer sous l’insoutenable pression. Au lieu d’être ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être, à savoir des lacs accueillants incitant au repos et à l’accueil, ils n’ont jamais été, au mieux, que des braises vives, au pire que ces gemmes éteintes sur lesquelles ricoche la clarté à défaut de les féconder, de les ouvrir à la beauté et aux mystères du monde. Mais cette âme que vous revendiquez depuis la densité de cire du Musée Grévin, lequel vous accueille dans ses rayonnages lustrés de formol, dans ses archives empesées d’où s’absente la mémoire, mais cette âme est à des années-lumière de votre conscience et vous le savez si bien que tout votre visage concourt à énoncer, dans la plus vive clarté, ce renoncement à être. Car, voyez-vous, homme de peu de mérite, sans âme, l’homme que vous feignez d’être n’est plus qu’une dépouille en attente de soi qui n’atteindra jamais ses propres rives. Vous êtes au mitan de la tempête, dans l’œil du cyclone et le radeau auquel vous accrochez avec l’énergie du désespoir est celui de la Méduse et chaque coup de pinceau de ce brave Géricault vous enfonce chaque fois un peu plus, jusqu’à la goulée terminale. Vos yeux sont la signature la plus visible du désarroi qui vous atteint de fond en comble. Les pierres dures de vos yeux. Les iris de vos yeux, ternes comme des surfaces vert-de-grisées, comment pourraient-ils encore être les témoins de la belle jeune fille qui passe, du lustre d’un sublime maroquin dans le luxe ensommeillé d’une bibliothèque, du vol libre et blanc du goéland à contre-jour du ciel, du gonflement du goitre du caméléon à la robe arc-en-ciel, des taches pareilles à des îles du léopard, des rayures du tigre, de la lumière en demi teinte d’un Rembrandt, du génie des formes d’un Picasso, des tourbillons aquatiques d’un Léonard de Vinci. Comment ? Vos yeux sont de simples stalactites, des concrétions livrées à la puissance du minéral, des duretés obsidiennes, des résistances diamantaires, des occlusions que rien ne saurait traverser afin que quelque chose de votre intimité se métamorphose, que, soudain, vous surgissiez en plein ciel avec une manière de transcendance attachée à vos basques. La clarté vous eût-elle atteints, vous hommes de peu de présence, et alors vous seriez devenus ces baudruches gonflées, ces outres pleines de connaissance essaimant sous le zénith courbe les perles de votre savoir, la résine de vos méditations, le pollen de vos contemplations. Mais vos yeux étaient scellés, mais vos yeux étaient des barrages que nulle lumière n’aurait pu entailler. Car la lumière veut forer, car la lumière veut envahir l’homme et lui apporter le présent de la vérité, lui communiquer l’invisible et unifiante ardeur des choses révélées, lui insuffler la mesure déployante de la plénitude. Vous avez continûment été ces geôles à l’arrière de lourdes herses de fer, ces cachots enfouis quelque part, dans un lieu indéfinissable, aux confins des entrailles de la Terre, près du gong effrayant de la forge de Vulcain.

« Les yeux sont les fenêtres de l’âme », est-on accoutumés d’entendre. Or, les vôtres, vos yeux de platine ont refoulé vers l’extérieur la vérité qui voulait les traverser et féconder tout votre édifice intérieur. Comment accorder un lieu à l’âme alors que la croisée ouverte par laquelle elle est censée se nourrir de l’essentiel est cadenassée par une volonté obstinée de ne point connaître ? Car vous avez été cette demeure hautement schizophrénique, cette monade sans meurtrières, cette forteresse hautaine verrouillée sur son orgueil, vous estimant, sans doute, cette île hauturière à laquelle ne pouvait accoster nul Principe, fût-il le plus prometteur d’existence, le plus donateur de présence, le plus enclin à vous mettre en face de votre être avec la certitude « d’y être » enfin. Vous avez été le lieu géométrique d’une utopie sans même vous apercevoir que le réel, un jour, pourrait vous atteindre. Vous vous êtes dépouillés de vous, dont il ne demeure plus que d’insondables et étiques silhouettes pareilles à la feuille d’automne emportée par le vent. Oui, le temps d’une malédiction est venu et les nuages sont lourds qui font leur bruit de tonnerre. »

Mais rien ne sert d’épiloguer, puisque privé d’âme, tout comme vos semblables, vous êtes sourd, muet, aveugle, paralytique, loin au-delà de ce que vous auriez pu devenir à l’aune d’un regard plus attentif. Nous vous abandonnons, là, emmuré dans votre belle toile, tellement confondu avec le fond qui vous a donné naissance mais dont, jamais, vous n’avez pu émerger, vers lequel vous avez cinglé tout au long de votre vie de manière à vous confondre avec votre indistinction native. Certes l’art vous a rendu quelques couleurs, vous a attribué quelque présence, vous a mis en demeure d’exister, de sortir du néant, l’espace de quelques coups de pinceau, le temps que nous avons accordé à la contemplation de l’œuvre qui, un instant, vous a exonéré de votre tragique condition. L’art, cette transcendance, cette sublimation de l’âme en ce qu’elle a de plus précieux à nous montrer, dont toujours nous sommes les porteurs à défaut de bien le savoir. Demeure en son énigme, voilà où l’âme nous a conduits au cours de cette brève méditation. Tout naît de l’énigme qui fait sens. Voilà la seule certitude !

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Published by Blanc Seing - dans L'Instant Métaphysique.

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