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14 mai 2016 6 14 /05 /mai /2016 07:59
Quel souvenir de vous ?

Photographie : Nadège Costa.

Tous droits réservés.

Quelle vision de vous dans cette brume solaire qui semait ses flocons dans l’air alangui ? Les idées étaient de simples boules de coton, les pensées de lentes chutes de grésil dans la torpeur du jour. Imaginer, seulement, tenait déjà du prodige. Rêver était comme de se trouver en sustentation au-dessus de quelque lagune prise de doute et d’ennui. Votre image, cette effraction de vous dans la trame du jour, était-elle autre chose qu’une hallucination, le début d’un vertige, la perte de soi dans le labyrinthe de l’esprit ? Exister était l’œuvre du funambule avec l’ouverture de l’abîme et son incroyable illisibilité. Vivre se pouvait encore mais à la manière du grésillement de la flamme dans quelque catacombe que les courants d’air ossuaires menaçaient à tout instant de moucher, de reconduire à l’étroitesse du rien. Etiez-vous bien réelle, étiez-vous résurgence d’un passé enseveli, simple filet d’eau claire venant dire la marche syncopée de l’heure, l’ébruitement mortel des secondes, l’étau du temps serrant ses mâchoires ?

Je piochais ma mémoire, je priais la moindre des réminiscences d’ouvrir les feuillets du passé, d’en exhumer la plus infime bribe qui, signifiant d’elle-même, eût pu apaiser l’angoisse, apporter réponse, poser un baume sur une trop vive brûlure. Car, à essayer de me saisir de vous, c’était moi que je dépouillais et je gisais parmi les errances mondaines avec les mains vides et la vue hagarde. Pareil au prisonnier dans sa geôle qui voit passer devant lui la corne d’abondance et n’en peut saisir les fruits, leur rutilance, leur moirure, ce qui aurait été un apaisement pour l’âme. Alors, que me restait-il sinon à dresser les tréteaux de l’illusion et d’y jouer une brève comédie ? Il me fallait m’absenter de moi afin que, de vous, pût se montrer une possible présence, fût-elle fugitive à la manière d’une enfance oubliée qui ne veut plus raconter sa fable. Alors voici ce qui se produisit et envahit la totalité de ma conscience, m’amenant au bord des rives bourgeonnantes et illusoires du rêve. D’abord, votre apparition fut celle d’une courtisane de la Belle Epoque, peut-être un genre de Colette affranchie et sérieuse en même temps, énigmatique et séductrice. Même regard au loin de soi, même perdition dans quelque songerie sans fin, peut-être même sans objet. Même visage ovale cerné dans son liseré exact, même teinte de feuille morte, même coiffure courte disant la femme nouvelle, libre de soi, libre des autres. Même geste de la main, cet envol vers ailleurs qui ne dit ni son but, ni son vouloir pas plus que le sens à donner à ce qui paraît intangible, inatteignable. Mais un être, quel qu’il soit, est-il jamais à portée, visible, préhensible en quelque manière ?

Quel souvenir de vous ?

« Colette buissonnière ».

Source : Bibliothèque de Rennes.

Mais, à vous envisager sous la figure de l’écrivain de « Chéri » et, déjà, je me perdais dans un possible événement, je tissais les contours d’une anecdote, j’édifiais les fondations d’une histoire. Il fallait être plus discret, plus circonspect, laisser au songe la liberté de ses mouvements, ses souples ondulations, ses mystérieux arcanes et l’indistinction native qui les accompagnait. Il me fallait le voile et la brise, le nuage et l’oiseau, le vol et l’apesanteur. Il me fallait vous rendre si peu réelle, l’élan du colibri butinant la corolle blanche. Un aspect, la simple tonalité de la source recueillie dans l’ombre bleue, une impression, un reniement de chaque chose à même sa révélation. Vous étiez un teint, mais plus adouci, moins marqué que celui de Colette, moins buriné par l’événement, un genre de porcelaine sur laquelle glissait la lumière, infiniment. Je vous imaginais sous les traits de la geisha, hiératique sous son kimono noir, épiphanie si hermétique qu’elle semblait refléter l’absolu, regarder l’infini. Nulle trace d’émotion, nul lexique de la face par lequel s’immiscer à l’intérieur d’une biographie. Le lisse, simplement, le continu, la falaise devant laquelle glisse le vol aérien des mouettes et gire le cercle des goélands. Une perdition hauturière, un passage, une dérive que rien ne semble devoir distraire de son but. Un écart de soi que tout pourrait féconder mais qu’un suspens maintient à distance. Citadelle de craie dont la porte fermée suscite le désir de la mieux connaître.

Quel souvenir de vous ?

« Geisha ».

Source : Wikipédia.

Et puis il fallait vous rendre encore plus éloignée d’une hypothèse vraisemblable, il fallait vous reconduire à l’émergence de la clarté sur la pente douce d’un céladon. Tout comme lui, le céladon, vous possédiez cette anonyme chute vers un inconnu, cette discrétion à faire phénomène à l’aune d’une esquisse dont le regard oubliait vite la rapide phosphorescence. Et ce reflet sur les mèches de cheveux, ce vert-de-gris semblable à un lichen, ne s’inspirait-il pas de la volonté de cette terre cuite à n’apparaître qu’à l’aune d’un simple reflet, d’une chose de la nature dont le projet était, précisément, de retourner à sa rumeur primitive ? A vrai dire, je ne saurais préciser si votre image était le pur produit de mon esprit, une vision hallucinée comme peut en donner la prise de mescaline ou la consommation d’opium, la réverbération d’un événement - vous aperçue sur le quai d’une gare, sur le siège de moleskine d’un train, ou bien la main levée agitée au-delà de la coupée pour un lointain voyage ? -, vous dont l’irréalité est cela même qui me parlait un langage venu du plus loin du songe et qui vous installait dans le luxe d’une Reine de Saba, vous dont on prétendait que vous étiez sublime, sage, intelligente, ce dont le Roi Salomon faisait le vibrant éloge. Etiez-vous une légende que l’Histoire aurait enfouie au plus profond de ses archives ? Etiez-vous poème antique que ne chanterait plus aucun aède ? Etiez-vous simplement, celle que j’imaginais et qui n’aurait jamais d’autre réalité qu’une aimable fantasmagorie ?

Quel souvenir de vous ?

Céladon

La Gazette Drouot.

Non, ne répondez pas. Demeurez celée dans votre secret, fantôme de la Belle Epoque, sourire immobile de geisha, doux mystère du céladon, mythe de Saba enfoui dans les sables de l’oubli. Telle est votre gloire, celle de n’apparaître que dans le retrait qui vous occupe et vous dépose sur le bord du monde, telle l’énigme que vous êtes !

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