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21 décembre 2015 1 21 /12 /décembre /2015 09:14
Là où l’homme est de surcroît.

" Car tel est mon royaume 1 ".

Les Hemmes de Marck vus de la plage.

Photographie : Alain Beauvois.

« Conditions très difficiles de prise de vue, en pleine tempête, il a fallu bien protéger l'appareil et le photographe décidément " dans le vent "...J'aime aussi beaucoup cette photo, car, avec le vent, le sable et certaines lumières, la plage se mue… en mer ... »

A.B.

JOUR - La mer s’est retirée au fond de quelque abysse. Il n’en reste plus que des flaques brillant au soleil, une odeur d’iode et de varech, le souvenir de sa rumeur. C’est l’heure des hommes. C’est l’heure des « travaux et des jours ». La ruche des Existants s’est ouverte aux rayons de lumière. Partout vole son pollen, coule son miel en longs rayons de cire. Partout sont les trajets multiples, les langages polyphoniques, les déplacements polychromes. Un genre de vertige qui s’empare du sable, le disperse en tourbillons, en spires claires montant le long de l’étoffe du ciel. Partout on est livré à cette démesure, à ce bonheur immédiat qui consiste à proférer avec emphase ce qui s’empare de vous, à le faire connaître à la communauté. Incessant ballet des chars à voile, triangles aux vives couleurs s’imprimant sur l’azur, ornières des roues mordant le sable, silhouettes des hommes pareilles à des insectes collés au sein de leur toile. Et le rythme de la course des chevaux, le martèlement du sol, cette percussion régulière qui frappe jusqu’au socle de la terre, entendez donc son battement de gong, on dirait les tambours de bois de Polynésie et leurs échos infinis, pareils à une incantation. Mais où sont les esprits qui leur répondront ? Existent-ils au moins autrement que dans notre imaginaire ? Les promeneurs, aussi, sont nombreux sur « L’Ansérienne », traversant dunes et pinèdes, se gavant d’images qu’ils enfouissent dans les plis de la mémoire. Partout est le mécanisme qui fait tourner ses rouages, minuscules pièces d’horlogerie s’emboîtant avec une précision toute logique, comme si un grand géomètre avait réglé la cérémonie avec la justesse de la raison. Sur l’immense plateau de sable, on fouille et on gratte. On s’agenouille, genoux plantés dans la vase. Ici surgissent les coques avec leur drôle d’infimes geysers. Là, frétillent dans une mare, les crevettes que l’on saisira du bout des doigts, crevettes surprises qui se débattront en cambrant vigoureusement leurs queues d’écaille. Là encore l’armée des « verrotiers », ces dénicheurs de minuscules vers dont leur ligne sera ornée, en attente du poisson d’argent jetant ses feux dans les rayons du crépuscule. Là est la grande marée humaine succédant à celle de la mer. Là est l’agitation, le tremblement, la fièvre alors que, retirée au fond de son silence, l’eau paraît dormir, comme prise d’un sommeil éternel.

CREPUSCULE - AUBE - Les hommes sont partis ou ne sont pas encore présents. Ils dorment sans doute, serrant leurs poings indociles sur des rêves d’enfants. Images qui traversent les cerneaux de matière grise, y essaimant des filaments de joie, y imprimant quantité de vivants palimpsestes. Glissement des dentelles oniriques, confluence des réseaux complexes des songes, fuyantes esquisses vivant de leur propre fuite. Sur l’écran blanc de leur sclérotique, pareil au dôme d’un planétarium, se percutent mille sèmes venant dire la nécessité du repos, du ressourcement de la nature alors que les hommes sont rentrés au logis. Peu à peu se dissolvent les fables diurnes, s’étiole le bourgeonnement pléthorique des activités, les longues digressions, les rhétoriques bavardes. Voici qu’apparaissent, tels des contes pour jeunes enfants, des gravures apaisées telle qu’on peut les retrouver dans de vieux manuels enfouis dans le silence d’un coffre. La raison raisonnante a cédé la place à l’intuition. L’envie rubescente au luxe du phénomène simple, originel. Tout est soudain apaisé qui lisse la conscience de sa palme sereine. La meute anthropologique a disparu pour céder la place au régime naturel, à son harmonie immémoriale, à sa respiration de vent, à son écoulement d’eau, à sa destinée de temps long que mesurent flux et reflux comme reflet de l’infini. Car ici, sous le ciel privé d’attaches, tout contre le monde aquatique en sa liberté, c’est de cela dont on est affectés jusqu’au tréfonds de l’âme, on est pris d’un sentiment de vastitude alors que la fourmi humaine n’est que cette brindille inaperçue flottant au monde du sein de sa propre vacuité. Rêves, amplitude libre, plus vraie parfois que le réel lui-même. Si beau carrousel d’icônes de la beauté. Hissés tout en haut de leurs longues pattes, ces sarments si minces qu’ils pourraient se rompre à tout instant comme une tige de verre, les limicoles fouillent inlassablement la vase de leurs becs gentiment inquisiteurs. Bécasseaux variables aux plumes teinte de feuilles mortes, avec le poitrail moucheté de cendre grise, ventre se perdant dans la nuit assourdie d’un noir que l’eau reflète. Marche hésitante des sanderlings à la robe modeste si proche de l’aspect de la châtaigne. Glissements furtifs des pluviers argentés au dos parcourus d’écailles brunes et blanches, au poitrail tel du bitume, ils sont si discrets qu’on croirait à une légende qui dirait le paysage en mode silencieux. Il y aurait tant à dire sur ce peuple des marais et des plages, sur l’à peine parution du Bruant des neiges, l’élégance de l’alouette hausse-col, sa blancheur se confondant si bien avec la neige, la délicatesse de ses ailes semblables à un fin corail, la tache foncée faisant un masque autour du bec, tout près de la prunelle des yeux. Et comment ne pas habiller ses rêves de la présence si rassurante, tout empreinte de quiétude, des phoques ayant choisi comme site le Phare de Walde, cet autre grand échassier regardant la mer du haut de sa résille de fer ?

Voici ce que la nuit, le crépuscule, l’aube disent aux hommes : la nécessité du ressourcement, la rencontre des eaux originelles, les longues épousailles du ciel et de la terre. Sans doute les activités des hommes ne sont-elles pas condamnables, elles sont le contrepoint culturel à la donation permanente de la Nature, à la générosité du paysage, à l’accueil en son sein de ce qui croît et se projette dans l’avenir. Ce qui doit avoir lieu, cependant, c’est l’écoute du monde, le rythme des énergies primordiales, la connaissance des puissances fondatrices. Un peu partout, dans tous les pays, se développent les « Conservatoires du littoral » afin que soient protégés des lieux d’exception, que perdurent des populations animales en danger de disparition, que se régénère une flore rare. Nécessité que ces initiatives qui sanctuarisent des espaces et les mettent à l’abri des dégradations. Et si de tels lieux deviennent des « sanctuaires », alors qu’ils le soient à l’aune de leur signification étymologique : « lieu le plus saint d'un temple, d'une église ». C’est bien au sacré que se rapporte cette définition. Elle met en exergue cette disposition de l’humain qui le situe en tant qu’existant et le place en dette face à ce qui l’abrite et le met en sûreté, cette terre, cette mer, ce ciel, sans lesquels nous ne serions rien qu’une diversion passagère du vivant et comme un hoquet de l’Histoire. Sans doute notre destin est-il de plus haute valeur. L’homme n’est « de surcroît » que s’il a failli à sa mission originelle de fondateur d’un lieu. Sans doute n’est-il en quête que de cela. Du moins voulons-nous le croire !

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