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25 avril 2016 1 25 /04 /avril /2016 08:52
Elle qui sauvait le monde.

« Variation autour de
Mir
anda. »

Œuvre : André Maynet.

Au début il n’y avait Rien. Sur ce point la plupart des Existants étaient d’accord. Mais les choses se compliquaient dès qu’il s’agissait de donner une forme à ce Rien. Les uns disaient que Le Rien était un absolu dont on ne pouvait même pas parler puisque émettre une parole à son sujet c’était le faire venir dans la présence. D’autres disaient que le Rien était un carré dont on avait enlevé les quatre côtés ou bien un cercle dépourvu de centre et de circonférence. D’autres encore l’envisageaient sous les auspices d’une tabula rasa dont rien n’émergeait que le Rien lui-même. Tout ceci, à l’évidence, ne reposait que sur des propos sophistiques et des arguments d’habiles rhéteurs dont on eût vite fait de démonter les mécanismes si l’on s’en était donné la peine. En réalité voici comment l’origine prit lieu et temps. Certes au début il n’y avait Rien, puis, soudain, il y eut Quelque Chose. Par quelle grâce ceci pouvait-il s’accomplir : par l’entremise d’un subtil démiurge, à l’aune d’une percussion d’atomes, à la suite d’un éternuement des dieux, eu égard à la puissance d’une Idée trouvant à s’actualiser ? Nul ne pouvait prétendre en décrypter le mystère. Ce qui était certain, en tout cas, c’est que Louve était présente sur l’aire lisse du monde et qu’on ne pouvait l’annuler à la seule force de sa volonté. C’est comme cela, parfois, il y a des surgissements qui deviennent des vérités incontournables, dont il paraît souhaitable de les accepter plutôt que de chercher à en faire une démonstration vouée d’avance aux gémonies. Donc sur un plateau aussi dénué de relief que la face immobile d’un lac se trouvait Louve avec, accrochés à ses tétines, deux jumeaux s’allaitant du lait nourricier. Bien sûr tout le monde aura reconnu les mythologiques personnages de Romulus et Rémus dont on prétend qu’ils fondèrent Rome l’Immortelle. Mais ils firent bien plus que cela, par leur action empreinte de résolution ils donnèrent forme au monde en son ensemble. Ne souhaitant nullement demeurer aux yeux de l’Histoire comme de simples observateurs de vautours décidant de l’emplacement d’une cité, fût-elle en tous points remarquable, ils se dotèrent des instruments qui leur permettraient de jouer le jeu infini du monde : une boîte de Meccano et une autre de Lego dont ils firent l’alpha et l’oméga de tout ce qui s’élèverait au-dessus du Rien dont la Louve, leur mère, s’était extraite avec vaillance et détermination. Donc ils assemblèrent briques et poutrelles, pièces de liaison et rouages, vis et écrous, faisant progressivement apparaître, les libérant du Rien, mottes de terre et boqueteaux, douces collines et frais ruisseaux, nuages et oiseaux, montagnes et mers, couronnant le tout d’une kyrielle de petits bonhommes dont la simple et heureuse apparence ne le cédait en rien à leur inclination à jouer de tout ce qui se présentait, aussi bien le vol flûté d’une abeille ou bien le grondement du torrent sur son lit de pierres. Donc Garçons et Filles, les premiers prototypes du genre humain, avaient tout d’abord exercé l’art de construire, d’édifier et de faire croître, partout où c’était possible, l’arche fécondante de l’humain. Seulement c’était sans compter sur la pente naturelle de l’homme, quelques galopins s’ingéniant bien vite à déconstruire ce qui avait été patiemment construit. C’est ainsi tout retourne au chaos dont il provient avant que de se dissoudre dans cet insaisissable Rien dont des générations de philosophes distingués ont fait leur fond de commerce sans bien savoir qu’au bout du bout se situait une inévitable faillite.

Donc les gamins avaient fabriqué à tour de bras, machines et automobiles, usines et barrages, hautes cheminées et foyers rutilants, trains à grande vitesse et aéroplanes au fuselage d’argent qui traçaient dans le ciel immaculé le chiffre de leur puissance. Toit ceci aurait pu durer une éternité si l’on avait pris soin de l’inventer, l’éternité, mais il y avait eu comme un oubli tragique qui avait installé un temps fini avec ses multiples rouages, ses barillets, ses cliquets qui, chaque seconde qui passait, décomptait les secondes restantes pour chaque destin qui s’était confié à la grande horloge de la vie. Et la peau de chagrin accomplissant sa vertigineuse mission, le temps étrécissait, serrant dans son étau mortifère les têtes chérubiniques aussi bien que les démoniaques et les vides de pensées. Autrement dit il semblait que l’on avait affaire à une confondante engeance obsédée du mouvement de sa propre perte. Zébrant le ciel de leurs sillages blancs, les avions sciaient la branche sur laquelle les humains étaient assis. Dégageant de fuligineuses fumées qui peignaient les nuages en gris, les usines sapaient leurs fondations. Moulinant sans cesse l’eau claire des fleuves les barrages détruisaient la belle harmonie de l’onde. Parcourant jusqu’à la moindre parcelle de poussière, les automobiles se faisaient les fossoyeurs des rubans de bitume qu’elles visitaient à la vitesse de l’éclair avec une manière de rage au ventre. Le problème de tous ces rejetons du Lego et du Meccano réunis, c’était l’implacable logique, la nécessité ancrée dans la moindre parcelle de leur architecture qui les poussait à célébrer l’éternel retour du même, réduisant à néant leur fulgurante progression.

Alors le Déluge avait eu lieu qui avait tout emporté sur son passage, hommes et bêtes, maisons et arbres, forêts et collines, rivières et colifichets patiemment entassés par les candidats à l’existence. Bientôt, de la prodigieuse ascension des hommes en direction de leurs sidérants désirs, il ne resta plus qu’une immense désolation, un champ de ruines, quelques tessons de poterie pour les archéologues futurs, si, du moins, un jour, ils trouvaient à habiter un corps. Vraiment, l’activité avait tourné court, la loterie n’avait délivré que de mauvais numéros ; le jeu de l’oie ouvert ses prisons, offert ses cases où il fallait passer son tour en attendant des jours meilleurs ; les petits chevaux édifié des écuries dont on ne pouvait sortir tellement les dés s’entêtaient à ne produire que les chiffres du néant. Voici, tout était à recommencer. Le Déluge cessa, cueillit ses eaux délétères, laissant la place à la Tempête qui en était, si l’on peut dire, la forme hypostasiée, manière de gentille euphémisation dont ou pouvait déduire que les choses allaient pouvoir s’arranger, que, bientôt, le soleil brillerait à nouveau sur les têtes angéliques des effigies humaines.

Et, en effet, c’est bien ce qui se produisit à la simple apparition de Louve. Mais une Louve métamorphosée, se tenant debout, n’ayant conservé de ses pléthoriques tétines que deux minuscules éminences, lesquelles témoignaient encore de son destin de génitrice originelle, de son statut de donatrice de vie. Ses cheveux tombaient en cascade le long de sa tunique d’albâtre, le bas de son anatomie était serré dans un justaucorps blanc, ses jambes fines et divinement arquées reposaient sur la glace du sol qui réverbérait sa douce présence. Sa main gauche ajustée à son flanc, tenait dans une manière d’inapparence souveraine un fil à peine visible au bout duquel, hissé sur des montants de bois mince, flottait une mappemonde. Des continents y figuraient dans un genre de si belle harmonie qu’on se fût disposé instantanément à y établir son règne pour le temps qui nous serait affecté. Voilà donc ce qui était advenu et recommençait, initiant à nouveau le cheminement de la belle aventure humaine. Car les hommes, depuis la retraite forcée que leur avait assignée le Déluge, avaient tourné mille fois leur langue dans leur bouche, touillé quantité de pensées dans l’enceinte de leur tête, enfanté pléthore d’attitudes éthiques dans la blême oscillation de leur âme. Maintenant, sous la conduite éclairée de Louve-la-belle, ils se tenaient dans la disposition à aimer tout ce qui était autre : la terre, l’oiseau, le frère humain, la course arquée du soleil, la lumière de la primevère, le chant du hibou, le sentier dans les bois, la marche au sommet de la colline, la pliure d’eau de la vague, l’ascension de la Lune sur la toile de la nuit, la comptine de l’amour, les manifestations étoilées de l’art, le balancement sans pareil de l’amitié, parce que c’était lui, parce que c’était moi, la grâce sans équivalent du geste gratuit, la main tendue à celui, celle qui étaient dans le besoin, la contemplation du firmament avec le poudroiement de la Voie Lactée, le grésillement du grillon dans les hautes herbes d’été, le clignotement du lampyre pareil à l’éveil de la conscience lorsqu’elle vise les chose adéquatement.

C’était tout cela que Louve traînait à sa suite dans ce si beau retrait, cette belle innocence du regard, dans la modestie de son apparence, dans la jarre prolixe de son corps qui s’ouvrait en Babel dès qu’on lui réclamait du sens, qu’on s’adressait à elle dans des pensées claires et intelligibles, les seules dont l’homme devrait être porteur à la cimaise libre de son front. Oui Louve-Babel, nous te voulons. Oui Génitrice-fontaine de beauté nous te remercions de nous abreuver de ton eau pure comme le cristal. De ce luxe immédiat nous voulons être atteints. Du Rien nous voulons nous exonérer car il n’y a pas de plus beau présent que la Présence elle-même. Nous puiserons à ton eau. Oui, à ton eau ! Merci d’être là et d’y demeurer dans cet inestimable luxe. Oui, inestimable luxe !

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