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8 juin 2016 3 08 /06 /juin /2016 07:13
Giboulée et l’escarpolette.

« Giboulées... »

avec Marthe sur une balançoire...

Œuvre : André Maynet.

Giboulée, tel était le nom de cette fille encore enfant et nul ne se fût étonné de ce plaisant sobriquet, qui l’eût fréquentée plus d’une heure durant. Car Giboulée portait son nom à ravir, aussi bien qu’elle portait son corps dans le rayon de lumière avec la grâce dévolue aux instincts primesautiers. Mais il faut, d’abord, se fier au dictionnaire pour en connaître l’exacte inclination : Giboulée : Averse soudaine et violente, accompagnée de vent, de grêle, parfois même de neige, fréquente au début du printemps, surtout en mars. Donc, vous l’aurez compris cette sublime apparition était marsienne en diable, ce qui veut dire que Mars la traversait constamment avec le même empressement qui caractérise l’enfant espiègle en quête de quelque bêtise. Dès que le flot du temps lui en laissait l’occasion, elle se hissait sur l’escarpolette (elle aimait ce mot délicieusement désuet qu’elle dégustait à la manière d’une friandise) et se laissait aller aux rythmes et oscillations qui convenaient à son constant caprice. Et nul ne pouvait se fier aux apparences car, toujours, sous l’accalmie couvait la tempête, sous le sourire le coup de griffe qui pouvait vous être fatal. Quant à sa versatilité légendaire, jamais vous ne saviez si c’était le soleil qui vous caresserait de sa palme vermeil ou bien la glace qui entaillerait votre âme à l’aune de ses lames tranchantes. Ceci faisait, tout à la fois, son mystère, son attrait, la répulsion que parfois elle inspirait, mais surtout, la curiosité dont elle était l’objet dès qu’aperçue. Les prétendants, par milliers, attirés par ce sublime et continuel ondoiement se seraient volontiers affrontés en duel si le rituel en eût encore été au goût du jour. Car, voyez-vous, si l’ordonnancement adéquat des jours, leur écoulement régulier, sans entrave aucune, constitue un baume pour l’esprit, son exact contraire, la surprise, l’étonnement, le froid rencontré en lieu et place du chaud, voilà de quoi tenter plus d’une existence, ne fût-elle point aventureuse et seulement versée dans le doux molleton de la quiétude. Pour en référer au domaine de la mythologie, elle s’inspirait volontiers des frasques et facéties de ce bon Dionysos dont tout le monde sait qu’il lui plaît de s’enduire le corps du jus pourpre de la vigne et de s’enivrer afin que, de cet état, pût résulter l’infini vertige de la vie.

Mais, de la vie, précisément, il en va comme des rivières dont, jamais, on ne peut prévoir le cours, ou bien méandres coulant paresseusement entre des rives herbeuses, ou bien rapides cascadant sur un lit de galets ou parfois large lagune immobile avant de rejoindre le majestueux océan. Et comme la surprise n’était pas le moindre événement dont Giboulée pouvait agrémenter chacune de ses apparitions, voici qu’un jour, au hasard de mes pérégrinations, longeant un paysage vide et blanc semé des corolles rose thé de quelques fleurs, la voilà qui se tient dans une attitude si apollinienne, si empreinte de calme et de silence que même l’escarpolette n’oscillait plus et que la Divine se tenait sous le charme d’un rayon de lumière, sorte de diagonale grise qui traversait l’espace avec la belle sincérité d’une clarté purement spirituelle. Et, du reste, l’on ne savait si ce faisceau sortait de terre et s’élevait en direction du ciel ou bien s’il s’agissait de l’inverse, d’une lame céleste qui venait visiter la terre. Le galbe de son corps était tendu avec l’impératif de la perfection, visage dissimilé dans la pénombre du doute, torse légèrement vrillé, bras semi-tendus dans le geste d’un abandon qui se serait repris, bouton de l’ombilic discret, absence de toison pubienne, jambes effilées et étroites, pieds joints comme pour se protéger de quelque intrusion. La pose était si hiératique, si confondue avec la lumière qui la fécondait qu’on eût cru avoir affaire à quelque angelot issu de l’écume d’un nuage. Et ce qui, par-dessus tout, était confondant, c’était cette immobilité qui faisait contraste avec l’idée même de balancement dont était porteuse la planche et les deux cordes de l’escarpolette. Et je dois dire que ce lexique archaïque, ce mot qui, sans doute aujourd’hui, soulèverait quelque sourire sinon une gentille moquerie, donc ce mot tournait autour de ma tête avec un bel entêtement. Une image lui était associée dont je ne parvenais pas à tracer les contours. J’étais sur le point de renoncer à mes recherches lorsque, soudain, comme surgie de l’ombre, une toile se mit à envahir le champ entier de ma conscience. J’y reconnus, sans peine, la belle œuvre de Fragonard intitulée Les Hasards heureux de l’Escarpolette.

Giboulée et l’escarpolette.

Les Hasards heureux de l’Escarpolette.

Jean-Honoré Fragonard.

Source : Wikipédia.

C’est avec un évident plaisir que je retrouvais cette scène galante qu’à mon humble avis la présente figuration dépassait avec une belle audace. Et voici que me revenaient en mémoire les paroles mêmes du Baron Saint-Julien, receveur des finances du clergé déclinant ses desiderata au peintre Jean-Honoré :

« Je désirerais que vous peignissiez Madame sur une escarpolette qu'un évêque mettrait en branle. Vous me placerez de façon, moi, que je sois à portée de voir les jambes de cette belle enfant et mieux même, si vous voulez égayer votre tableau ».

Ce bon clerc, outre qu’il souhaitait une belle œuvre, mettait à nu les facettes de son désir. Sans doute son état ne lui permettait-il, officiellement, de ne fauter qu’à l’aune d’une représentation, la chair, la vraie, la douce et palpitante se trouvant, sans doute, délivrée par Lucifer en personne. Aussi, se résignait-il à n’entrevoir qu’une paire de jambes, lesquelles mises en branle par un évêque, devenaient l’antre révélé de tous les plaisirs. En un tour de main, il possédait non seulement la Belle mais aussi son Supérieur dans l’ordre sacerdotal, ce qui n’était pas une moindre affaire ! Mais voilà où pêchait (puisque, toujours dans le religieux, il s’agit de peccamineux) l’œuvre contemporaine, qui dévoilait bien plus que demandé, la nudité mise à nu si l’on peut dire, donnant d’une main ce qu’elle retirait de l’autre, cette possibilité pour le Modèle d’être offerte alors qu’elle se voilait à même sa posture si discrète, si pudique qu’on aurait cru à l’évanescence d’un rêve, à la fuite rapide de l’imaginaire. Et voilà, par-delà le temps, notre clerc bien embarrassé qui, croyant embrasser à discrétion, n’étreignait que le vide et le reflux d’une belle féminité dans l’orbe de son mystère. Tel est pris qui croyait prendre, selon l’adage connu. J’imagine assez bien la rétroversion de l’anecdote, clerc empêtré dans son désir, poussé vigoureusement par l’hôtesse de l’escarpolette, évêque mirant par-dessus sa mitre les froufrous du clerc contenant à grand peine les volutes et circonvolutions de sa vêture, se désespérant de dissimuler ce qui ne saurait être montré au grand jour. On est toujours puni par où l’on a pêché. Voici la morale de l’histoire puisqu’en ce XVIII° siècle il convenait, le plus souvent, de terminer une fable de cette manière, morale, édificatrice, donneuse de leçons. Quant à moi, éternel rêveur, je ne désespère pas de reconduire Giboulée de sa réserve apollinienne à sa diablerie dionysiaque. En réalité, je suis un clerc en habit de laïc !

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