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12 juillet 2016 2 12 /07 /juillet /2016 08:54
Du bronze au monotype.

Bronze – François Dupuis.

Nécessité du bronze.

D’abord il y a la terre, souple, ductile, malléable, la terre infiniment disposée à être modelée, maniée selon quantité d’esquisses différentes, jeu de formes qui semblerait inépuisable, infiniment mobile. La lumière glisse sur les bosses, s’invagine dans les creux, rebondit sur les lignes de crête, se love dans les dolines. Poème du jour à même la fluence, la docilité des choses. C’est une ivresse que de constater ceci, de laisser voguer son esprit au rythme lent des vagues d’argile, mince océan doté de virtualités qui paraissent inépuisables, constamment ressourcées à l’aune de cette belle plasticité. Puis il y a les mains de l’Artiste, ces deux battoirs placés au bout de la conscience, ces deux outils artisanaux qui veulent discipliner les formes, les organiser en cosmos, donner lieu et temps à un thème esthétique. Ce sera donc un visage avec ses traits saillants, ses rides, le fossé de ses vergetures, le rictus d’une volonté, l’affirmation d’un maxillaire, le creux dans lequel reposera le cratère d’un regard, s’archiveront les images ayant foré la pupille depuis le décret de la naissance. Peut-être même avant, tant de choses existent qui demeurent scellées, inapparentes. Les doigts sculptent, polissent, ôtent de la matière, rajoutent un colombin ici, une éclisse de terre là, les index nervurent la pâte, la domptent, la disciplinent, l’amènent à parution telle qu’imaginée par Celui qui a le pouvoir de métamorphoser, d’amorcer une genèse, de déposer son empreinte, là, au creux du vivant où la liberté est si grande qu’en pourraient résulter mille épiphanies dont aucune ne serait plus vraie qu’une autre. Seulement question de moment, de hasard imprimé dans l’intimité d’un microcosme, d’intuition trouvant sa propre assise, ces lignes, ces retraits, ces écailles qui disent la présence d’une création, son urgence à devenir car le geste lancé nul ne saurait l’arrêter qu’au prix d’une annulation de ce qui est appelé à croître, tel le végétal qui lance sa ramure dans le ciel. Bientôt surgit de l’informe le dessin d’une figure qui, bien plus qu’ordonnancement de lignes, se constitue en dessein, en projet disant quelque chose de l’homme. De celui de terre qui n’est que l’écho de celui de chair qui lui donne le souffle et son âme en partage. Mystère de la parution qui fait éclater le réel. La sellette, son plateau tournant, deviennent le support du monde, le lieu de rassemblement des énergies, le creuset d’une puissance qui était en réserve depuis des temps immémoriaux, car toute œuvre a existé de tout temps et existera toujours en vertu même du principe transcendant qui l’habite et en nervure l’être.

Oui, il y a ébauche de visage, il y a vie logée au creux de la matière, cette imperceptible étincelle qui, depuis l’intérieur des corpuscules de terre se propage jusqu’à nous afin que nous en saisissions le langage, en percevions l’essence singulière. Nous, les hommes, qui sommes les seuls à pouvoir en déceler le tremblement, l’irisation. Puis il y a l’action de l’air, le temps du séchage qui vient compléter, naturellement, le sceau originel, l’amorce de ce qui fera œuvre et s’installera dans le flux du paraître. Puis il y a le feu, la fusion, le métal qui épousera le moule initial et accomplira ce qui avait été initié, la mise en acte d’une figure qui devra installer son règne parmi la multitude, se loger quelque part dans une position fixe au milieu des convulsions du monde. Bientôt sera le bronze poli, brillant à la belle teinte d’infini et d’irrévocable présence comme si une pellicule d’éternité en avait glacé la surface, faisant se lever la belle dialectique de l’éclair de l’instant et de l’immobilité de la durée.

Car voici que l’image qui était infiniment mobile depuis sa nature première de terre ductile, devient masque figé, pris dans une gangue qui lui donne à la fois sa beauté et le fixe à demeure comme si toute liberté s’en était soudainement retirée sous l’effet de l’alchimie de la combustion. Dureté de la matière qui nous livre son irréductible minéralité, qui s’affirme à la façon d’un tellurisme qui aurait traversé les couches de glaise les cristallisant dans une gangue métallique que jamais le temps n’épuisera, n’entamera, ne remettra dans un ressourcement de possibles esquisses. De la terre au bronze, il y a eu changement de régime ontologique. Liberté de la terre perdue au profit d’une volonté de la matière qui s’investit d’un temps géologique à l’empan si long qu’il ne nous est pas possible d’en percevoir l’être, d’en estimer la mesure qui se perd aux confins de l’esprit. Magnifique pouvoir sur les choses, sur la temporalité, geste qui transforme le présent de l’acte en un futur inépuisable. Devant toute œuvre en bronze nous sommes en effet saisis d’un sentiment d’éternité qui explique notre vertige et l’ascendant qu’exerce sur nous cet empire d’une matière dont il ne nous est plus possible d’envisager la quadrature. Il s’agit d’un autre lieu (celui mythologique de Vulcain ?) ; d’un autre temps (celui d’une immémoriale Genèse dont la tâche achevée trouverait son épilogue dans cette condensation matérielle située, par sa nature même, hors de toute durée). Nous considérons le visage, nous qui sommes encore malléables, soumis au changement, et ce profil de métal nous toise depuis le lointain de son éternité, avec ses orbites vides telles celles des mystérieux moais de l’île de Pâques ou bien ces yeux de jade infiniment énigmatiques des statuettes maya à la quête d’une intemporelle vision. Sans doute celle de l’art qui ne possède ni attaches, ni points de repères puisque l’invisible ne saurait s’inscrire dans une topologie terrestre, fût-elle illisible telle l’inscription sur un antique palimpseste. Face à la figuration d’airain nous sommes démunis comme nous le serions devant l’icône sacrée ou bien le visage de la déité que jamais nous ne devons apercevoir puisque toute représentation devient le lieu même d’une hérésie. Être dans le siècle et cheminer parmi les contingences de tous ordres exclut, de soi, toute allusion à une hiérophanie. Les hommes et les dieux font rarement bon ménage !

Liberté du monotype.

Du bronze au monotype.

Visage – Monotype.

François Dupuis.

L’encre court sur la feuille de cuivre, l’encre est libre qui fait ses confluences et ses remous, ses taches pareilles à des archipels et ses éclaboussures d’étoiles noires sur la toile du jour. La brosse est fluide, animée de mouvements pareils à une rapide chorégraphie, à un pas de deux dont l’Artiste est l’un des danseurs ; le lavis, les pointillés, les cernes et les ombres claires le Partenaire qui joue de ses subtiles variations, de ses fantaisies, de ses sauts de carpe. C’est comme une gigue, de rapides esquives, des doigts maculés de noir courent sur le sol de fumée, laissent des traces, des traînées, un chiffon essuie, une buée d’eau fine telle un brouillard vient apporter sa touche claire, des chevelures apparaissent, des ramures bougent sous le vent des mains, des clartés de caverne, des lumières de crypte, des remuements de lagune, des humeurs de tourbières. Tout est joyeux qui s’anime, tout est constamment repris qui biffe, annule, rehausse, dilue, métamorphose comme si ce jeu, jamais ne devait avoir de fin, ronde enfantine naissant et renaissant de sa propre énergie, éternel retour du différent dont les nuages sous la poussée de l’air sont les insaisissables figures. Nulle pause qui lierait l’imagination à son objet. Nulle imprécation qui guiderait la main sur telle voie plutôt que sur telle autre. Joie, sublime joie de la spontanéité, du geste d’envol, de l’indécision de l’arabesque, de la légèreté du moucheté, de la fugacité du pointillisme, du surgissement de l’intuition, ici une coulure, ici une griffure, là une résille, là encore un poudroiement d’encre mêlé à une lueur de neige. Blancs qui jouent avec les noirs, gris qui médiatisent, clartés d’aube et teintes crépusculaires. L’épreuve est encore une simple trace sur le verre, une esquisse dont nul ne sait ce que sera son futur, comment s’annoncera l’image finale. Etonnante et attendue alchimie qui décidera, en toute liberté, de l’impression du papier, de sa texture, des stigmates que la presse déposera sur le subjectile, subtile empreinte digitale, personnalité singulière qui sera révélée au terme du processus ; l’Artiste comme un enfant devant une pochette-surprise, en supputant le contenu, en goûtant par avance la joie subséquente.

Enfin apparaîtra, comme une naissance après la fameuse illusion anticipatrice vécue par Celui qui l’attendait, ce visage dont on ne savait rien, dont on ne connaissait ni les traits, ni l’expression pas plus que la singulière morphologie, cette manière d’île encore parcourue des flots amniotiques de la venue au monde, comme derrière une vitre, tout près d’une illusion, telle une clairière ouverte sur son propre étonnement un matin d’automne alors que commence à décliner la lumière. Une Anonyme, une Inconnue est là qui dévisage calmement avec la belle indifférence des choses irréelles, non nécessaires, avec la candeur d’une jeune fille nubile tout près de l’événement qui la portera bien au-delà d’elle-même, dans l’orbe d’un univers inconnu. Combien nous l’aimons déjà alors qu’elle n’est qu’une buée à l’horizon de l’être, un crépitement de sarments dans l’hiver qui approche, une touche de givre sur la courbe de l’âme. Inclination à une douce rêverie, tout près du lac de Bienne, pareils à ce Jean-Jacques solitaire que le songe étreint comme sa possibilité la plus proche. Romantisme à la Rousseau, invite à herboriser quelque part dans le calme d’un sous-bois, à faire de l’existence la cueillette d’une herbe, la contemplation d’une goutte de rosée dans le matin qui chante et s’éveille. Nous ne nous perdons sur la colline du visage qu’à mieux nous retrouver dans ce maquis dont nous espérons qu’un jour, il deviendra familier, mais dans l’approche, dans l’effleurement. Ramures des sourcils à l’incertaine flexion, arête du nez si peu visible, arc de Cupidon derrière lequel l’on devine la herse souple des dents, la langue gourmande de n’être pas encore révélée. L’ovale est si beau, si abouti dans son aspect ténébreux et cette main qui s’élève à peine d’un corps que nous devinons dans un genre d’innocence, de fierté originelle.

Antithèse de l’image précédente qui affirmait, dans sa rigueur de métal, l’irréfragable forme à offrir au monde, le contour irréductible à opposer à tout ce qui vient à l’encontre et demeure loin dans l’ordre de la figuration. Comme autant de satellites girant autour de la même planète sans s’y confondre, sans même en tutoyer la surface. Contrairement au processus de la terre qui, de mouvement en mouvement, de dessiccation en dessiccation, de fusion de métal en fusion de métal rive les choses à leur socle éternel, à leur intangible figure, l’avancée du monotype vers son destin léger est ce soubresaut, cette fantaisie, cette souple progression de l’éclaireur de pointe qui ne sait guère où il va, où aboutira son itinéraire, progressant à la façon d’un Indien, de buisson en buisson, découvrant soudain, dans le sursaut d’une révélation le paysage qu’à son insu il a dressé dans son imaginaire et qui, maintenant, se livre à lui comme la réalité qu’il est, cette œuvre à jamais finie, cette transgression du monde qui apparaît de telle ou bien de telle manière selon qu’on le considère depuis son nadir ou son zénith. Infinie liberté du monotype, de l’estampe qui nous restituent les images multiples de l’univers des existants, chaque regard étant le médiateur de ce qui, dans l’approximation, se donne à connaître comme l’une de ses possibilités. Du bronze au monotype, la distance de la nécessité à celle de l’événement. Deux façons de dire le monde en mode complémentaire. Nous n’en choisirons aucune puisque toute esthétique aboutie porte en elle les germes qui l’accomplissent et la déposent devant nous comme ce qui porte du sens, dont nous faisons notre ambroisie. Toujours les dieux sont présents dans les figures énigmatiques dont ils sont les dépositaires. L’art est le monde des dieux. Qui choisissent pour nous la forme selon laquelle ils s’actualisent. Toutes nous les aimons comme se subtiles déclinaisons de l’être. Car choisir serait contrarier les dieux. Or nous voulons l’Olympe. Or nous voulons l’envol !

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