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10 août 2016 3 10 /08 /août /2016 08:00
Flora et le monde.

Œuvre : André Maynet.

En réalité, partout où le regard portait, sur la corolle épanouie d’une fleur, sur la crête d’une vague, au sommet vert et bleu de la canopée on apercevait Flora. Mais on ne l’apercevait qu’imaginativement, à la manière dont on cueille l’image d’une brume ou bien la goutte de rosée que traverse le doux rayon de l’aube. Il en est ainsi du destin des Nymphes qu’elles visitent nos yeux sans jamais s’y arrêter et rien ne sert de se retourner sur leur passage puisque ce dernier est invisible, tout comme l’est le sentiment translucide ou bien l’effluve de l’amour qui fuit entre les doigts avec son grésillement d’élytres. La vue dont il faut se saisir est celle-ci : c’est un matin de printemps. L’air est si léger qu’il semblerait ne pas toucher le sol. Les bruits sont si ténus, si étroits qu’ils flottent avec la consistance d’une mélancolie. Tout est étrange comme à la survenue d’une nouvelle qu’on n’attendait pas. Tout est en fuite de soi. Rien ne repose jamais et le regard se trouble de ne percevoir que ce flottement, cette approximation des choses dans le corridor du jour. On hésite à traduire ce qui est contemplé. On se rassure sur soi. On tâte avec quelque fébrilité la pliure de ses coudes, on passe une main dans ses cheveux comme si ce simple geste devait nous reconduire à de plus claires pensées. On tangue d’un pied sur l’autre. On éprouve, au centre de son corps, le remuement des émotions, on cherche à y deviner le flux de la mémoire, à y retrouver un môle auquel se rattacher afin que cette impression de geste éthéré du monde reprenne enfin quelque consistance.

Voir Flora si immatérielle, à la limite d’un évanouissement et c’est du nôtre dont il s’agit, d’une perte presque irrémédiable, comme si un écho s’établissait, d’elle à nous, menaçant de nous reconduire à une forme tellement impalpable que nous deviendrions diaphanes, simples blancheurs incapables de se distraire d’elles-mêmes, manière de poussière d’albâtre se diluant dans les marées du songe. Mais pourquoi donc sommes-nous soudain hautement friables, genres de colosses aux pieds d’argile qu’un simple vent coucherait au sol ? S’agit-il seulement de nous ? De notre relation à l’univers ? De la conscience chancelante de qui prend acte de son irrémédiable vulnérabilité, de sa silhouette se perdant dans le tourbillon inconnu de quelque vortex ? C’est la source d’une réelle inquiétude que de sentir le sol se dérober sous la plante des pieds, la glaise se faire pressante autour des chevilles, les lianes de l’incompréhension serrer leur garrot autour d’un espoir dont il ne demeure plus qu’un battement dans l’air plissé d’ennui. Mais existons-nous au moins, à la manière d’une image réfugiée au creux d’un livre, à celle, vacillante, de la flamme de la bougie qu’un courant d’air menace d’éteindre, à celle encore d’une fontaine qui ferait couler goutte à goutte son eau dans l’ombrage de quelque frais vallon ? Il y a toujours danger à poser devant sa vision la trop grande beauté, l’œuvre d’art accomplie, le mystère d’une religion antique, l’évidence d’une philosophie lorsqu’elle vrille jusqu’à l’âme, énonçant une vérité qui, longtemps, nous était demeurée occultée.

Voir Flora dans cette sorte de dénuement, c’est dire ceci : partout est le gris qui fait au corps de l’Etrange une façon de linceul dont elle semble la pure émanation. Comme si de mystérieux fils s’étaient détachés du fond de l’image pour livrer cette forme à peine ébauchée, cette fable échappée de la rumeur d’un pinceau florentin, peut-être d’un Botticelli dans La naissance de Vénus, cette pure émanation de l’onde, cette émergence d’une conque virginale et originaire, cette concrétion pareille à un marbre qu’une eau cristalline, presque matérielle aurait portée au monde afin que soit connue la solution de continuité de ce qui est, toujours nous fascine à l’aune d’une incompréhension à son sujet. L’imparable principe de raison, les délibérations de la modernité cloisonnant l’univers, les choses d’un côté, l’homme de l’autre, le Sujet ici, l’Objet là, mais à une distance respectable de manière à ce que notre entendement fasse droit à son exigence intellective de séparation, de clivage, d’élaboration conceptuelle par laquelle comprendre ce qui n’est pas nous et toujours nous questionne. Depuis que le monde a fait de la vitesse son mode de connaître, de la semblance son profit le plus immédiat, de la superficialité sa manière d’envisager la profondeur, rien ne se montre que sous l’aspect de la division, de la fragmentation, de la pluralité archipélagique alors que l’entièreté de l’univers est là, à portée de main, à proximité du regard, logé dans la conque de l’oreille comme le clapotis de gouttes dans le clair d’une grotte. C’est de cela dont il nous faut être pénétrés, de la nécessité d’une unité à reconstruire, d’un faisceau convergent d’idées belles à réinstaurer, d’un sentiment du monde à porter au creux de ce qui ne demande qu’à l’accueillir, cette conscience qui nous fait tenir hommes-debout et nous distingue de ce qui rampe et se dissimule derrière tous les faux-semblants, se réfugie dans l’inconsistance et la dérobade. Devoir que celui d’ouvrir les yeux, d’agrandir sa pupille à la dimension de l’univers, immense phénomène de la mydriase, instance de la vision en tant que métaphore d’une lucidité qui nous fait défaut, que l’éparpillement a réduite à sa portion congrue comme si l’humain, pris de cécité, ne savait plus se voir lui-même et faisait des autres de simples évanescences sur une toile d’oubli.

De notre égarement parmi les choses, de notre parcours hémiplégique que distraient mille chemins divergents, qu’assiègent mille pensées diffuses, inconsistantes, promises à une constante diaspora, il faut sortir en rassemblant les fleurs du doute. En faire un bouquet afin que le divers ainsi accordé cesse de nous harceler et que de notre nouvelle conscience naisse enfin ce sentiment intime par lequel nous nous sentirons au centre de la ruche. Ouvrières assemblées en grappes dans la belle teinte solaire du pollen, et nous serons pareils à une Reine commise à sa propre royauté sans que rien de fâcheux n’en vienne perturber le cours, cette fluence par laquelle nous devinerons la trace de notre destin comme le sillage d’une brillante comète. Alors, parvenus à nous-mêmes, nous n’aurons de cesse de réunir les races, de faire converger les couleurs, de convoquer les pays pour en faire une seule et unique principauté. Tout comme Vénus naît d’un seul geste de son corps, de l’eau qui l’a fécondée, de la coquille dont elle provient, du ciel qui la reçoit, de la beauté qui la transcende et la rend visible aux yeux des Attentifs. De cette façon apparaît le sublime qui n’existe pas en soi, qui ne parvient à nous qu’à la mesure du regard que nous adressons à la musique venue du plus loin de l’univers. Constante harmonie dont nous ne nous séparerons jamais. Il suffit de l’avoir éprouvée une seule fois pour qu’au centre de l’âme elle entretienne cette fulguration, ce temps si condensé qui les contient tous et nous dépose bien au-delà de nous, dans ces immatérielles contrées que nos rêves nous font découvrir, tels des enfants, les yeux émerveillés, les lèvres luisantes de désir, les mains en coupe pour y recevoir l’offrande du jour. De Vénus à Flora le trajet est si court qui ne s’illustre que sous le registre de la spontanéité, de l’évidence. Comme si ces formes si subtiles avaient existé de toute éternité, attendant l’éclaircie d’une révélation, l’aire ouverte d’une contemplation. Voyez combien Flora constitue le signe de l’éternité. Rien à lui soustraire. Rien à lui apporter. Les choses belles sont toujours en excès d’elles-mêmes, simples cornes d’abondance diffusant leur miel dans l’espace révélé. L’eau est cette nappe identique à l’immobilité de l’air de la lagune. Mince brouillard que parcourt en sourdine le luxe du silence. Les nénuphars sont posés avec naturel, comme s’ils n’étaient que des bourgeons sécrétés par une vase qu’on suppose cristalline, douée de mystérieux pouvoirs, peut-être celui de créer l’incréé et de nous faire le don de ce pur surgissement du néant. Flora est une gemme, une pierre de Lune, un marbre que nos yeux polissent avec gratitude. Reflets blancs sur la pente du torse, autour du double questionnement de la gorge, sur l’arrondi des épaules, les parties éclairées du visage. Ombres douces qui jouent en de subtils harmoniques, tracent la levée d’une cendre, invitent nos yeux au poudroiement, à la vision synthétisante qui confond tout en une même syntaxe dont la lumière elle-même aurait du mal à produire le sens.

Ici et là, de minces touches de pastel, de très légères empreintes de sanguine pour nous dire, le désir, le battement de la vie, la réserve que métamorphose le regard des Esthètes. Tout en haut, se confondant avec la laine grise du ciel, le buisson des cheveux, à peine plus assuré, à peine un ton au-dessus pour nous révéler toute la grandeur du sens lorsque celui-ci, lissé d’humanité, ceint de juste poésie, se met à couler avec l’exactitude d’une clarté neuve dans le cercle bleu d’une clairière. Oui, combien cette image est apaisante qui nous restitue notre être, le situant au milieu d’un visible compréhensible, aire que, jamais, il n’aurait dû quitter, dont parfois nous nous éloignons faute d’avoir su reconnaître le monde en nous, nous immergés dans le monde. Être Flora, une minute seulement et happer cette volupté heureuse que voile le cerne de la pudeur. Voici de quoi exister. Vraiment !

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