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21 juin 2020 7 21 /06 /juin /2020 08:09
Que nul n’entre ici s’il n’est esthète.

 

                     Paparazzo.

              Avec Dongni Hou.

      Photographie : André Maynet.

 

 

 

 

 

   Dire la photographie.

 

   Dire la beauté de cette photographie serait en redoubler le sens par des mots qui mimeraient tout simplement sa valeur iconique propre. Donc tout commentaire serait inutile. Parfois il est malaisé de dire en quoi une chose est belle, en quoi elle nous touche, pourquoi nous l’avons isolée du reste du monde pour en faire une exception. Essayons tout de même. Le cadre noir des murs, son contraste avec la pièce lumineuse, ces seules valeurs opposées mais intimement complémentaires réalisent une sorte d’harmonie. Puis les teintes essentielles, ce rouge profond, ce blanc d’écume, cette ombre dense qui s’éclaire faiblement de l’éclat assourdi des pierres. Sans doute notre psyché retient-elle, en ses arcanes, le symbolisme du rouge et du noir, sans doute aussi l’essence de l’œuvre éponyme de Stendhal qui porte la braise de la passion sous la ténèbre de la mort. Julien Sorel pris au piège d’Eros/Thanatos. Tout comme l’œuvre d’art qui en exprime à la fois le subtil équilibre, à la fois le danger. Créer est avancer sur le fil étroit du funambule, dans le clair-obscur faisant le partage de l’ombre et de la lumière.

 

   Présence esthétique des objets.

 

   Puis l’évidente présence esthétique des objets. Visage de plâtre qui sonde l’abîme comme si, à tout instant, le néant pouvait surgir des coulisses de la nuit. Chevalet de bois vide de toile qui semble appeler l’œuvre, vouloir la manifester. Bouteilles qui disent l’ambroisie : l’art ne serait-il pas le mets favori des dieux ? Cadres de toile, bric-à-brac en tant qu’évocation du chaos originel dont la peinture est le lieu avant que le talent ne l’organise selon la conception qui lui est propre. Puis les chevaux blancs qui signent « la plus belle conquête de l’homme ». Les figures chorégraphiques dont les écoles de cavaleries s’honorent ne feraient-elles signe en direction d’une belle œuvre gestuelle où le génie de l’homme rejoint l’instinct noble de l’animal ? Puis la présence de la figure humaine, belle goutte éclatante qui focalise le regard sur Celle qui se désigne telle l’ordonnatrice d’un cosmos. Au début : lignes et taches informes. Au terme du travail, pure joie de paraître de cela même qui était absent dans une réalité qui fascine et tient la conscience des Regardeurs en haleine.

 

   Temples diurnes.

 

   Il faisait frais il y a peu. Comme une fin d’hiver tardant à céder la place à la rumeur estivale. Puis, soudain, l’éclair de chaleur. Parfois le ciel bleu, intense, d’un bout à l’autre de l’horizon. Parfois, le soir, des meutes de nuages d’étain et de plomb qui crèveront en orage et les fronts seront envahis de sueur, les corps moites, à la limite d’une eau. Les jours clairs et lumineux voient des théories d’esquisses humaines aux terrasses des cafés, sur le bord des rivages avec leurs parasols polychromes et les fouets des cerfs-volants qui lacèrent l’azur. Partout sont les éclats de voix. Partout le tapis des anatomies hâlées avec leurs milliers de membres qui s’ébrouent au soleil. Culte rendu à l’astre blanc. Prière tissulaire, liturgie des peaux qui entonnent l’hymne à la beauté et au luxe immédiats. Il n’y a même plus à penser. Tout vient à soi dans l’évidence d’être.

 

   Comme un poème céleste.

 

   On n’interroge même plus sa position d’homme dans l’univers. Elle est écrite dans une cosmographie si ancienne, telle une planète qui dérive dans l’espace au milieu de ses compagnes, que ses amers s’inscrivent dans une logique, sinon une simple relation géométrique. Dérive de soi dans des rouages si bien huilés qu’on n’a même plus besoin d’en éprouver les emboîtements, d’en sentir la mécanique horlogère, d’en saisir l’inaudible cliquetis. Comme un poème céleste qui s’inscrirait au ciel sans troubler le vol de l’oiseau ni compromettre la marche souple des nuages. Ainsi, dans l’été qui déroule sa pelote chaude, les humains sont les pratiquants d’une fête païenne qui se suffit à elle-même, qui ronronne avec son naturel de félin heureux. Plages, cafés, longues routes bitumées où se déroule l’interminable ruban de Moebius des Nomades : temples diurnes, image des réjouissances, allégories du plaisir, pliures du désir dans la tenaille étroite des jours.

 

   Temple nocturne.

 

   Nous regardons à nouveau la photographie et c’est bien un temple qui apparaît. Identique à celui de la magnifique civilisation grecque du temps de sa splendeur. Nous y devinons, dans la pénombre, la rampe d’accès. Puis la dalle plate du péristyle. Puis les colonnes qui soutiennent le chapiteau. Sur ce dernier se laisse deviner une inscription lapidaire telle celle de la célèbre Académie de Platon : Que nul n’entre ici s’il n’est esthète. S’agirait-il d’une simple parodie de la formule du Philosophe ? D’une imitation baroque ? Ou encore d’un plagiat qui ne se nourrirait que de sa risible imitation ? Mais, par définition n’est « risible » que ceci qui se réfère à un objet avec l’intention d’en montrer le « ridicule ». Or, ici c’est bien d’une subtile incantation dont il s’agit plutôt que de la mise en exergue d’une confondante pantomime.

 

   Forme humaine si pure.

 

   Mais entrons plus avant dans l’enceinte qui abrite le dieu. Qu’y apercevons-nous ? Une Forme humaine si pure, si blanche dans sa tunique (un péplos ?), qu’elle indique un genre de rituel sacré, peut-être la pratique d’une religion ou bien la manifestation d’un acte mystique. Mais qui donc d’autre qu’une Déesse pourrait en assumer l’hiératique fonction ? L’attitude de l’Officiante est si élevée dans sa confrontation avec l’œuvre qu’il ne peut s’agir que de la relation du démiurge au destin qui l’appelle afin que, du monde, une vérité apparaisse. Or cette vérité, cette essentialité sont entièrement contenues dans le motif qui anime ce qui se donne à voir depuis ce foyer de rayonnement que constituent les deux chevaux dressés, les deux cavaliers qui les chevauchent tels des héros à destination du ciel. Et l’on songe inévitablement à Bellérophon chevauchant Pégase tel que représenté par Mary Hamilton Frye, cette image quasiment biblique à force de pureté, ce symbole de la sagesse qui devient lieu de la poésie, créateur des sources limpides et inépuisables dans lesquelles les Poètes viennent s’abreuver et trouver inspiration, donner lieu au génie. L’art pourrait-il rencontrer plus efficiente incarnation que cette dualité se fondant dans l’unité indépassable de l’origine même de ce qui est ? Manière de creuset ontologique d’où tout partirait afin d’âtre connu selon les règles d’une esthétique transcendée.

 

   Mettre en relation esthétique et géométrie.

 

   L’esthétique est au divers ce que la géométrie est à la pullulation infinie des nombres et des formes, une mise en ordre des choses. C’est pourquoi il y a stricte équivalence entre « Nul n’entre s’il n’est géomètre » et « Nul n’entre s’il n’est esthète ». C’est d’un même procès du réel dont il s’agit : le provoquer à se montrer sous la figure de l’art ou bien d’un cercle, d’un triangle, d’un rectangle, toutes projections idéales d’une multiplicité de l’apparaître. Toutes déclinaisons de ce qui se soustrait à la préhension de l’intellect à l’aune de la confusion, de la convulsion primitive, du motif étranger parce qu’archaïque. Ce que ce signe esthétique nous convie à trouver : l’idéal de la Beauté. Celui-ci se donne toujours selon rythmes, harmonie, équilibre, proportions figurales, enchaînements d’harmoniques, coïncidences des détails, confluences des chairs du monde qui se fondent dans la chair de celui qui regarde et interroge afin que reculent les ombres de l’angoisse, que surgissent les lumières de la conscience, s’animent les faisceaux cathartiques de la compréhension. Car comprendre est guérir. Car comprendre est panser les plaies vives d’une marche à tâtons parmi le corridor étroit du doute, dépasser et accomplir sa condition humaine en direction de ce qui, toujours muet, toujours invisible (voir Paul Klee énonçant : « L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible »), ne demande qu’à s’ouvrir, l’intime visage des choses en leur inestimable présence.

 

   Pur prodige.

 

   Ici donc, au foyer de l’image, sous le règne adouci de la lumière est le pur prodige, l’Artiste contemplant ce qui jamais ne se donne dans la gratuité mais dans le calme de la nuit, le ressourcement du cœur, l’Art en sa manifestation. Geste sacré s’il en est, rayonnement d’énergies depuis cette incandescence qui envahit l’esprit disposé à les recevoir en tant qu’inestimables dons des dieux, lesquels toujours se retirent à même leur offrande. Supporter la lumière de l’Olympe, tel semble être le destin de cette Inconnue qui se révèle en tant qu’extrême singularité alors que nous commençons tout juste à naître à nous-mêmes dans cette relation du créateur au créé. Sans doute n’y a-t-il plus évidente joie que d’en être les témoins privilégiés autant qu’émus. Alors, que reste-t-il à dire après que l’essentiel a eu lieu ? Rien d’autre que le silence. Les mots seront lovés en eux de façon à ce que, dans le suspens, tout parvienne encore à l’éclosion. Au centre de la corolle dort le pollen dans son éclat solaire. Il est une vérité à préserver. Ceci nous le saurons jusqu’à la fin de la nuit, lorsque l’aube effacera tout dans un illisible glacis. Alors seulement nous pourrons dormir. Et rêver ! La plus sublime des réalités qui soit.

 

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