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Ce matin j’ai ouvert la porte du Temps
Celle qui donne accès au corridor
de l’Être
***
Il y avait une faible lumière
Une lueur cendrée
Une broderie d’or
Un point tout là-bas à la limite de l’être
Des ombres aussi
Des clés pour de bien étranges serrures
Des notes dans le lointain du jour
Des couleurs d’absence
Des absinthes dans des verres verts
Des fleurs d’opium sécrétant leur doux venin
Des effleurements
Des caresses
L’envol d’un oiseau dans le ciel de jade
Des violons d’acajou
Une blanche colombe
Des rumeurs posées sur les choses
Une main gantée de pluie
Un sourire dans des boucles châtain
Un pommier dressé sur une verte prairie
Des airs d’accordéon
Un tabouret à trois pieds
La Lune
Les odeurs fruitées de fleurs pourpres
***
Ce matin j’ai ouvert la porte du Temps
Celle qui donne accès au corridor
de l’Être
***
Le boyau du futur
N’était nullement visible
Ne débouchait sur rien
Etait celé sur son mystère
Dissimulé dans l’encoignure
Illisible du Monde
*
Cela chantait cependant
Cela venait à la pensée depuis
Le cristal étincelant du songe
Je me voyais en Cavalier Bleu
A la fière monture
En Hussard casqué botté
Dolman noir à brandebourgs
Pelisse rouge
Shako à plume de casoar
*
Ce casoar de mon enfance
Cette vignette du souvenir
Cette image d’Epinal
Que venait-elle faire
Dans le loin qui encore
N’apparaissait pas
S’annonçait seulement
Comme possible
*
Peut-être n’en verrais-je jamais
Que la tremblante silhouette
Sur le drap blanc du cinéma
Des années dissoutes
Avec ses mouches noires
Ses zébrures
Ses sauts ses bondissements
Et ce Hussard
Ce soldat de plomb qui meublait
Mes aventures guerrières
Que faisait-il dans cette heure
Qui sans doute
N’aurait jamais lieu
***
Ce matin j’ai ouvert la porte du Temps
Celle qui donne accès au corridor
de l’Être
***
Existe-il une porte
Qui fait communiquer
Le temps aboli
Le temps en germe
Le temps encore non venu à soi
Et Soi dans l’ici indicible
Dans le maintenant
D’illisible présence
*
Et le Présent où était-il
Sinon dans la Présence fuyante
Inaccessible
On tend ses mains vers lui
Et l’on se retrouve dans la nasse d’oubli
Avec les lianes d’eau qui s’invaginent
Jusqu’au point incandescent
De l’Être
***
Ce matin j’ai ouvert la porte du Temps
Celle qui donne accès au corridor
de l’Être
***
Et voici ce qui s’y trouvait
Rien d’autre que l’Immobile
Que le Muet dans sa pliure absolue
La Mémoire s’était solidifiée
Le Passé ne proférait plus
Que des paroles de plomb
La Voix pourtant était audible
Mais dans l’affliction
Venue d’on ne sait quelle crypte
Le Ciel était d’émeraude sombre
Couché au-dessus de collines usées
La vue était antiquaire
Étrangement absentée
D’une valeur de paysage
*
Est-ce cela le souffle glacé
D’Outre-Tombe
Ces alignements à l’infini
Ces glaives de pierre
Ce rythme anonyme des arcades
Et ces piliers qui hurlent le blanc
Jusqu’à pousser au meurtre
De toute couleur
*
Le Vide serait alors ceci
Des falaises d’onyx
Dans leur noire splendeur
Elles courent au loin
Se jeter dans l’abîme
*
Une Déesse est couchée
Dans ses plis de marbre
Elle médite le Temps
En son irrésistible fuite
*
Le sol est de latérite brûlée
Les ombres de fumée dense
Une haute cheminée de brique
Toise l’Absolu
De son dard indécent
*
Deux silhouettes d’hommes
Sont-ils des hommes
Sont-ils vivants
Deux silhouettes témoignent
Des gestes de ce qui fut
Qui n’est plus
Dans l’heure poncée
Jusqu’à l’os
*
Une locomotive noire
Fume à l’horizon
Traverse immobile
L’épaisseur verticale de l’air
*
Il est temps d’affronter
Cet Inconnu qui nous habite
Depuis notre naissance
Là juste derrière l’ombilic
Cette graine originaire
Qui contient dans le germe
De sa modestie
Le Seul Temps
Que nous n’ayons jamais
À connaître
Celui d’un retour à Soi
Dans la plénitude perdue
Mais qui attend
Et ne veut rien dire de soi
Alors que le Temps
N’est encore venu
Qui interroge
Du fond
De son
Énigme