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17 mars 2020 2 17 /03 /mars /2020 16:31
Ce chemin inemprunté

            Patrik Geffroy Yorffeg " Vallée d'Aoste "

                        (Technique mixte ) (2)

 

 

***

 

   Vois-tu, Sol, ce chemin qui fuit vers l’horizon, mais quel horizon ?, il faudrait faire se lever une voie inempruntée. Une « voie royale » en quelque sorte. Une voie singulière qui porterait nos paroles au loin, bien au-delà de nous vers cette contrée illisible dont sont tissés nos rêves. As-tu, comme moi, cette exigence multiple de te connaître et de connaître le monde jusqu’en sa plus fuyante perspective ? Oui, je sais, les gens me disent fou de courir après de telles billevesées. Mais doit-on attendre le signal du départ dont d’autres seraient les ordonnateurs ? Doit-on aliéner le peu de liberté de notre aire au consentement de ceux qui ne savent de nous que notre frontière de peau, les faibles exhalaisons de nos poitrines, la couleur noire de notre sang dès qu’il s’échappe de notre enceinte maudite ? Il y a tant de mort présente dès que l’on se rive à soi, naufragé accroché à la branche qui, inévitablement, verra le bout de son destin. Les eaux ne sont infinies, elles aboutissent quelque part, dans un delta, à l’ombre d’une mangrove où les crabes aux pinces levées guettent dans les plis du clair-obscur.         

   Oui, demeurer en soi est une réelle épreuve. Soi face à soi, il ne saurait y avoir de plus redoutable confrontation. Image dans le miroir ricochant vers cette autre image, ce visage qui toujours se dérobe, jamais ne se montre que sous les traits fuyants d’une apparence. Piège des pièges : se regarder dans le tain d’argent et croire se posséder tout comme l’on s’assure d’une pièce de monnaie, d’un arpent de terre ou bien  d’un air du temps dont on fait son entêtante ritournelle.

   Il faut être inconscient ou bien amoureux ou bien poète. Peut-être même les trois. L’inconscient vise une bulle qui éclate sans qu’il le sache. L’amoureux court après celle qu’il adule alors que seul son narcissisme est en question, jamais la forme de l’autre, fût-elle approchée. Le poète tresse ses mots qu’il adresse au monde et ce dernier demeure sourd à ses imprécations, n’admettant de vers que ceux qui concourent à sa propre gloire.

  

   Vois-tu, Sol,  ce chemin qui fuit vers l’horizon, mais quel horizon ? Il le faudrait aérien, peut-être doté d’ailes à la manière des anges, peut-être disert tel l’habile Mistral, furieux comme l’Harmattan au-dessus du désert, ce fiancé des sables, ce courtisan des mirages. Je crois bien, Sol, que des deux, Mistral et Harmattan je tiens mon tempérament si instable, si impétueux. Je me lève dans l’inquiétude d’être. Je monte au zénith dès la moindre création, une feuille de papier pliée en origami, un vers chantant telle la sonnaille accrochée au cou de la brebis. Le premier déclin de la lumière me trouve en possession d’une incommunicable nostalgie que les éphémères brumes nocturnes portent à la vibration cristalline du diapason. L’insoutenable autrement dit.

   Es-tu sujette, toi aussi ma Muse du Nord, à ces sautes d’humeur qui s’éveillent dans l’émerveillement de l’aube, rutilent dans l’azur du plein midi, meurent tels des phalènes dans la touche mauve du crépuscule, cette heure où sonne le cor afin que les âmes tout juste éveillées, elles puissent se libérer des lourdes chaînes terrestres et voguer dans l’éther infini qui scintille tout en haut, là où les yeux s’abreuvent de silence.

   Je sais la cruauté de tout lyrisme. Plus il fait tinter ses notes cuivrées, plus lourde sera la chute, cette ténébreuse floculation qui ourdit le pavillon des oreilles de blanches dentelles, tresse autour de la porcelaine des yeux ces vrilles de verre où viennent s’écarteler toutes les images du monde. On reste cois, à la limite de la catalepsie, on entend des meutes de bruit qui se cognent à la vitre de la cochlée, on sent, sur le tapis de sa peau les milliers d’épingles qui disent l’assaut de la multitude.

  

   Vois-tu, Sol, ce chemin qui fuit vers l’horizon, mais quel horizon ?  De ses mains il faudrait le semer des lueurs blanches de l’espoir. Poser ici le bourgeonnement d’un premier mot. Bien sûr il serait adamique, encore empreint des effluves du songe paradisiaque. Ô licornes blanches à la corne tressée ! Ô cortèges léonins emplis d’une réelle sollicitude ! Ô bœufs à la robe fauve, paons au plumage multicolore, bouquets de fleurs, femmes-lotus flottant sur l’ovale d’un lac translucide ! Et l’air, cet effeuillement du jour, ce poudroiement sans fin, cette rumeur à peine posée sur le globe des yeux ! Cette soie qui lisse la source des afflictions, ce baume qui oint les têtes et les porte à leur étincellement.

   Certes, Sol, combien ces images d’un lieu céleste qui n’existe que dans des têtes embrumées paraît naïf, pareil à ces bluettes que de romantiques enfants enlacés déplient autour de leurs têtes angéliques avec leurs yeux bleu-myosotis, leurs boucles blondes, leurs visages joufflus, on dirait des saints Jean-Baptiste de la Renaissance occupés à déployer des perspectives dont, jamais, ils ne pourront avoir la jouissance. Seulement des manies de songe-creux, des lubies d’enfants de chœur attendant que l’acte de la confirmation vienne les délivrer d’une mortelle niaiserie. Tu sais, comme moi, la douleur d’enfanter ces trompe-l’œil qui ne sont jamais que nos propres insuffisances jouant en écho avec celles des autres. La meute humaine est si douée qu’elle invente toujours le poison dont, plus tard, elle s’abreuvera ! Ainsi des guirlandes surannées entourent-elles le monde de leur confondant sophisme. L’erreur s’alimentant à sa propre source.

  

   Vois-tu, Sol, ce chemin qui fuit vers l’horizon, mais quel horizon ?  Il nous faudrait y inscrire la trace double de nos pas, ignorer le peuple d’herbe, ne prêter à la cendre des arbres qu’une vue distraite, gommer les collines vêtues de noir, dissoudre la ligne d’horizon, faire des blancs nuages de simples distractions de l’esprit, boire la nuée du ciel jusqu’à la lie et demeurer DEUX-EN-UN, enfin rassemblés, juste l’espace propice à notre intime connaissance. Se déplierait alors la pure félicité dans la bannière heureuse des jours. Inépuisable ressourcement, ultime touche originaire par la grâce de laquelle nous serions remis l’un à l’autre comme à l’aube d’un nouveau commencement. Puisse ceci avoir lieu, Sol ! C’est du dedans de nos corps mutilés que tout ceci se dit, du dedans de nos cœurs semant au vent leurs éclats de grenade. Ils saignent longuement et les fleuves sont pourpres qui s’écoulent vers l’aval du temps ! Pourpres, passionnément pourpres.

 

 

  

 

 

 

 

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