Œuvre : Marcel Dupertuis
***
[Cette poésie se donne à comprendre
en tant que tentative orphique
de saisie du Rien]
*
On regarde et on ne voit pas
On interroge et cela se ferme
Cela résiste et se cabre
Cela se réfugie dans la pureté
Du non-dit
Cela oblitère le sens
La logique s’insurge
La raison vitupère
Le langage s’aphasie
Les mots se révulsent
Et ne connaissent plus la forme
De leur usage
*
La forme s’informe
Se déforme
Se réduit à l’informel
Pareil au cristal
Qui vibre de l’intérieur
Et ne livre du secret
De son chiffre
Qu’un insoutenable éclat
*
On regarde et on ne voit pas
Il faut limiter la puissance des yeux
Il faut la fente de la myose
Juste un rai qui frappe la pupille
Un regard félin
D’abord on voit une impossibilité
Que faire de cet affrontement
Qui ne soit jeu gratuit
Anneau girant sur lui-même
Enonciation vide
Chute
*
Ainsi se donne la folie
Qui mêle les formes
Du réel
De l’imaginaire
De Soi
Le dehors s’écoule
Dans le dedans
Le dedans plonge à même
Le dehors
Où la limite
Où le moi en sa glaise durcie
Où le réel en son silex tranchant
Où la rencontre des deux
Où rugit le vent
De la démence
*
Le Rouge percute le Noir
Le Rouge expulse le Noir
Le Noir macule le Rouge
Macula de la vision
Le Noir veut broyer le regard
L’aliéner dans sa plus profonde
Dimension
Car voir serait offenser
Ce qui toujours
Veut se dissimuler
Et pourtant se montre
Mais à bas bruit
Sous la ligne d’horizon
De la conscience
Sous les cils vibratiles
De l’esprit
*
On regarde et on ne voit pas
Mais au juste faut-il VOIR
Faut-il entendre
Faut-il même espérer
Il faut se faire anti-Rimbaud
Se faire NON-VOYANT
Glisser sous la lame du réel
Briser les mots du poème
Il faut se faire Matière
NOIRE
ROUGE
S’éprouver en tant que taches
Sur l’aire immense de la toile
Là où le combat a lieu
Noir blessé jusqu’au sang
Ecume rubescente
Qui emporte la nuit
Au plein de son incandescence
Forges qui hurlent
Les loups sont entrés dans Paris
Noires les croix
Rouges les plaies
*
Lumière haute dans le ciel
Incendie zénithal
Œil bouillant verse
Ses scories
Arène Noire
Noire de monde
Rouge de passion
Pouces baissés
Foule exulte
Poussière vole
Poitrines hurlent
Acier a frappé
Garrot mutilé
Fleuve de sang
Robe de suie
Nuit de mort
*
On regarde et on ne voit pas
De l’infime myose
Il faut basculer
A la vertigineuse mydriase
S’ouvrent les abîmes
Par où marcher
Sur le bord des choses
Au risque de les comprendre
Et d’en mourir
Jamais œuvre ne nous est donnée
D’emblée
Jamais Aimée remise
Dans son écrin
Jamais Art à portée
De la main
Apporter quelque chose
Au-dedans de soi
Dans la Vérité
Est entailler le derme
Y verser l’acide
De la question
Ouvrir les portes
De Corne et d’Ivoire
Au gré desquelles Nerval
Connut le songe
Et la Folie qui y était logée
Comme le ver dans le fruit
*
Du NOIR il faut faire
Quelque chose
Rime à l’Initiale seulement
Nuit
Néant
Nul
Négation
Il est du destin de [N] de Néantiser
D’énoncer le Non
D’ouvrir la Nasse
Par laquelle le Rien s’annoncera
A la finale
Ce [R] uvulaiRe
Rocailleux
EchaRde
Comme ultime décision
Du mot
Roc de Sisyphe en surplomb
De l’Être
*
Dans le NOIR
C’est la NUIT qui veille
Coefficient d’ombre
A jamais imprenable
Dans la NUIT gît le NU
Que l’I pointe
Que le T observe
Du haut de sa potence
Tel Villon pendu
Clamant son épitaphe
Aux Frères humains
*
NOIR-NUIT
Dans leur dénuement
Le plus tragique
S’immolent dans la rivière pourpre
Des passions
Aurores de feu et d’incarnat
Teintées du sang des victimes
Que nous dites-vous
Qu’on regarde et ne voit pas
L’amour en son éclat
L’art en sa cimaise
L’être en son énigme
*
Nous sommes si démunis
Et de crier
Du Rouge au Noir
Du désir au deuil
Nos lèvres sont lassées
Vienne l’heure de Minuit
L’heure de l’entre-deux
Encore temps pour nous
De demeurer à la limite
Du Noir Hadès
Du Rouge Enfer
Ils sont le même
Et nos mains ne griffent
Que le Rien
Le Rouge
Le Noir
Le Rien
*
Que pourraient-elles faire
D’autre
Que griffer
Et griffer encore
Muets sont les signes
Plurielles les lignes
Perdues les couleurs
En leur insondable
Douleur
*