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18 juillet 2018 3 18 /07 /juillet /2018 07:26
Faire abstraction

« Dans un monde qui n'est pas si bleu

et qui ne tourne pas toujours rond »

 

Photographie : François Jorge

 

 

***

 

 

   Rien de plus concret qu’une roche, rien de plus concret qu’une couleur. Et pourtant, regardant ce plissement, sa teinte océanique et, déjà, nous nous évadons de ce monde-ci, déjà nous rejoignons le rêve, déjà nous quittons notre corps pour la sphère lisse des abstractions. Chimères, fictions, allégories revendiquent leurs droits et nous ne sommes plus réellement sur Terre mais dans l’espace infini des profondeurs célestes ou bien dans les fosses des abysses où vivent les poissons aux yeux de Lune.

   A peine nous échappons-nous du réel qu’il nous rattrape comme s’il y avait une fatalité nous disant le lieu de notre être. Nous visons la pierre et nous avons, sans délai, cette belle efflorescence, ces algues marines enchevêtrées ou bien le faisceau d’une main ou encore la couronne de Neptune et son trident. Fiction ou réalité ? Ou bien les deux ? Toujours nous oscillons de l’une à l’autre sans trop savoir quel est notre point d’équilibre. Nous y perdons notre orient, tout comme le monde se distrait de ses tâches essentielles avec l’insouciance d’un jeune amant que les attraits de sa maîtresse portent bien au-delà des habituelles conventions ou convenances, c’est selon.

    La folie est ceci qui s’empare de nous et nous jette de Charybde en Scylla, une fois dans la nasse du réel, une fois dans l’aéronef de l’imaginaire. C’est, à proprement parler, ce grand écart qui nous rend fous car nous ne savons plus quel site habiter. Nous nous efforçons de trouver au réel les charmes qui nous y attachent et ce sont de pures idéalités qui nous tirent de force de notre torpeur. Oui, car le plus grand danger que l’homme court est celui de l’habitude, de la même courtisane, de la même automobile, de la même vêture et, en dernier ressort, de soi-même girant autour de son axe tel un toton fou.

   Ce qui transparaît en filigrane dans le rapport concret/abstrait est rien de moins que la dialectique nature/culture. L’homme de nature a perdu ses racines au profit d’une culture hors-sol qui l’a projeté, l’homme, dans le monde des images. Déjà en son temps Guy Debord en faisait la critique dans La société du spectacle, livre emblématique et visionnaire s’il en est de la dérive dans laquelle les individus se précipitent à leurs corps défendant et, la plupart du temps, consentant. Nous sommes tous des victimes du régime iconique et pourtant le réclamons à grands cris. Les plus lucides, eux-mêmes, se laissent phagocyter par cette impitoyable machine à réduire l’humain en automate cybernétique où le langage se réduit à une option simplement binaire du type 0 - 1, c’est dire l’indigence du choix, c’est aussi dire l’aliénation de l’homme par l’homme mais nul n’a le pouvoir de refaire l’Histoire.

   Imaginez, vous êtes quelque part du côté de Banyuls, sur le sentier littoral de cette belle Côte Vermeille. Face à vous la Méditerranée. Si bleue. Si profonde avec son gonflement léger à l’horizon. A peine un peu de vent marin pour embrumer vos yeux. Votre assise, une dalle de schiste oscillant de persan à sarcelle en passant par maya, autrement dit toute la gamme des bleus-verts, palette infinie appartenant aux deux mondes reliés du ciel et de la mer.

   La mer, immensément matérielle, liquide, palpable, concrète, enveloppe si maternelle à laquelle, bientôt, vous confierez votre corps dans la plus belle des unions qui soit. Peut-être même, pris d’un heureux sentiment de plénitude, ferez-vous la planche, les yeux soudain emplis d’azur et de céleste, ces couleurs qui n’en sont pas, mais sont seulement des idées, des palmes de rêve, des effleurements fantasmatiques qui vous porteront au loin de vous, dans cette contrée des abstractions et des utopies dont vous sentez la douce pression quelque part en un lieu indéterminé de votre corps.

   Alors vous serez à mi-distance de ce réel qui fuit toujours, de ce songe qui lui emboîte le pas comme si rien n’existait que la maille souple et infiniment libre d’un conte pour enfants. Et lorsque vous aurez atteint cet état d’enfance, alors peu vous importera que le réel soit réel, que le rêve soit rêve, que l’abstraction le cède au concret ou bien l’inverse. Vous serez au-delà de vous dans le domaine sans nom du silence où s’éteignent même les  paroles de soie. Seul lieu où être assurément ! Seul lieu !

 

 

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