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11 août 2018 6 11 /08 /août /2018 09:14
 Rue des mirages

            " Un soir de mars à Audresselles..."

               Photographie : Alain Beauvois

 

 

***

 

 

   Rue des mirages

 

   On marche sur le rivage. On écoute le bleu du ciel, cette poésie longue en fuite d’elle-même. On regarde le moindre bruit sortant de l’eau, parfois une bulle qui gonfle et gagne la trame souple de l’air. Sur sa peau on devine le frisson de la nuit qui, bientôt, viendra. On surveille ce qui ne peut l’être, un dialogue d’amour au creux des demeures, le murmure d’un serment, le pli d’une mélancolie dans la venue du soir. Rien ne semble vrai que cette fragilité de l’instant dont on suppute, à chaque pas, qu’il pourrait disparaître, simple grésillement à la face des choses puis plus rien qu’une soie déroulant le vide de son silence. Les maisons sont immobiles dans leur étrave de ciment, on dirait d’antiques barques que la mer aurait abandonnées là, un jour de grande lassitude. On ne sait si quelqu’un, vraiment, en occupe le lieu ou bien si ce ne sont que mémoires témoignant du passé des hommes. Ses yeux, on les laisse aller au ras de l’onde, tels de curieux flotteurs qui voudraient connaître le mystère du monde. Mais tout vibre de soi et la surface  de l’eau est cet immense miroir où se reflète la figure du mirage, cet illisible qui efface tout dans les couloirs d’ombre.

 

   Rue des vertiges

 

   On avance prudemment comme si, dans le moment qui vient, un pur prodige pouvait s’allumer devant le globe ébloui des yeux : un vent habité de présences secrètes, un nuage poudré d’or, la faucille de la Lune moissonnant les gerbes d’étoiles. Mais regarder le ciel est toujours le risque de s’y engloutir dans la fosse abyssale de l’imaginaire. Alors on s’arrime au tapis de sable, alors on y cherche quelque point de fixation où assurer la topologie de son être. Seulement la lumière baisse, seulement le doute croît. Est-on seulement vivant en cette heure entre chien et loup où tout se confond en une identique silhouette ? C’est tout juste si on sent encore ses propres limites et déjà des éclisses de nuit entrent par les pores de la peau, glissent dans le bulbe de chair qui se dilate, se réverbèrent sur la neige des os. C’est, soudain, comme si le corps s’était retourné à la manière d’un gant, livrant sa pulpe aux yeux de la terre et du ciel. Nous qui regardions, de toute l’intensité de notre conscience, nous voici regardés, livrés à la curiosité de la vague, scrutés par la patiente écume, sondés par les milliers de gouttes du brouillard. Malgré l’étrange tout ceci est infiniment plaisant. On ondoie au large de soi, on largue les amarres, on navigue en pleine solitude où sont les bras de corail des étoiles de mer, où les flagelles des méduses paraissent de fins cristaux,  où les oursins lancent leurs piquants mauves, on dirait des joies subites se libérant du poids d’une énigme. On est au-dessus des profondes fosses marines et un délicieux vertige s’empare de notre présence qui devient si éthérée, si aérienne qu’on pourrait, tout aussi bien, se déployer en plein azur parmi la traversée blanche des grands oiseaux.

  

   Rue des rêves

 

   On est haut maintenant et le firmament bleu-nuit est piqué des yeux infinis des étoiles. On plane et s’assure de faire des courbes gracieuses, de beaux cercles pareils aux anneaux brillants des planètes. En bas, sur le champ des hommes, tout est calme. Encore un reste de jour, une clarté à ras du sol, une touche de réalité accrochée au rivage.  Les maisons font leurs boîtes multicolores, elles ressemblent maintenant à des jouets d’enfant disposés face à la lumière. Quelques feux que réverbèrent des vitres. Des couleurs atténuées, douces, qui effleurent et rassurent au seuil du grand voyage nocturne. Les Dormeurs dérivent sur leurs lits de bois, cloués à leurs rêves, ancrés à ce qui fuit et toujours ne profère son nom que dans un étrange murmure. Les Songeurs ne sont plus en eux mais en-dehors, loin des soucis multiples et des projets nébuleux. Sur de grands oriflammes se manifeste l’inaccessible dont ils ont halluciné le peuple souvent étroit de leurs destins : un amour, une ténébreuse pensée, une vertu dont, jamais auparavant, ils n’avaient eu le pressentiment.

   Ils sont en quête d’eux-mêmes, du temps qui passe, de l’espace qui s’éclipse à l’horizon, de la compagne qu’ils auraient pu avoir mais dont la rencontre a toujours été différée. Ils sont à la recherche de ce qui prend, le plus souvent, la teinte indescriptible de l’absolu : ce passé jauni aux si faibles résurgences, ce présent qui croule sous la hâte de l’instant, ce futur ouvert à la manière d’un grand livre sur lequel ils voudraient écrire le poème d’une joie simple, immédiate, tracer les orbes d’une ineffable félicité. Longue est la nuit qui demain s’effacera. Que demeurera-t-il de tout ceci : mirage, vertige, rêve ? Nul ne peut savoir, les prescriptions du monde sont si mystérieuses !

  

 

 

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