Photographie : Blanc-Seing
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Ce qui est à faire, se poster en arrière des choses, attendre qu’elles se dévoilent. Toujours elles se donnent de telle ou telle façon sans que nous prenions garde à leur venue. Aussi, le plus souvent, se révèlent-elles dans le banal, l’ordinaire. Elles échouent à nous étonner. Elles perdent la posture philosophique dont elles auraient pu se parer. Oui, car les choses, intentionnellement, ne se montrent qu’à nous interroger. Non à nous plonger dans un abîme. Ceci, l’abîme, seuls les humains le peuvent. Les choses sont, tout à la fois, plus modestes et infiniment exigeantes. A un embarrassant coreligionnaire qui fait votre siège, vous pouvez toujours manifester votre ennui ou bien lui signifier que sa présence est inopportune. Allez donc dire à ce paysage de s’absenter, à ce fourré de se dissimuler, à cette ouverture à claire-voie de fermer l’œil que nous observons là, devant nous. Oui, l’œil, car les choses nous voient et nous mettent en demeure de délivrer notre humaine condition. La seule manière pour elles, les choses, de s’y retrouver parmi l’écheveau dense des significations. Chose avec chose est de l’ordre de l’insignifiance. Choses avec homme et tout s’éclaire de cet écart, tout s’éclaire de cette amplitude.
De l’ombre voir le monde. Ceci veut dire que nous partons essentiellement d’un trouble, d’une non-vérité en direction d’une lumière dont nous espérons qu’elle nous décillera, tracera la voie d’une lucidité. Certes, vous me direz que la plupart ne se soucie guère d’authenticité dans cette saison approximative où tout égale tout dans une même coupable indistinction, à moins qu’il ne s’agisse d’indifférence. Les habitudes abrasent tout, si bien que les valeurs se confondant, parfois les choses prennent plus d’importance que les hommes ou les hommes méritent plus de considération que les choses. Ces deux attitudes sont également fausses et dommageables en raison d’une omission de pensée. Si nous-mêmes et le divers qui nous atteint ne pouvons être mis sur un pied d’égalité, l’attitude qui consisterait à jouer la précellence d’un par rapport à l’autre, de la chose, de l’homme, serait une simple et pernicieuse erreur : pour l’homme, pour la chose.
Marchant sur ce chemin à la crête de l’aube, je ne me sens ni l’égal du buisson, ni son supérieur. Je me sens simplement auprès de lui, tout comme la colline à l’horizon a besoin de ma vue pour exister, la trouée de lumière se manifeste à me conduire auprès du réel sans distance. Je suis ce que je vois. Je suis le réel au fond de moi et je suis ce réel qui vient à ma rencontre. Je suis à cette croisée des chemins. Pour cette raison je ne peux pas davantage m’absenter de moi-même que me soustraire à la découpe d’ombre, à la tache blanche qui flotte à l’horizon, à la vibration de la terre qui court tout là-bas, au double trait du sentier qui métaphorise la voie de mon destin.
Ce qui est à faire, se poster en arrière des choses, attendre qu’elles se dévoilent. Ainsi nous nous dévoilerons à nous-mêmes, étrangers que nous sommes qui, pensant à nous, oublions le monde. Oui, oublions le monde !