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5 novembre 2020 4 05 /11 /novembre /2020 08:46
Joie, uniquement joie

      Mesures de l'Hymne à la joie de Beethoven

 

***

 

 

  «joie », on prononce le mot, seulement, on le prononce avec une minuscule et rien ne nous parle et ce mot, tel un autre, se fond déjà au milieu des turbulences du lexique humain. Puis on dit « Joie » et alors tout s’éclaire et cette simple énonciation nous porte en dehors de nous, en des espaces qui nous sont inconnus, dont nous soupçonnons qu’ils ont une inestimable valeur. Alors nous nous enhardissons, gonflons notre poitrine et proférons le mot « JOIE », tout en Majuscules et c’est comme un vaste horizon solaire qui nous enveloppe et nous dit la radiance du jour, son coefficient d’inépuisable ressourcement. Ce mot est si ample, si majestueux, que nous clignons des yeux, ne pouvant soutenir, en un seul empan du regard, sa totale plénitude. C’est ainsi, parfois le langage, fût-il constitué d’un vocable simple, nous questionne infiniment et nous invite à la fête indicible de la compréhension. Alors il nous faut creuser, interpréter et donner ainsi des gages à notre éternelle soif de connaissance. Ne le ferions-nous point et nous serions semblable à l’animal en quête de sa seule proie, à la plante demandant sa terre et son eau.

   Donc nous disons « JOIE » et déjà nous savons que nous ne sommes  plus dans la coursive étroite du quotidien. Une autre dimension s’est ouverte à laquelle nous sommes conviés, sans possibilité aucune de nous y soustraire. C’est la loi de notre essence que de nous constituer en tant que pensants, ce dont nous devons assurer la charge. Ce mot est habité d’une telle phosphorescence que, de partout, il déborde le cadre de notre sensation. Il se dilate et se donne tel un oiseau des cimes qui flotterait haut, gorge blanche épanouie tout contre le dôme d’azur. Un vol si hauturier que nous serions saisis de vertige à la seule pensée de l’envisager, c'est-à-dire de lui donner visage. Car donner sens est toujours donner visage. Que serait, en effet, quelque réalité - pierre, feuille, fleuve -, sans qu’un visage, une face, puissent leur être accordés comme le fanal par où les reconnaître ? Oui, les choses ont un visage, grâce auquel nous les reconnaissons et les plaçons à l’endroit exact de leur vérité.

   Mais la « JOIE », qu’en est-il de la « JOIE », si ce n’est chercher à se saisir d’un fantôme qui, partout recule, et dissimule les contours de son être ? Car toute JOIE est abstraite, n’est-ce pas ? Qui donc, un jour, pourrait se vanter de posséder la JOIE, tout comme l’on possède une pierre précieuse ou bien une automobile ? JOIE est pure abstraction. Ce faisant il nous est demandé de lui attribuer une présence identique à un objet. Donc nous disons : «Cette pomme est JOIE » ; « Cette Belle est JOIE » ; « Ce tableau est JOIE ». Nous, en tant que Sujets, visons l’objet JOIE à la mesure de notre conscience intentionnelle. Nous lui conférons site, présence et l’amenons sur le plan d’une possible réalité. Et le sens qui résulte de notre confrontation à la JOIE est simple passage de nous à elle, passage qui nous détermine tous les deux comme deux vis-à-vis dont les êtres coïncident l’espace d’un instant. Toujours fugace car il est dans la nature de la JOIE de ne point durer. En serait-il autrement que son essence hypostasiée se confondrait avec l’arbre ou la racine ce, qu’évidemment, jamais elle ne consentirait à être. Car la JOIE a une volonté, celle de rencontrer un étant afin que, conduit à son ultime accomplissement, ce dernier puisse découvrir l’être qui lui est consubstantiel et le fait tenir debout parmi la multitude des phénomènes terrestres.

   Disant la JOIE, nous disons toujours en dehors de nous pour la simple raison que nous ne nous croyons nullement éligibles au titre d’une telle félicité. La visant, nous croyons parler de Pascal et de son Mémorial « Joie, joie, joie, pleurs de joie », paroles surhumaines adressées à son Dieu. Nous croyons parler de Zarathoustra, de son chant au sein duquel  « TOUTE JOIE VEUT L’ÉTERNITÉ ». Nous croyons encore parler de Spinoza pour qui « la joie est le passage de l’homme d’une perfection moindre à une plus grande ». Nous croyons parler de Beethoven transcrivant en symphonie le poème de Schiller. Mais qu’en est-il de l’homme ordinaire qui, lui aussi, voudrait approcher cette expérience de la JOIE ?

   Alors nous pensons à l’humble, au simple. Nous pensons au jardinier qui abrite amoureusement ses semences du vent et du froid, les flatte du creux de la paume et sent le végétal rayonner en lui, déployer ses ramures de chlorophylle à l’intérieur de son corps : JOIE.

   Alors nous pensons au potier qui façonne un vase. Ses mains sont si intimement liées à la matière qu’il fait corps avec elle, comme si aucune division ne s’instaurait entre la chair et la chose produite : JOIE.

   Alors nous pensons à l’enfant qui caracole et s’envole en imaginaire avec son cerf-volant bariolé : JOIE.

   Bien des penseurs prétendent que la JOIE est immanente à sa propre essence, qu’elle n’a nul besoin d’un objet en vis-à-vis afin de paraître. Clément Rosset abonde dans ce sens en affirmant que : «…la joie est un plein qui se suffit à lui-même et qui n’a besoin pour apparaître d’aucun apport extérieur». Ainsi, un homme dans le secret de sa chambre connaîtrait cette sublime ascension-expansion sans que quelque objet que ce soit n’en ait déterminé l’apparition et le cours. Mais, ici, c’est faire abstraction de toute l’empirie humaine, postuler l’existence d’une conscience vierge du monde, de toute forme préalable, sur laquelle soudain s’imprimerait l’ineffable et sourdrait, à la manière d’une eau fossile mise au jour, délice et volupté, sans raison, en quelque sorte simple phénomène dépourvu d’un enchaînement de causes et de conséquences.

   Mais cette abondance, ce soudain excès ontologique ne naissent pas d’une façon spontanée car, alors, il faudrait supposer la brusque émergence d’une « crise mystique » ou bien d’un acte de piété qui en révéleraient la prodigieuse apparition. Bien plutôt il semble toujours s’agir d’expériences intériorisées qui n’attendaient que l’instant de leur résurgence. Une sorte de « Petite Madeleine » faisant sa belle éclosion au plein d’une profondeur bouleversée. C’est parce que, dans le pli de notre être, subitement, le processus des affinités avec le monde a trouvé sa correspondance, son union, que le sentiment de cet envahissement heureux peut se produire et nous ébranler. Nous ne pouvons donc écrire, simplement, toute Joie, Joie dans le genre d’un pur jaillissement dont jamais on ne pourrait connaître le lieu de la provenance. Tout au plus pourrions-nous écrire Toute JOIE ne survient qu’à la condition d’y avoir été préparée. Toujours nous sommes disponibles pour son accueil. Toujours les mains de l’homme sont ouvertes qui attendent les offrandes. Toujours !

  

 

 

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