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26 avril 2019 5 26 /04 /avril /2019 14:26
Plaisir de TOI

                    Photographie : Blanc-Seing

 

*

 

« Si les hommes souffrent tout aux femmes,

n’est-ce pas uniquement

dans la vue du plaisir

qu’ils en attendent ? »

                                                                                     

« Eloge de la folie » - Erasme

 

***

 

 

   Dans ce printemps qui bourgeonne et essaime  partout la corolle des plaisirs, ne sens-tu combien nos sens sont requis pour en cueillir la sublime ambroisie ? Nous n’avons guère à faire, sinon nous laisser aller à ce flux léger qui parcourt le glacis de nos peaux et nous tient le langage léger de l’être en sa sublime venue. Toujours nous sommes disposés à nous ouvrir au monde, à rencontrer l’Autre, mais peut-être notre naturelle paresse nous tient-elle éloignés de ce bonheur simple du lien que les affinités déclinent selon quantité d’harmoniques. Nous pensons que l’alliance, la confluence des hommes et des femmes, découlent d’un principe naturel dont nous ne décèlerions la cause. Pour le simple fait qu’il s’adresse à nos cœurs en sourdine et ignore le tranchant de notre raison. Bien des choses, qui sont inapparentes, guident notre conduite sans que notre lucidité en soit informée.

   Mais tu comprendras aisément que parler en termes généraux ne suffit plus et que l’explication est trop courte, genre d’esquive qui se déleste d’un poids suffisamment lourd à porter. Les questions essentielles, tu me l’accorderas, nous les plaçons dans l’ombre méticuleuse dont nous vêtons nos propres dérobades. Comment, en effet, pourrais-je te dire le soyeux plaisir que ta vue m’inspire sans que tu penses, en ton for intérieur, que ce mouvement d’âme qui est le mien ne puisse résulter que de la mise en exergue de cet égoïsme foncier qui est l’empreinte définitive de l’homme sur le monde ? Certes, il en est bien ainsi. Mais, TOI, celle que je vise avec l’intensité flamboyante de mon désir, ne tires-tu, aussi, de ce regard d’envie, une flamme intérieure qui, un instant au moins, flatte ton propre ego, le place dans la clarté d’une pure jubilation, parfois même s’y laisse deviner la lumière d’une joie ?

   C’est bien ceci, nous sommes des êtres en partage mais nous destinons à nous-mêmes la part du Prince et laissons à l’autre celle du Valet. Constante dialectique du Maître et de l’Esclave dont Hegel, un jour de génie (il en eut beaucoup !), se fit l’admirable colporteur, pensée féconde et juste qui, encore de nos jours, nous permet de comprendre les grandes et incessantes oscillations de l’Histoire. La Grande qui se traduit en Civilisations, la petite aussi qui écrit, en minuscules,  nos destins individuels. Oui, nous ne rêvons que de cela, étendre notre prestige, notre domination sur les terres environnantes et gagner celles au-delà de l’horizon. Nous sommes des Conquistadors, non seulement en puissance, mais en acte. Que nous faut-il tant de biens alors que la possession d’un unique amour devrait amplement suffire  à étancher notre soif ? Mais nous sommes insatiables et notre faim nous persécute, raison pour laquelle nous sommes de continuels cueilleurs-chasseurs en quête de leurs proies.

   J’en conviens, cette perspective du prédateur et de la proie n’est nullement réjouissante, elle a cependant le mérite de dire le réel tel qu’il est. Car à quoi nous servirait-il d’ignorer des choses qui sont claires, sinon à nous laisser éblouir, précisément, par cette clarté ?  Nous avons cette part en nous d’irréductible volonté ou bien d’instinct de survie. Nos actes les plus infimes en portent témoignage. Nos sentiments en constituent nos emblèmes les plus évidents. Mais allons à la métaphore, elle nous aidera à comprendre ce qui, le plus souvent, demeure incompréhensible. Une mouche s’est posée sur le pétale d’une fleur. Elle lisse ses ailes d’un plaisir anticipé. Elle aiguise sa trompe afin que celle-ci cueille, dans le calice ouvert, ce nectar qui la ravit en même temps qu’il la nourrit. Sa conscience, fût-elle infinitésimale, est emplie de cet acte salvateur. Le pourrait-elle, que cet insecte ne viserait nullement à créer le délice de son hôte, seulement à s’assurer du SIEN propre. Considéré du point de vue strictement subjectif, l’Autre - fût-il orthographié avec une Majuscule -, n’est que de surcroît, que chambre d’écho dont nous attendons que le mot que nous lui avons envoyé nous revienne, augmenté de la jouissance qu’y a déposée son destinataire.

   Cette situation, si elle se donne, au premier regard, en tant que négative, n’est pour autant nullement tragique. Elle est simple fait humain avec son adret ensoleillé, son ubac d’ombre, sa ligne de crête sur laquelle, la plupart du temps, nous cheminons sans bien apercevoir les versants qui en constituent les inévitables et indispensables revers. Imaginerait-on une nuit éternelle sans qu’un rayon de jour ne vienne en révéler la ténébreuse face ? Erasme dit si bien cette profonde vérité : regarder une femme, la flatter, est identique à une manière de marché de dupes. Je ne TE considère qu’à semer dans MA conscience les spores d’une beauté, laquelle, dans son éclosion, ME comblera et ME portera tout au-devant de MON être.

   Mais je crois la proposition infiniment réversible. Toute femme attend d’un homme qu’il LA comble et lui dise l’exception qu’ELLE est parmi la foule dense des anonymes. Homme, Femme, ceci s’appelle incomplétude dont il faut saturer le manque. Survivre est à ce prix ! Cependant feindre de croire qu’un humain se suffit SEUL serait pure forfaiture. Toujours regarder l’Autre et conforter sa propre présence ne peut résulter que d’une éthique. Je n’existe que par l’Autre qui me vise en conscience, l’Autre que je redouble à seulement le prendre en considération à l’aune de ma vision qui ne peut être que reconnaissance et remerciement.  Nous ne sommes qu’images dont les figures appellent un miroir « réfléchissant » aux deux sens du terme : renvoyer un train d’ondes visuelles, susciter une spéculation. Certes nous avons fort à faire. L’envisager est déjà le début du processus. Printemps, en ton majestueux déploiement, dis-nous qu’un jour, nous disposerons, comme toi, de cette belle prodigalité. Nous ne saurions formuler souhait plus exact. Que vienne le temps de la floraison !

 

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