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2 novembre 2020 1 02 /11 /novembre /2020 09:33
Coefficient de silence

  Arunachala, Tamil Nadu

 

   Photographie : Thierry Cardon

 

***

 

Le Seigneur Shiva a déclaré:

« Quiconque regarde cette colline

d'où elle est visible

ou même la pense mentalement de loin

peut atteindre ce qui ne peut être acquis

sans grandes douleurs -

la véritable portée de Vedanta

(réalisation de soi)».

 

Arunachala Mahatmyam

 (Skanda Purana)

 

*

 

   Nous regardons cette image et nous disons sa grande pureté. La pointe de la montagne s’élève dans le ciel teinté de gris et devient presque invisible. C’est là le destin de toute hauteur insigne que de s’évanouir à même son céleste voyage. Nous regardons et nous rêvons puisque toute activité onirique est par essence si diaphane que seul l’évanouissement peut en témoigner. Non en rendre compte  car alors il s’agirait d’une rationalisation, d’un début d’explication et la Nature en sa grandeur se livre seulement à l’intuition, échappe aux calculs, se dissout dès lors que l’on veut en saisir la spatialisation, en fixer la temporalité. C’est ainsi, certaines réalités n’infusent  la lactescence des étoiles et les mystères de la cosmologie qu’à devenir illisibles et muettes, clouées d’un éternel silence. Certes, bien des tentatives auront lieu, de l’ordre du chant sacré, du magistral poème, de l’indéfinissable méditation pour accéder à ces cimes qui toujours se soustraient à la vue au prétexte d’un nuage, d’un mince brouillard. Mais l’estompe n’est nullement matérielle qui pourrait se donner en tant qu’entité physique, elle est bien plus tissée de spiritualité, de fils de la Vierge, de choses qui nous échappent et ne savons nommer. De riens, en quelque sorte. De néant vêtu de transparence. D’apparitions-disparitions qui clignotent tels d’inutiles et risibles sémaphores.

   Ici, depuis ce modeste appentis gravissant au gré de ses balustres tournées les degrés qui mènent dans quelque domaine situé au-delà de nos communes préoccupations, nous sommes en attende de l’indéfinissable. Je ne sais si ce réduit est l’ermitage du sage Ramana Maharshi, ce que je sais cependant c’est que cet homme dont le but était de réaliser son Soi ici et maintenant, se contentait de ce qui venait à lui comme la source surgit de terre dans la grâce du jour. Sans effort. Sans paroles. Sans bruit. Peut-être toute vérité est-elle assimilable à cette simple métaphore de ce qui coule de soi et ne demande rien d’autre que de couler, de faire sa rigole inaperçue parmi les tiges où habitent les lucioles.

   Nous, les Occidentaux, nous les couchés sous l’astre déclinant, sommes facilement aveuglés par la première illusion qui tremble à l’horizon. Il nous faudrait nous « orientaliser », remonter à l’origine du jour, éprouver le bleu glacé de l’aube, puis le sang rubescent de l’aurore, puis le blanc du zénith comme des phénomènes qui, non essentiellement nous seraient extérieurs, mais comme des états internes qui trouveraient leur écho dans la grande giration universelle. C’est parce que nous ratiocinons et argumentons, nous dispersons en vaines paroles que nous établissons une limite, traçons une frontière entre le dehors et le dedans, disons le sujet ici, l’objet là. Il faudrait écrire le réel avec un seul et unique bout de craie qui ferait le tour de la Terre et gagnerait la froide nuit cosmique. Il faudrait !

   En réalité il n’y a nulle différence, nulle césure qui place le soleil, loin là-bas dans son inaccessible forme, alors que la nôtre, forme humaine, serait à mille lieues d’en pouvoir éprouver la belle et infinie présence. Le soleil à l’aube, c’est NOUS en notre pause hésitante avant que le monde ne s’agite. Le soleil à l’aurore, c’est encore NOUS et notre rivière de sang qui s’impatiente de faire son flux écarlate. Le soleil blanc au zénith, c’est encore NOUS quand la connaissance nous illumine de l’intérieur et nous porte à l’incandescence. Bien évidemment, poser une égalité du soleil et de son propre Soi, en termes de rationalité, serait pure démence ou bien paranoïa portée à l’acmé de sa propre puissance.

   Ce qui est à saisir, simplement, c’est que nous sommes toujours auprès du monde, nous sommes ce fragment qui trouve sa correspondance dans les yeux aigus des étoiles, les spores infinies de l’amour, les œuvres d’art qui flamboient aux cimaises des musées. Nous ne pouvons nous en détacher qu’à éprouver matériellement notre finitude. Vivants, nous sommes reliés, infiniment reliés à tout ce qui croît sous le ciel et, aussi bien, végète sous les plis de la glaise. Pourquoi donc serait-il nécessaire d’exercer notre volonté (le plus souvent de puissance) pour gagner l’écrin qui, un jour, nous a été offert comme le lieu de notre existence ?

   C’est à force de concepts, de procès d’intellectualisations, d’édifications de catégories, d’élévations de prédicats que nous nous sommes séparés d’avec le monde. Regardez donc le bouton de rose dans sa belle innocence. Vous demande-t-il donc de produire un effort afin d’en rejoindre la beauté ? Certes, non, la beauté se donne à la seule condition que le regard soit éduqué à en saisir l’exception. Être éduqué est plaisir, non nécessité. Il semblerait que cette évidence se soit perdue, comme certains ruisseaux disparaissent soudain pour ne jamais connaître le lieu de leur résurgence.

   Cette image est calme, empreinte de douceur. Elle ne témoigne d’autre chose que d’elle-même. Il suffit d’un simple acte de vision pareil à celui de la déglutition ou bien d’une sensation à fleur de peau. Le « lâcher-prise » est à la mode, c'est-à-dire qu’il n’est l’adjuvant d’un rapide bonheur que pour ceux qui croient aux artifices et aux ficelles qu’il suffit de tirer pour faire s’agiter la marionnette humaine. Encore une fois, il n’y a rien d’autre à faire que d’être totalement présent, sans reste, sans quelque lambeau de peau qui demeurerait en arrière de nous dans un pseudo-monde ne vivant que d’artifices et de faux-semblants. Être présent est ceci : l’emplissement de sa conscience hors toute règle, hors toute injonction.

   La conscience a à être libre si elle veut s’affranchir de tous les conditionnements qui en obèrent le souple cheminement. Il n’y a pas d’exclamation de joie ou bien de manifestation d’étonnement dans le simple fait de regarder un spectacle qui porte en lui une manière de ravissement. Il y a simple jonction de la « chose » à Soi et toute considération ne peut être qu’adventice. On disait  Ramana Maharshi comme indifférent au monde alentour, immobile, peut-être perdu dans ses pensées.

   C’est bien là la force d’une vraie et authentique spiritualité que de fusionner entièrement avec ce qui est présent. La rivière s’écoule, l’air frissonne, le soleil chauffe et le Sage navigue de conserve si bien qu’aux yeux des sophistes il semble absent du monde. Mais c’est bien du contraire dont il s’agit. Il est dans chaque chose, il est la manifestation même des processus avec lesquels il vibre, est en harmonie, en symbiose. Le divers alors s’efface pour laisser la place à l’unité. Il n’y a plus d’agora bruyante nécessaire pour que quelque chose se dise qui fixe la quadrature de l’être. Celle-ci va de Soi et se confond avec sa propre essence. Voilà, rien d’autre à éprouver qu’un éternel silence et les oiseaux croiseront dans le ciel et les nuages feront leurs voiles indistincts et les algues flotteront à mi-eau. Voilà : faire SILENCE !

   

 

 

 

 

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