Photographie : Blanc-Seing
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Ô, toi, l’Eloignée de mes yeux,
as-tu, en ta boréale contrée
déjà rencontré
la douce empreinte
de la lumière ?
Je veux dire ce baume
qui n’en finit de couler
et donne à la peau
la sourde clarté
d’un matin d’été
tôt levé.
Ici, sur mon causse,
dans mon pays de pierre
et de vent,
jamais la clarté
ne s’arrête.
Toujours elle vient du Nord,
du côté de chez toi,
et file en direction du Sud
en faisant ses étranges
clignotements,
ses sauts de carpe,
ses capricieux saltos.
Pensant la voir ici,
sur le front arrondi
d’une gariotte
ou bien sur les murs
de pierres sèches
qui bordent les enclos,
et déjà elle est là-bas,
plus loin que l’horizon
et je pense à
ces étranges populations
d’au-delà les montagnes,
à ces peuples de pêcheurs
et de rudes cultivateurs
qui doivent en recevoir
la verticale offrande.
Car, vois-tu,
toujours nous sommes
en dette,
ou devrions l’être,
de ce sublime accroissement
de l’être
qu’est toute venue à nous
de cette splendeur
qui nous remet
le don de voir.
Que serions-nous si,
soudain,
la lumière s’absentant
de notre habituel paysage,
nous ne pussions,
désormais,
qu’avancer à tâtons
dans la nuit lourde,
que serions-nous
à défaut d’être,
par elle, fécondés ?
Oui, tout vient d’elle,
tout part d’elle
et tout y retourne.
Mais quels seraient donc
ces hommes inconscients
qui pourraient
se soustraire d’elle,
oublier de lui vouer
quelque culte ?
Tu connais mon radical athéisme.
Mais pourquoi donc l’homme
éprouva-t-il, un jour,
le besoin d’inventer Dieu ?
La femme, sa compagne,
ne lui suffisait-elle donc pas ?
Et, comprends-tu,
si j’éprouvais,
par impossible,
le besoin
d’avoir une religion,
ce serait celle,
solaire,
des anciens Incas
ou bien celle
d’un Zarathoustra
s’adressant ainsi
à l’immensité
de l’éther où ruisselle
la lumière blanche
de l’astre du jour :
« Je préfère me cacher
dans le tonneau
sans voir le ciel
ou m’enfouir
dans l’abîme,
que de te voir toi,
ciel de lumière,
terni par les nuages
qui passent ! »
Certes, belles
sont les dentelles des nuages,
ces respirations stellaires,
les flocons légers des cumulus,
les fines nappes des cirrus.
Mais combien le ciel
est plus souverain,
plus exact lorsque,
en son centre,
roule la boule
qui lui indique son cap
et lui fixe sa destination.
Et quelle est donc celle-ci,
sinon les améthystes profondes
des yeux, les tiens,
ceux de tes compagnes,
si ce n’est la blanche porcelaine
des sclérotiques des hommes,
leur regard d’amour
qui te tire hors de toi
et t’emporte
en une aventure
dont tu ne connais
nullement le motif,
seulement l’émotion
qui l’anime ?
Ecrivant ceci,
c’est juste au retour
de ma tâche quotidienne
qui consiste,
dès le matin,
dans la réserve bleue
de l’aube,
à herboriser.
Mais tu sais toute
ma gratitude
pour Jean-Jacques
et pour les herbiers
qu’il confectionnait
afin de peupler
son éternelle solitude.
Donc, ce matin,
j’ai cueilli ce rameau
d’un simple
dont je ne connais le nom
mais peu m’importe
de pouvoir le nommer
de telle ou de telle manière.
De lui, ce que j’attends,
c’est qu’il m’indique le trajet
de la belle lumière.
D’elle, la lumière,
j’attends qu’elle me révèle
à moi-même
puisque, tu le sais,
nous ne sommes jamais
qu’à la recherche
de ce continent invisible
que nous sommes tous,
que nous rêvons de connaître
afin que notre avancée dans l’heure
soit diurne et non remisée
aux ombres nocturnes,
à ce coefficient d’effroi
qui se loge toujours
dans la faille ouverte
qui boit le sens des choses,
dont nous ressortons,
le plus souvent, épuisés,
sans plus aucune ressource
qui nous dirait le lieu exact
de notre marche.
Donc ce simple est beau,
lui qui est sculpté
par la lumière.
D’elle il tient toute son énergie.
D’elle il tient sa forme.
D’elle résulte son langage,
son élan,
les courbes qu’il nous offre,
l’esthétique qu’il nous remet
comme son pouvoir
le plus secret.
Ce rameau se dit
en lumière
que féconde la lumière
de nos yeux.
Mais voici que,
cette nuit dernière,
je t’ai créée en songe
(c’est bien nous qui fabriquons
ces images,
c’est de nous
que vient la clarté,
de notre conscience
qui a archivé dans ses arcanes
les milliers de photons
qui s’assemblent
afin qu’un paysage onirique
se puisse constituer ?),
donc tu étais sur une grève
inondée
d’un miroitement gris,
tu te levais à peine
de ce ruissellement discret,
tu étais, tout à la fois,
ce sable qui courait
au ras de l’eau,
cette plaque brillante
d’une onde qui se jetait,
là-bas, vers l’horizon,
dans la mer infinie.
De courtes vagues
venaient s’échouer
à tes pieds
avec lesquelles tu jouais,
comme tu l’aurais fait,
éprouvant de la paume
de la main
la peau lustrée
et glissante d’un dauphin.
Au large de la vue,
deux barres noires
de rochers
fermaient presque totalement
la baie.
En bas,
toute une joyeuse cohorte
de nuages blancs.
Plus haut,
le tissage plus serré
de cirrus
qui viraient
dans des teintes d’ombre.
Depuis ce lointain
où ma mémoire t’a reléguée,
peux-tu au moins voir
ce superbe chatoiement
pareil à la lueur
d’une pierre ponce
ou bien au reflet
que le galet renvoie au ciel
depuis sa courbe
à peine venue au monde ?
Vois-tu, dans l’immédiate
avancée du temps
- cet impalpable, cette écume -,
ces algues noires
qui dessinent sur la toile
de la plage
le chiffre de qui tu es,
celui-là même
que je ne perçois
qu’au travers d’un rideau
de brume ?
Serais-tu l’incarnation
de Diane,
dont le nom te désigne
comme celle qui correspond
au ciel diurne,
celle qui soutient
la lumière du jour ?
La sœur d’Apollon-le-lumineux,
le plus bel éphèbe
qui jamais se donna
aux yeux émerveillés
des voyageurs sur terre.
Demeure ainsi
en ta puissance originelle
et fais de ta réputation
de chasseresse
celle qui chasse les ombres,
écarte les ténèbres,
envoie la lumière
et, surtout, jamais
ne deviens Hécate,
cette déesse vouée
aux maléfices,
celle qui hante les nuits
où la Lune renonce
à paraître au ciel.
Mais que serait donc l’existence
sur une terre seulement parcourue
de sillons nocturnes,
une terre qui ne parviendrait
même plus
à dire son nom
puisque personne,
sur ses lèvres de nuit,
ne pourrait en reconnaître
le lumineux prestige.
Ô, toi, la loin venue
des aurores boréales,
des ciels où se déplient
ces belles écharpes d’émeraude,
fais-nous la faveur
de nous visiter
de tes doigts
où étincellent les étoiles.
Où repose notre
possible bonheur.
Lumière est en nous
Qui faseye et attend.