Photographie : Blanc-Seing
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Cette lumière, me disais-tu,
cette lumière à peine venue,
ce mince liseré qui habille les choses.
Jamais, affirmais-tu,
l’on ne connaît l’autre,
juste ce contour
qui grésille à l’horizon,
meurt de n’être point arrivé
à ce degré d’ouverture
qui nous l’eût livré
tel celui que l’on attendait,
dont on n’osait espérer
qu’une rapide parution,
peut-être un simple mot,
puis la gueuse de silence
se refermant sur l’impénétrable
mystère des choses.
Longtemps nous errions
en nous-mêmes,
tels des navigateurs
au sextant pris de folie.
Nous ne voulions
nous enquérir de l’heure
qu’à ne nullement
y succomber.
Nous étions au bord du vivre
et souhaitions y demeurer
le plus longtemps possible.
Non pour briller.
Non pour nous donner en spectacle
sur l’illisible scène du monde.
Non, un destin d’éphémère
tout contre la vitre muette
de la lampe,
voici ce à quoi nous aspirions,
que nos présences si discrètes autorisaient.
Il nous fallait être, simplement,
l’un à l’autre face au doute
qui suintait du ciel.
Ne se savoir, chacun,
qu’en son anonyme contrée,
s’y abîmer dans la closure des yeux
et voir, de l’intérieur,
la réverbération de ceci qui se refermait
à mesure que nous en demandions
l’impossible désocclusion.
Dans la courbe que faisait la lagune,
dans le bleu qui nappait tout
de son infinie et douce glaçure,
nos mains s’étaient rejointes
en une muette supplication.
Eût-il fallu que nous fussions
fous ou bien inconscients
pour ne pas happer
cet instant de bonheur,
l’enclore dans l’écrin
de ce qui se donnait
dans l’immédiateté,
en faire le sujet, plus tard,
d’une heureuse réminiscence.
Jamais l’on ne cerne
avec suffisamment d’exactitude
la plénitude d’un moment,
le rare d’un lieu avec lequel
nous devrions jouer en écho
et que, pourtant, nous ignorons
pour la simple raison
que nous n’en apercevons
même pas la tremblante clarté.
La nuit venait tout juste
de quitter le socle de la terre.
Encore quelques haillons d’ombre
accrochés aux ramures des arbres,
ici et là.
Nulle autre présence
que la nôtre
et le langage de l’eau
dans son minuscule clapotis.
Ce flux, ce reflux de l’onde,
tu en sentais en toi
l’intime pulsation,
tu en devinais
le vénéneux trajet
dans l’étoilement carmin
de tes veines.
Tu me disais,
ce mouvement lent de l’exister,
cette si belle oscillation,
ce battement imperceptible,
ils sont la muse du poète,
le prétexte au rêve des aquarellistes,
ils sont aussi ce poison instillé
au plein de notre chair,
celui qui ruine notre devenir,
tache l’espoir que nous avions
de pouvoir prospérer,
de connaître, peut-être,
un bref instant d’éternité.
Mais qu’était donc
ton corps auroral
se levant au jour de l’être ?
Une hallucination que tu m’offrais ?
Un sabbat de sorcière
dont je ne pouvais traduire le chiffre ?
Le rêve de l’inatteignable compagne
dont je traçais la fuyante image
sur la toile perfide de mes nuits ?
Mais qu’était donc toute
cette immobile agitation
sinon le régime le plus contradictoire
qui se fût imaginé ?
Il y avait là,
à portée de mes doigts,
cette glaise souple,
tes bras dociles que l’air butinait,
tes longues jambes,
ces filaments soyeux
qui te reliaient à la sombre rumeur
de la terre.
Mais, ô combien tout ceci,
cette lecture d’une vivante éphéméride
qui s’effeuillait
dans la pellicule du temps
était le spectacle le plus beau,
le plus inouï qui se fût jamais présenté
aux yeux des passants
et des chercheurs de sens !
Tout était donné
dans le pli attentif de l’heure
mais l’on n’en était toujours alerté
qu’après que les choses
étaient passées,
que les événements
étaient retournés
au lieu de leur origine.
Alors que restait-il à faire,
sinon vivre à l’aplomb de soi,
ne faire qu’une ombre étroite,
coïncider un instant seulement
avec sa propre vérité
- celle de l’autre était si loin ! -,
la déguster comme on le fait
d’un mets précieux ?
Mais, oserais-je l’avouer,
dans la verticale du jour,
alors que la lumière
bourgeonnait au zénith
l’heure était passée
hors notre propre tumulte
- toute cette blancheur ! -,
nous nous sommes aimés
sur la rive soudain clouée
de chaleur.
Un instant,
un instant seulement,
j’ai cru te connaître,
être allé au-delà de moi,
avoir franchi ma barrière de peau
pour enfin connaître
le revers de la tienne.
Mille illusions que ceci,
c’était la réflexion
de ma propre image
que je cherchais à saisir
dans le miroir profus
de ton corps.
Des étincelles s’y allumèrent
qui, encore,
brûlent ma pensée
aux moments de détresse.
Sais-tu,
toi la passante d’un jour,
combien de fois,
jusqu’à la cruelle obsession,
j’ai rejoué cette scène
qui, aujourd’hui,
est si irréelle
qu’elle prend l’allure de brume
de la lagune qui nous accueillit
ce jour du passé
et ne parvient à mourir,
brasille au loin,
pareille à l’étoile perdue
au fond du firmament ?
Se levant au jour de l’être,
toi, l’inconnue,
m’avais crucifié
et je ne le savais point.
Seuls les stigmates
en forme d’éternelle brûlure.
Le miroir m’en dit,
chaque jour,
la tragique et ineffaçable
épiphanie.
D’être ainsi cloué,
manière de chimère sacrificielle,
au mitan de mon destin
ne me désole nullement.
Ce que je voudrais, surtout,
mais ceci est hors de ma portée,
presser une fois encore
la pulpe de ton corps glorieux
dans celle, immensément vacante,
de mes doigts
et mourir.
Oui, mourir.
La seule liberté.
La seule délivrance !
M’y rejoindrais-tu ?,
mon unique
et éternelle consolation !