Oeuvre : Barbara Kroll
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Oui, la pièce « est vide et blanche »
et c’est cela même que vous prenez
pour votre esprit qui, sans doute,
en a effacé la perspective existentielle ?
. Pouvez-vous, au moins,
supporter votre charge de Néant,
nullement vous dire Mortel
puisque votre existence
est encore plus réduite
que peau de chagrin ?
Que votre hypothétique vie
est tissée de Charybde,
ouvragée de Scylla.
Exister, pour vous,
c’est endosser
cette dimension abyssale
au terme de laquelle
vous ne pourrez découvrir
votre esquisse
qu’à l’aune de l’intervalle,
qu’à la hauteur de la faille,
qu’à l’altitude du vertige.
Mais laissez-moi vous dire -
bien sûr vous ne pouvez m’entendre,
mais quiconque parle et même s’égosille
ne fait commerce qu’avec le Néant,
tout au plus est-il ce bizarre ventriloque
dont les borborygmes ne façonnent
que l’envers opaque
d’une étique anatomie -,
donc laissez-moi vous dire
comment je vous vois
et, ici, je consens à vous attribuer
quelque semblant de réalité
le temps de bâtir une rapide scène,
de dresser les tréteaux sur lesquels,
un instant seulement,
vous allez agiter votre corps
de pantomime,
votre silhouette d’acteur
de la commedia dell’arte :
sur un fond infiniment crayeux,
blême telle la Camarde,
on devine vos formes affligées
de Pénitents en méditation,
comme si la prière allait vous sauver
de l’Enfer,
des Autres
et de Vous
en dernière instance.
Mais vous savez que rien n’y fera,
que vous serez toujours
dans les coulisses,
peut-être dans le trou du souffleur
ou bien logé au plus haut des cintres
regardant de vos yeux vides
les pauvres hères,
les tristes emblèmes d’une vie
qui n’existe pas.
Vous avez beau vous donner
des allures de dandy à la Baudelaire,
mimer quelque poème
des « Fleurs du mal »,
vous ne sortirez nullement
de l’ombre qui vous endeuille
alors que vous n’êtes même pas nés,
nullement arrivés au premier signe
qui aurait pu manifester votre aube.
Vous n’êtes qu’un éternel couchant,
un astre mort -
oui, tout comme moi, il va de soi -,
un genre de choucas qui bâille aux corneilles
et n’en reçoit que le triste coassement
venu du plus loin d’outre-vie.
Quelqu’un aurait-il connu l’aventure
d’un règne sur Terre,
fût-il aussi prompt que l’éclair,
aurait pu vous envisager ainsi :
forme double,
comme en écho,
genre de mirage d’astigmate,
à peine tremblement
sur la vitre dépolie de la sclérotique,
pitoyable affabulation se prenant
pour l’Académie-en-personne,
spectre d’un passé révolu et amnésique,
chimère ayant perdu ses attributs mythiques,
simulacre cavernicole hantant
quelque phantasme platonicien.
Oui, vous êtes sans être,
vivez sans vivre,
existez sans exister.
Et ne croyez nullement
que le canapé fantoche
sur lequel vous êtes censé
faire croître votre être nous abuse,
non plus que le guéridon
- une table tournante ? -,
qui nous fait face ne délimite
quelque contour que ce soit.
Le Vide a-t-il des limites,
le Néant une enceinte,
le Rien des bordures,
la Déréliction une assise,
la Folie une Raison ?
Allons, vous voyez bien
que vous n’êtes
qu’intervalle
entre deux mots ;
silence
au mitan de la voix ;
césure
du poème ;
élan pour le saut ;
apnée pour le souffle ;
mouvement suspendu
de la diastole à la systole ;
point mort du balancier ;
point fixe dans le geste d’amour ;
espace entre cloche et marteau ;
arpège arrêté du grave à l’aigu ;
lumière au creux de la lourde matière ;
écart de l’Amant à l’Amante ;
entracte, les acteurs se repoudrent ;
pointes de danseuse dans le suspens du ballet.
Vous n’êtes
que PASSAGE,
oui, PASSAGE,
alors comment pourrait-on
vous fixer dans une existence,
elle qui fuit
au-devant de vous,
en arrière de vous,
sans souci de qui l’a précédée,
de qui la suivra,
elle qui s’évanouit constamment
dans ces mains que nous n’avons pas,
que nous hallucinons,
alors que d’invisibles résilles de gouttes
chutent du bois sec de nos doigts
sans qu’on puisse, en quoi que ce soit,
en goûter la saveur,
en retenir cette pluie
pareille à un sanglot.
Vous n’existez pas et pourtant,
sans vous,
les PASSANTS
comment saisiront-on
ce qui est
ou feint de l’être ?
Sans PASSAGES
et PASSANTS,
tout ne serait qu’illisible continuum
dans le chaos du Monde !
PASSAGES SIMPLEMENT
et pourtant si BEAUX !
Peut-être CE QUI EST,
n’est-il QUE CECI :
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