Je ne sais plus où je vous ai aperçue.
La mémoire a parfois des avens
dans lesquels elle se noie.
Peut-être dans la salle en demi-teinte d’un musée
ou bien dans l’atmosphère apaisée d’une bibliothèque.
Peut-être encore dans un boudoir,
dans un cabinet de lecture.
Peut-être seulement
dans la clairière de ma tête.
Parfois y naissent des images
sans réelle consistance,
elles glissent infiniment, clignotent,
font leurs étoilements et ne demeure,
le plus souvent,
qu’une palme indistincte agitée par le vent.
Mais, voyez-vous,
peu importent le lieu et le temps
de votre rencontre.
L’essentiel est votre présence
pareille au premier frimas
se posant sur l’étonnement des choses.
Il m’arrive de me réveiller au cœur de la nuit,
l’esprit en déroute,
l’âme bousculée par la crainte de vous perdre.
C’est si léger les images du songe,
c’est si fragile,
c’est un cristal qui vibre
et menace de ne plus être.
Alors on tend les mains
dans la suie nocturne,
elles happent des taies de silence
et on les replie en signe de deuil
ou de prière.
On est devenu autre que soi,
on ne reconnaîtrait même plus
la proue de son propre visage.
Le miroir ne renverrait
qu’une poudrée de cendre
et une immense solitude
serait le prix à payer.
Mais nul désespoir
ne saurait me sauver
de l’affliction de vous perdre.
Pas plus qu’une soudaine joie
ne viendrait atténuer ma peine.
Et, d’ailleurs,
il me faut éprouver quelque chagrin,
c’est le sol sur lequel
vous rendre désirée.
Non, le sourire ne convient nullement
à votre attente.
Une longue méditation plutôt,
une pensée faisant ses courbes
et ses élans dans la simplicité.
Vous en êtes le foyer
où nul ne songerait vous rejoindre.
Car il faut que vous m’apparteniez
en propre, sans partage.
La beauté ne se divise pas,
elle ne peut être que pleine et entière,
identique à un fruit mûr
dont on ne saurait violer la pulpe
mais regarder avec précaution
l’enveloppe charnelle,
la tunique de pourpre
où bourgeonne le plaisir du jour.
Vous êtes une exception,
ceci vous le savez ?
Et, du reste,
pourquoi en dissimuleriez-vous
la juste effusion ?
Il n’y a nulle honte à avouer le rare
qui vous habite.
Sans doute avez-vous été élue des dieux ?
Sans doute ont-ils tressé sur votre front
la palme d’une heureuse venue au monde ?
Bien qu’issue d’un rêve,
je le crois et le redoute à la fois,
il me plaît de vous décrire.
Savez-vous, les mots
ont ce pouvoir magique
de vous poser ici, près de moi,
vivante effigie
que je pourrais toucher
du bout des doigts
si l’audace me prenait
d’oser quelque geste
en votre direction.
Mais la retenue est
ce qui vous convient le mieux,
mais le silence est votre auréole,
mais la douce évocation
est l’empreinte qui sied
à votre naturelle pudeur.
Vos cheveux émergent à peine
du fond nocturne qui vient à moi.
Ils sont une à peine insistance,
comme une naissance
sur le bord du monde.
D’où viennent-ils donc ?
De quelle source inaperçue
sont-ils le nom ?
Combien il est troublant
de vous relier à quelque mystère,
de vous dire la Surgie d’un lointain
et inconnaissable univers.
D’être mystérieuse,
vous entretenez le feu
qui m’anime,
le ravivez et il crépite
dans le ventre de la nuit
pareil à une nuée d’étoiles.
Et ce front de marbre blanc,
ce front si lisse
que nulle veine n’y apparaît
qui dirait la douleur,
la servitude,
le désarroi de vivre.
Il est une neige immaculée
sur laquelle il me plairait
d’inscrire les traces
de ma propre quête de vous.
Mais jamais on n’offusque
qui l’on vénère.
Le devoir est de se tenir en retrait.
Quelques mèches éparses
(elles sont parfois
la marque de la coquette !)
descendent sur vos tempes
à la façon d’une liane.
Vos sourcils,
deux traits d’un pinceau délicat
comme sur une toile de Fragonard,
cette exquise douceur retenue
à fleur de peau.
Vos paupières sont chastement mi-closes,
elles reposent sur les perles claires de vos yeux,
une lueur s’y anime,
sans doute venue de l’intérieur,
aussi n’en connaîtrais-je
que ce reflet,
cet éclair,
cet instant
qui est instant de l’âme.
Pourrais-je vous dire soucieuse,
concentrée sur quelque pensée,
oublieuse des êtres,
rêveuse ?
Voyez-vous combien
j’ai de peine à cerner
ce qui vous anime en propre.
Mais c’est, je crois,
l’empreinte d’une grâce,
le sillage d’une félicité intérieure
qui ne laissent filtrer d’elles
qu’un mince filet,
je pense à ces résurgences
d’une eau souterraine glissant
parmi les fins cheveux
des herbes aquatiques.
Le galbe de votre nez est parfait,
ni trop accentué,
ni trop linéaire.
Vos joues brillent
d’une mince rumeur rose,
vous savez ces délicieuses roses-thé,
on dirait la levée d’une aube
traversée de brume.
Et vos lèvres tout juste entr’ouvertes,
se disposent-elles à émettre un souffle,
à prononcer le premier mot d’un poème,
à faire s’élever les notes d’une chanson ?
Et votre menton,
cette blanche presqu’île
baignée de lumière,
et la perte de votre cou dans le gris,
dans l’échancrure d’une chemise brodée,
et votre robe au rouge sombre de Falun,
ne termine-telle avec harmonie
la délicatesse de votre portrait ?
Mais il me reste encore
à dire la double obole claire de vos mains,
elles illuminent du dedans de leur forme,
elles portent à l’éclat du paraître
cette étrange pomme
qui semble flotter dans les airs
et vous fasciner
au-delà de toute expression.
L’ai-je imaginée,
cette pomme,
afin d’introduire la notion
de tentation, de péché
et gommer d’une main
ce que l’autre avait donné
au titre d’une méditative splendeur ?
Non, mon Rêve au féminin,
soyez assurée de ma fidélité.
Je ne pourrais renoncer à vous
qu’en renonçant à moi.
Il n’est pas si facile de mourir,
ne croyez-vous pas ?