Dire de toi la courbe
De ton front
Dire de toi la feuillée
Qui poudre tes yeux
Dire l’impossible et dire
Encore l’invisible
Ton âme a-t-elle des ailes
Ton esprit une flamme
Ton corps un lieu qui exulte
Ton sexe une braise
Où calmer mes ardeurs
Es-tu visible autrement qu’en un rêve
Ta réalité coïncide-t-elle avec la mienne
Dire ton printemps
De neuve venue
Dire tes premiers pas
Ils font sur la terre
Leur tremblement irisé
Tu tutoies les chemins
Sans en offusquer la poussière
Tu crois à la première neige venue
Tu grimpes sur les genoux en riant
Tu applaudis au moindre souffle d’air
Avec la vie tu es sans distance
Avec l’amour sans complaisance
Dire le creuset
De ton âge adolescent
Tes premières émotions
Cette pulsion au centre de toi
Ce bouillonnement
Dire tes premières lectures
Tes rêveries de promeneuse solitaire
Dire tes émois ils girent infiniment
Ils sont des douceurs romantiques
De simples et belles visées idéalistes
Des orbes au large de toi
Tu n’en maîtrises guère la levée
Les subis plus que tu ne les élèves
A la dignité du paraître
Tu es enfance encore inachevée
Tu es attente de toi
Au coin de chaque chose
Tu es ouverture et n’existes
Qu’à être comblée
Dire ton âge mûr
Le soleil au zénith
Le sillage de Reine
Que tu traces derrière toi
Bien des curieux
S’y brûlent les ailes
S’y abîment dans des gorges
D’insondable clameur
Dire ceux que tu condamnes à n’être
Que des phalènes se cognant
Au verre de la lampe
Des vies sans pareilles
Echouées au rivage
D’impossibles ardeurs
Sais-tu au moins ceci
Le vertige de ton passage
Les yeux brûlés pour l’éternité
Les supplices à jamais
De ceux qui ne pourront te rejoindre
Prier seulement en silence
Que ton image vienne
Hanter leurs impatiences
Dire de toi l’inaccessible nom
Dire de toi la fumée et la cendre
Dire de toi ce qui fuit
Jamais ne reparaît
Cette ellipse à l’horizon
Ce cercle refermé sur son tison
Cette luxueuse graine
Que ne semble visiter
Nulle germination
Dire de toi l’automne
Ce palimpseste semé
De cuivre et d’or
Les lettres s’y emmêlent
Pour une ultime libation
Sais-tu la décroissance du jour
La perte silencieuse des feuilles
Le soleil chutant au crépuscule
Les mains qui s’agitent
Pour se saisir de toi
Entre elles tu glisses
Eau mobile
Dans la fente d’argile
Eau bientôt fossile
A la souvenance perdue
Puits immémorial
Sur son destin
Infiniment révolu
Dire de toi les premiers frimas
La blancheur qui cerne
La falaise de ton front
Les sillons qui habitent tes mains
Les tremblements pareils
Au bourgeonnement des amants
Au premier rendez-vous
Jamais il ne se reproduira
Les choses s’évanouissent
A même leur étrange visage
Dire de toi le chant
Des voyelles de ton nom
Dire de toi le doux
Chuintement des consonnes
Dire de toi le tout et le rien
Dire ton ciel et ta terre
Dire le certain et le fuyant
L’advenu et ce qui attend
Ce qui te révèle et t’efface
Dire ton nom est déjà trop
Ne pas le dire est douleur
Dire ou ne pas dire
Tu me mets au supplice
De tracer ton esquisse
De la gommer aussitôt
De toi sur l’ardoise magique
Une simple trace cendrée
Le souvenir d’un geste
La caresse d’amour évoquée
La possibilité d’être
Et de ne pas être
Tu es l’épreuve radicale
Ce contre quoi ma vie échoue
A dire plus que ce qu’elle est
La chute dans l’abîme
Et mes yeux sont noirs
Qui sont clos pour toujours
Dire oui dire
Et n’être plus qu’un mot
Se perdant au loin
Là où le monde
N’a plus cours
Dire et ne pas dire
Qui tu es vraiment
Celle sans contour
Celle sans amour
T’ai-je au moins connue
L’espace d’un poème
T’ai-je aimée assez fort
Pour que tu paraisses
Peux-tu au moins me le dire
Peux-tu au moins sourire
Un plissement de tes lèvres
Un clignement d’œil
Un geste de la main
Me combleraient
Viens donc à moi
Que ta présence
Fût-elle lointaine,
Sourde, ineffable
Comble la faille
Où je me meurs
Où je suis dans
L’inconnaissance de moi
Dans la pure semence d’effroi
Je suis en moi hors de moi
Je suis perdu au monde
Je suis et ne suis pas
Pareil à cette onde
Au cœur de la nuit
Je suis