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2 juin 2021 3 02 /06 /juin /2021 15:33
Vénus offerte

‘La Vénus endormie’

Giorgione

Source : Wikipédia

 

***

 

   En ce matin de douce présence, pouvais-je rêver mieux que de vous apercevoir, vous Vénus endormie, allongée sur vos linges d’apparat ? Votre peau nacrée, poudrée d’ivoire juste comme il faut, était une longue lumière, une onction à l’orée de mon front soucieux. Rarement paysage ne m’avait été donné avec autant de gracieuse volupté. Car, comment dire, comment employer les mots justes, ils pourraient soudain sonner si faux dans le luxe accompli du jour ? Toute beauté naturelle est toujours une épreuve pour qui veut se confronter à elle et en subir la venue teintée de joie. On est sur le seuil de soi, on hésite comme le limaçon sur le bord de sa coquille. On projette en avant un premier regard, on s’essaie à éprouver une sensation originelle qui ferait penser à sa propre naissance, là, tout juste advenue. Une neuve innocence, une disposition à se sentir ému par le vol souple d’un nectar, la passée d’un papillon dans l’air de cristal, le chant lointain peut-être d’un grillon couché dans son champ d’herbe.

    Voyez-vous, j’aurais tant aimé être ce simple bouillonnement du drap tout contre la plaine de votre peau. J’aurais senti votre chaleur, éprouvé la radiance de vos humeurs intimes, là si près, presque une fusion en vous. Vous auriez sans doute pensé au frôlement de quelque insecte tout contre votre hanche et celle-ci aurait tressailli sous la caresse, une rapide chair de poule puis, à nouveau, votre immersion dans le nid douillet du repos. Mais à quoi pensiez-vous donc, ainsi abandonnée en cette posture aussi confiante que colorée d’une touche d’érotisme ? Attendiez-vous qu’un amant de passage vous surprît ? Etiez-vous simplement destinée à sonder votre propre méditation ? Vous sentiez-vous libre d’exister à votre guise, votre totale et impudique nudité témoignant d’une heureuse inclination à accepter la vie en ses multiples facettes, en ses surprises renouvelées ?

   Je sais l’immense faveur qui m’est faite de pouvoir vous observer ainsi, à la dérobée en quelque sorte. Cependant nulle mauvaise conscience, nul instinct de voyeur ou de prédateur. Seulement le regard en tant que regard. Le plaisir en son essence la plus vraie. Le désir tenu à distance mais pour autant nullement atténué, bien plutôt renforcé par cet éloignement, - je devrais dire cet abîme -, qui nous sépare comme une vallée sépare deux monts mais les porte à une mutuelle admiration. Mais, qu’ici, je vous dise le rare de qui vous êtes en votre abandon, puisque vos yeux clos, ne peuvent prendre acte de votre posture, unique, oui, ô combien unique !

   Votre corps est cette perfection sans doute consciente d’elle-même. Comment pourrait-il en être autrement ? L’élégance, l’exactitude d’une présence au monde, la révélation d’une beauté rare, tout ceci se déploie avec tant de nécessité interne que vous ne pouvez qu’en être informée, saisie au plus vif de votre être.  Cette image qui se donne à la mesure de cet instant nullement reproductible, un éblouissement seulement et la mémoire, la vôtre, la mienne aussi, sont marquées pour longtemps de cette vision qui, en devenir d’elle-même, ne pourra se confondre avec nulle autre. Singularité des émotions, creuset des certitudes, une fois ressenties, elles n’auront plus pour site que ce qui a eu lieu et se dit comme l’unique, le passé en sa nostalgique fugue.

   Combien votre visage est reposé, sans doute frôlé par des nuages de laine. Mais quelles pensées, quels rêves se dessinent-ils sur la courbe de votre front ? Posant toutes ces questions, sûrement devinerez-vous mon profond désarroi ? Tel l’enfant ébloui derrière la vitre de Noël, il convoite ce qui est porté devant son regard mais n’en peut éprouver la possession. Vos cheveux sont de cuivre tressé. Votre bouche purpurine, à peine un souffle d’air, est close sur maints secrets. Votre bras droit, relevé derrière votre nuque, indique la confiance, l’abandon serein. Votre poitrine menue est pareille à ces collines bleutées qui, au loin, se donnent comme horizon. La mince dépression de votre ombilic est posée sur le dôme de votre ventre, cette courbe si alanguie qui ne peut être que disposition à la venue confiante de l’heure.

   Votre bras gauche longe votre anatomie, votre main a trouvé l’exacte position qui cèle la demeure mystérieuse de votre féminité. Offerte tout en vous retenant. Allant au-devant et demeurant en cette frange obscure qui est comme votre parade. Indiquant, en vous, le précieux et le dissimulant à l’orée de vos doigts pareils à une grille, à une défense. ‘Cité Interdite’ en même temps que sollicitant l’attention. Le fruit de votre sexe, bien plutôt que d’être défendu est porté au plein de son rayonnement. Il en est toujours ainsi, ce que l’on veut indiquer en tant que désiré, rien ne le sert mieux que la dissimulation, l’interdit, le chemin dont on obstrue le cours en le barrant d’un bouchon d’épines. Mais ne bougez pas, n’ôtez nullement la herse de vos doigts car, alors, vous détruiriez ce que vous voulez défendre. La libre disposition d’une chose est le plus souvent dénuée d’intérêt. La convoiter longuement est l’unique sentier à emprunter afin que l’appétit maintenu, la flamme ne s’éteigne, ne vacille et ne s’annule sous le poids soudain d’une indifférence, d’un détachement.

    Et comment dire le somptueux de vos jambes, cet infini à portée des yeux, sans penser à la fuite longue des jours d’automne, au cours alangui d’une rivière de miel, à une diaphane porcelaine dans le clair-obscur d’un musée ? Oui, vous êtes bien une exception au même titre qu’une œuvre d’art, je pense à ces Beautés éternelles de la Renaissance Italienne. Qui les a vues un jour en reste atteint pour la vie, infini carrousel d’images flottant au centre de la brume lumineuse du rêve. Vous paraissez si sûre de vous, tellement portée en votre intime contrée, assemblée en une unité si complète que rien ne semblerait pouvoir vous atteindre, sauf les idées belles, les égarements polychromes d’un songe d’amour, les chatoiements d’un doux soleil venant poser sur celle que vous êtes le pollen de ses rayons.

   Vous surgissez là, au plein de ma vision, et je ne peux m’empêcher de penser à la présence charnelle de quelque fruit : une pêche dorée, une pomme rouge acidulée, une grenade montrant la pulpe onctueuse de ses graines. Une corne d’abondance, si vous voulez bien accueillir cette métaphore d’un inépuisable mythologique. Comment, prenant acte de vous, ne nullement sombrer dans l’excès, comment se dispenser de convoquer un lyrisme romantique, éviter de sombrer dans une effusion, laquelle voudrait dire l’insuffisance des mots à s’emparer de votre image, à la décrire avec suffisamment de vérité ? Mais peut-on décrire une Déesse ? Peut-on la disposer sur la margelle du monde comme si elle était une Existante ordinaire dont on oublierait la trace sitôt disparue ? Vous me plongez dans un embarras identique à celui du tout jeune enfant au plein de son innocence, il ne sait que choisir parmi la profusion des objets qui se présentent à lui, il ne peut saisir de cette totalité qu’un fragment, autrement dit le voile d’une illusion.

   Oui, vous êtes une beauté en dissimulant une autre. Deux beautés jouant en écho, la vôtre, celle aussi de cette Nature qui est l’écrin qui vous reçoit. Votre tête repose tout contre un talus de terre brune comme si vous en étiez un naturel prolongement : Eve d’argile portant en elle les faveurs dissimulées d’une glaise originelle. Une douce colline d’herbe verte est le prolongement naturel de votre corps, elle dit votre repos, elle est le recueil de votre méditation. Plus loin, au sommet d’une butte de calcaire, se détachent des habitats que semble surmonter la pierre angulaire d’une forteresse. Elle paraît destinée à veiller sur votre repos. Quelques arbres aux larges ramures rythment la sérénité de l’air, ponctuent la dérive hauturière de fins nuages.

    A l’horizon, une nappe d’eau claire couleur du fragile myosotis, sans doute un bras de mer sur lequel viennent s’appuyer les roches bleu pastel d’une montagne. Savez-vous, ici, quel sentiment m’envahit ? Celui d’être l’heureux spectateur d’une terre d’Arcadie, symbole de cet âge d’or hellénique, lieu des idylles pastorales et je crois entendre, venus du fond même des âges, ces airs baroques cuivrés qui sèment en l’âme les graines efflorescentes d’une félicité.

   De vous au paysage, du paysage à vous, une seule onde de clarté, l’unique destin de deux présences, l’une appelant l’autre, l’autre réclamant l’une, comme si rien du monde ne se livrait de plus beau à l’horizon des hommes. Je vais me retirer sur la pointe des pieds, éviter de faire le moindre bruit. Ce rêve, que vous m’avez un instant offert, doit perdurer aussi longtemps que la courbe intime du temps, une éternité, elle seule se donnant comme la mesure de qui vous êtes : la Beauté incarnée ! Vous ayant aperçue, je suis celui en attente de vous pour ce qui s’annonce en tant que mon futur. Comment ne pas être comblé de ceci ? C’est en vous que vous avez la réponse. Dissimulez-là au creux de votre mystère, ainsi ce secret agrandi aux frontières de l’être me portera bien plus loin que ne pourrait le faire le plus précieux de mes projets. Je ne suis que par vous qui brillez dans les lointains. Que par vous !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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