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18 mars 2022 5 18 /03 /mars /2022 11:26
Biffure des Mots

Esquisse : Barbara Kroll

 

***

Biffure des Mots,

tel est le singulier

 événement

au gré duquel

notre Essence Humaine

connaît le tragique

en son plus sombre visage

 

*

 

Sommes-nous

au moins

assez éveillés

pour percevoir

le bruit de fond

du Monde ?

Ne demeurons-nous

 trop en nous,

dans l’enclin

 de-qui-nous-sommes

et alors plus rien n’existe

 que le foyer menu

 et son égoïque étincelle ?

Le Monde,

il nous faut le viser

en sa totalité,

c’est-à-dire en  sa Vérité.

 Ne laisser aucun coin

dans l’ombre,

désocculter les failles,

débusquer ce qui s’y dissimule,

en un mot être inquiets

 de la feuille,

 du vent,

 du sable

 qui glisse depuis

 l’arrondi de la dune.

 Le Monde a perdu la Raison.

Mais l’a-t-il jamais éprouvée

telle une réalité ?

De nos yeux il faut ôter

 la lourde cataracte,

de nos oreilles

 retirer la cire,

de notre conscience

 lever le voile,

de notre esprit

désembuer la vitre,

notre âme la rendre

transparente.

 Et nos mains ?

Et nos doigts ?

C’est d’eux en premier

dont il faut parler.

Nos mains sont inertes,

nos doigts sont gourds

et quiconque nous observerait

avec attention

nous croirait paralytiques,

 affectés de quelque apraxie,

 et quiconque nous jugerait,

 dirait notre native incapacité

 à mobiliser quoi que ce soit.

Geste cloué sur place.

 Catatonie.

Léthargie.

Ainsi le Monde

irait à la vitesse

des comètes

et nous à celle

des gastéropodes.

 

Biffure des Mots,

tel est le singulier

 événement

au gré duquel

notre Essence Humaine

connaît le tragique

en son plus sombre visage

 

Nos mains,

il faut parler

de nos mains,

en faire l’inventaire

et les promettre

 à un radieux avenir.

Du moins est-ce notre espoir

 dont il faut croire cependant

qu’il est bien fol.

 Il en va de notre destin,

 il en va du destin du Monde.

La main est blanche, livide,

 pareille à des rameaux

de porcelaine,

 à des bourgeons de kaolin.

 Blanche est sa blancheur

qui frôle le Néant.

La Blanche Main

est le Néant

en son ultime forme venue.

 Blanc est le silence

de la Main.

Main nullement

 attentive à Soi,

main en tant que Main transie

mais cependant nullement neutre,

transie seulement en apparence.

 

Biffure des Mots,

tel est le singulier

 événement

au gré duquel

notre Essence Humaine

connaît le tragique

en son plus sombre visage

 

Main, en quelque manière,

 destructrice du Monde.

Main destinalement orientée

 vers la perte de l’Homme.

Main qui ne sait

plus reconnaître

le chemin de sa tâche :

recevoir, accueillir,

 frôler, caresser,

 faire fleurir

 le geste d’oblativité,

se donner

 comme réceptacle

 de l’Amour.

La Main s’est refermée

 sur sa propre incompréhension.

 Les Doigts, ses attributs,

sont de simples sarments

qui semblent promis

aux confins

d’un proche abîme.

 Les Doigts sont

une blanche sidération,

 les concrétions de la peur,

 les linéaments

d’une blanche angoisse.

 Ils sont des tiges de givre.

Mais nullement plongées

en leur hivernale froidure.

Les apparences

sont trompeuses.

Eux, les doigts,

 qu’on croirait

endormis, atones,

 voici qu’ils sont doués

d’un dangereux pouvoir :

celui de ramener l’Homme

à sa primitive

et pierreuse condition.

 

Biffure des Mots,

tel est le singulier

 événement

au gré duquel

notre Essence Humaine

connaît le tragique

en son plus sombre visage

 

Blancs sont les doigts,

blanche la cruelle Vérité,

 blanc le masque mortuaire

 du Monde que figure

cette blanche épiphanie.

Là-bas, dans les lointains

du Temps et de l’Espace,

 l’Origine est ce blanc

 et beau linceul,

cette neige étincelante

 qui n’a encore connu

 nulle souillure.

Puis le Monde

a découvert

 son venir-sur-soi,

l’engrenage fatal

des heures et des secondes.

 De ceci, la marche du Temps,

 en est résulté la levée

d’une grise nuée,

se sont obombrés les jours,

 s’est déplié le Mal

qui rôdait tel un voleur

dans d’inquiétantes lisières.

 

Biffure des Mots,

tel est le singulier

 événement

au gré duquel

notre Essence Humaine

connaît le tragique

en son plus sombre visage

 

Le Monde a pris Visage

 d’un Masque Antique

habité de tragique.

 Depuis les coulisses,

 depuis le proscénium,

la voix du Choryphée

s’est fait entendre avec,

dans la déclamation,

d’étranges

et tonnantes

 inflexions.

 D’autres bruits

s’échappaient

 des cintres,

des herses,

un bizarre feulement,

un étrange bourdon

dont, bien vite,

l’on s’apercevait

 qu’il était

la Folie Guerrière

du Monde,

le chant lugubre

des Génocides,

le roulement

des pas exténués

de l’Exil.

 

Biffure des Mots,

tel est le singulier

 événement

au gré duquel

notre Essence Humaine

connaît le tragique

en son plus sombre visage

 

Ce que la Blanche Main,

oublieuse

des Paroles de l’Origine,

a accompli sans peut-être

bien le savoir,

donner lieu au meurtre

 de l’Essence Humaine,

à savoir plaquer

sa lourde congère sur

Ces Lèvres Noires,

charbonneuses,

 bitumeuses,

un goudron invasif

dont nul Langage

ne sortirait plus,

ni la moindre plainte,

 ni le plus mince murmure.

 

Biffure des Mots,

tel est le singulier

 événement

au gré duquel

notre Essence Humaine

connaît le tragique

en son plus sombre visage

 

Le Langage,

 cette Transcendance

princeps

 dont découle

toute autre

Transcendance,

Art,

 Religion,

Philosophie,

 le Langage a reflué

au plus profond

de mystérieux abysses

 et avec son effacement,

c’est l’Humain

qui s’est perdu,

c’est le Monde

qui a basculé

 dans l’aporie plénière

dont, jamais,

 il ne se relèvera.

. Partout la Terre

se lézarde.

Partout les flots

tournent au Déluge.

 Partout les polémiques

deviennent conflits.

Partout la Culture connaît

sa peau de chagrin.

Partout l’Amour

se donne

dans le vénal.

Partout la Poésie

 est clouée au pilori.

Partout la Blanche Main

a frappé,

 elle qui n’a plus souci

ni d’elle-même,

ni du Passé,

ni du Présent,

 ni du Futur

qui devient illisible

sous le fuligineux

horizon du Monde.

Ou bien ce qu’il en reste.

Pas même une Blancheur.

 Pas UN SEUL

ET UNIQUE MOT

 

Le Néant en sa

 « multiple splendeur ».

 

Biffure des Mots,

tel est le singulier

 événement

au gré duquel

notre Essence Humaine

connaît le tragique

en son plus sombre visage

 

 

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