Œuvre : Barbara Kroll
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Trois mots pour
une seule Essence
Hilde,
tel était son prénom,
il voulait dire
« lutte », « combat ».
Mais lutte contre qui ?
Mais combat contre quoi ?
Hilde ne savait nullement
pourquoi elle était Hilde,
le sens de ce duel
qu’elle entretenait
avec le Monde.
Depuis toute petite déjà,
elle avait su
cette irrépressible inclination
à se dresser contre les choses
plutôt que de chercher
à les amadouer,
à les faire siennes,
à réaliser une unité.
Volupté-Désir-Jouissance
Trois mots pour
une seule Essence
Cependant Hilde
n’était nullement révoltée,
seulement arc-boutée
sur son destin,
bandée telle la corde de l’arc.
Son avancée dans l’âge n’avait été
que confirmation de tout ceci.
L’âge adolescent
l’avait trouvée rebelle
mais non insensible
aux charmes des petits Amis
qu’elle croisait, ici et là,
au hasard des chemins.
Bien vite elle s’était aperçue
que sa beauté
ne les laissait
nullement indifférents,
qu’ils cherchaient
sa compagnie,
qu’ils lui envoyaient
des signes, des sourires,
autant d’invitations
à les rejoindre.
Volupté-Désir-Jouissance
Trois mots pour
une seule Essence
Au début,
dans un pur souci
de coquetterie,
elle avait feint
de ne pas les voir,
ne pas les entendre,
de poursuivre
en quelque manière
le sentier innocent
de l’enfance.
Seulement,
tout juste adolescente,
Hilde possédait
tous les atouts
d’une femme mûre :
élégance discrète,
confiance en soi,
formes généreuses,
on eût pensé
à des fruits mûrs,
pommes luisantes,
pêches veloutées
et odorantes.
Si bien que Hilde
s’tait prise
à son propre jeu,
selon la pente
de quelque ingénuité,
elle était séduite
par sa propre image.
Volupté-Désir-Jouissance
Trois mots pour
une seule Essence
Elle passait de longues heures
devant le tain de son miroir
qu’elle interrogeait.
L’écho qui en revenait
était de « luxe »
et de « calme »,
il ne manquait
que la « volupté ».
A son corps défendant,
elle était une figure matissienne,
un genre de Modèle
dont l’académie eût séduit
le grand Peintre.
Elle était consciente
qu’elle devait
faire naître en elle
cette « volupté »
qui n’était encore
que bourgeon plié
dans sa tunique d’écailles.
Volupté elle voulait,
Voluptueuse elle serait.
Volupté-Désir-Jouissance
Trois mots pour
une seule Essence
Or elle s’aperçut vite
que Volupté
consonait avec Désir,
consonait avec Jouissance.
Donc Hilde devint,
à son corps consentant
Volupté-Désir-Jouissance,
comme ceci, d’un seul trait,
d’une seule et même figure
de-qui-elle-était.
Dès lors on s’intéressa
beaucoup à elle.
A son corps,
à ses formes,
bien plutôt qu’on ne
flattait son esprit,
qu’on ne louait son âme.
Hilde, en une
première réception
s’était contentée
de ce regard posé sur elle
comme on le poserait
sur une friandise,
une Bêtise de Cambrai
ou bien un berlingot
ou bien une barre de nougat.
Comme on peut s’y attendre,
ses conquêtes furent vives,
son corps le lieu de mille feux,
de mille éblouissements.
Volupté-Désir-Jouissance
Trois mots pour
une seule Essence
Cependant la joie
tardait à venir,
cependant le bonheur flottait
à d’inaccessibles altitudes.
Hilde comprit que cette vie
d’immédiate abondance
était vide de sens, stérile,
que rien n’en sortait
que le cycle infernal
du manque et du désir
et elle passait
de longues heures
d’abattement,
demi-nue,
seulement vêtue
de ses colifichets
dont elle avait attendu
qu’ils la rendissent radieuse,
mais ils n’étaient
que des miroirs aux alouettes,
d’étranges signaux
dans lesquels,
tels des phalènes,
ses Amants de passage
venaient un instant
brûler leurs ailes
et prenaient leur envol
dépossédés du souvenir même
de ce corps qui les avait accueillis
puis déposés dans une manière
de territoire flou, sans attaches.
Volupté-Désir-Jouissance
Trois mots pour
une seule Essence
Hilde n’avait été
qu’un simple
divertissement,
un trompe-l’œil,
un dérivatif de l’ennui.
Brusque fut sa métamorphose,
soudaine sa prise décision.
Elle ne changea rien
à son apparence extérieure,
à la touche craminée de son fard,
au khôl bleu de ses paupières,
à ses vêtures osées,
à ses hauts escarpins,
à sa marche pareille
à celle des Mannequins.
Ce qu’elle voulait désormais,
du fond le plus vibrant
de son cœur, desceller
de leur piédestal existentiel
Volupté-Désir-Jouissance,
les ramener à plus de Vérité,
les regarder en leur Essence.
Volupté-Désir-Jouissance
Trois mots pour
une seule Essence
Volupté en tant que Volupté.
Désir en tant que Désir.
Jouissance en tant
que Jouissance.
Pareille au joaillier
qui taille avec ardeur
les faces de son cristal,
pareille à l’Astronome
qui cherche l’Étoile unique
au fond de la lointaine galaxie,
pareille au Fauconnier
qui s’oriente
sur la perfection
du vol de son oiseau,
Hilde n’accordait plus de place
qu’à la perfection de sa Volupté,
à la rubescence de son Désir,
à la pure splendeur de sa Jouissance.
Volupté-Désir-Jouissance
Trois mots pour
une seule Essence
Tout se donnait
en soi, pour soi
et le monde alentour
ressemblait
à un manège de brume,
à la diaphanéité d’un songe,
à une vapeur montant du sol.
En vérité,
Volupté-Désir-Jouissance
étaient leur début et leur fin,
le centre et la périphérie,
le fragment et le tout.
Ce triptyque
était devenu si subtil
qu’il n’avait plus besoin
de nul objet pour trouver
le site de son sens.
Il était le SENS
parvenu au faîte
de son être,
à la pointe extrême
de sa manifestation.
Volupté-Désir-Jouissance
Trois mots pour
une seule Essence
Il y avait maintenant
une manière
de quadrité indissociable,
d’étoilement
au Centre duquel
se trouvait Hilde
avec ses trois branches :
Volupté
Désir
Jouissance.
Chacune appelait l’autre.
Chacune n’existait
que par l’autre.
Nommait-on « Volupté »
et surgissaient « Désir »
et « Jouissance ».
Nommait-on « Désir »
et se déployaient
« Jouissance »
et « Volupté ».
Nommait-on
« Jouissance »
et s’épanouissaient
« Volupté »
et « Désir »
. Nommait-on
« Hilde »
et l’on avait
les Quatre à la fois.
Lutte et combat qui étaient
les significations fondatrices
du prénom « Hilde »
avaient enfin trouvé le lieu
de leur apaisement
et de leur unité.
Rien que ceci signifiait
au-delà de toute question.
Le dispersé,
l’épars,
le divers
étaient au foyer.
Hilde était Hilde
telle qu’en son essence.
HILDE.