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5 mars 2022 6 05 /03 /mars /2022 10:06
Ce qui a pur surgi

Fin d’après-midi au bord du lac…04

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

   [En guise de préambule, comme si rien n’existait, comme si nous avions à partir d’une manière de nullité, comme si nous apercevions le premier bourgeonnement des choses, par exemple deux ou trois tiges de roseaux émergeant du lisse des eaux et d’en tirer quelques enseignement sur notre trajet existentiel. Parfois, et le plus souvent, avons-nous besoin de ces signes légers, à peine une buée sur le contour du monde afin de ne nullement désespérer ou tâcher qu’il n’en soit ainsi.

 

   Tout est en attente. Rien n’est encore venu à soi. Nul homme présent. Consciences éteintes. Désir d’être mais désir exténué, pareil à un bourgeon qui ne saurait trouver le lieu de son dépliement. Noir de la nuit. Noir de bitume. Noir mutique, sans parole. Eau, seulement brume. A peine une rosée sur la feuille immobile du monde. Air tendu, on dirait la lame du couteau. Air serré, grains tissés. La toile faseye dans l’oubli. Air se déchirerait à tellement être sur le fil du rasoir. Feu pas encore né. Soleil éteint. Boule fuligineuse qui incendie le ciel de son impuissance à être, à éclairer le chemin des futurs Existants, à allumer sur le plateau des mers des milliers d’étincelles. Les mers sont sourdes, recroquevillées au sein des noirs abysses.

   Terre, juste une poussière, le souffle d’une haleine, le bruissement d’un vent sur la longue plaine déserte qui s’étend bien au-delà du globe des yeux. Yeux : des points gris, de faibles percées dans ce qui sera regard, puis vision, puis lucidité, puis conscience ouverte sur la plénitude des choses. Nul ne le savait puisque nul n’existait autrement qu’en théorie, qu’en imagination, mais l’envie était grande de se savoir Vivant, de marcher au hasard des chemins, de tracer dans la poussière les marques fragiles du destin. Car vivre est le projet le plus cher de l’homme. Car vivre est déjà en soi pur miracle. « Pourquoi y a-t-il de l’étant et non pas plutôt rien » disait le Philosophe Leibniz depuis la tanière où il méditait, précédant le grand souffle de la Philosophie. Nous sommes de continuels Égarés à la recherche d’une boussole qui nous dirait la place de l’Étant que nous sommes, de l’Être que nous cherchons sans jamais pouvoir le trouver vraiment. Donc il nous faut des repères, donc il nous faut des balises, des fanaux, des lumières qui déterminent le chemin à emprunter. Ici, un chemin nous est donné. Suivons-le !]

 

*

 

Ce qui a pur surgi,

voici la merveille.

 

Cela attendait

depuis bien avant

la mémoire des hommes.

Cela infusait en silence.

 Cela se disposait à être.

Cela se percevait

à la manière

d’une certitude.

En soi, cela avait

son propre savoir.

 C’était à la façon

du vol libre de l’oiseau.

C’était dans le genre

de la clairière s’ouvrant

 dans la sombre forêt.

C’était semblable

à l’éclosion

de la corolle.

Cela venait de loin,

à même la naissance

du jour.

A même la chute souple

de l’heure.

Cela avait une pâleur

d’argent,

une veine claire

dans un sillon de terre.

C’était un mot au début

d’une phrase.

C’était un vers

avant la césure.

C’était une patience

 sur le bord du monde.

 C’était une venue

dans l’illisible secret

 des choses.

  

Ce qui a pur surgi,

voici la merveille.

 

Les hommes,

 depuis la meute sourde

 de leur destin,

s’étaient un jour éveillés

 à la soudaine beauté.

Elle faisait son chant de cigale,

son murmure de source,

la plainte d’une flûte

 dans le soir qui venait.

 Elle appelait,

elle voulait se donner,

elle voulait parler de soi

comme la brume parle,

l’écume parle,

le fil de la Vierge parle.

C’est si épuisant

 de se contenir en soi,

de retenir son souffle,

 de mettre sa parole

sous le boisseau,

de disparaître

sous le sanglot

d’une mutité.

 

Car les choses belles

veulent se placer

devant les yeux,

 bourgeonner à l’entour

des paupières,

creuser dans les pupilles

la douce nécessité de leur être.

C’est lorsque la beauté s’absente

que naissent les conflits,

que pullulent les crimes,

que se diffusent les guerres.

Beauté est Amour,

c’est pourquoi

il faut aimer la Beauté,

lui édifier des temples,

y accomplir le sacrifice de Soi.

 S’agenouiller devant la Beauté,

voici le geste essentiel.

Se disposer à la Beauté,

voici la seule manière

qu’a l’homme

de devenir grand,

de sortir du taillis

où se dissimulent les pièges,

où guettent les pires ennemis

du genre humain.

A notre conduite,

 nulle autre mesure que celle-ci,

se porter au-devant de la Beauté

 et lui demander, simplement,

de paraître, de rayonner,

de nous déposer

dans le cercle illimité

de la Joie.

 

Ce qui a pur surgi,

voici la merveille.

 

La toile de l’eau est grise.

Infiniment. Uniment.

 Une brume légère

flotte au ras de l’eau.

Elle est l’humilité même.

Elle est à la lisière du retrait.

Toujours les choses rares

s’entourent de profondeur.

Toujours elles demeurent

 dans le pli qui les recouvre.

 Les hommes venus de loin

sont devenus attentifs.

Ils ont compris

que ce long silence

avait du sens,

une épaisseur de présence.

 D’abord, ils n’ont vu

que le gris,

l’indistinction,

des genres de lettres brouillées

comme sur un cahier d’écolier.

Puis il y a eu une éclaircie,

une vitre embuée

qu’on essuie au chiffon.

 Au début, les hommes ne savaient

 ce qu’ils voyaient :

 plante, animal,

énigmatique hiéroglyphe,

forme abstraite.

 

Mais ce qui était sûr,

qu’ils voyaient et que leurs yeux

ne pouvaient se détourner

du lieu de leur vision.

Et puis, quelle importance

avait le contenu de ceci

qui venait à eux

dans la pure merveille ?

Le simple fait de voir

était déjà prodige.

Quelques tiges pareilles

 à des lames de métal

s’élevaient de l’eau

en une manière

de subtile harmonie.

Un alphabet primitif,

les signes d’une langue ancienne,

peut-être les premières traces de l’homme

qui signaient son passage sur terre,

 ici, tout au bord du lac,

 en une heure improbable,

en un site perdu

quelque part

 hors de toute présence.

 

Beauté pour Beauté,

telle paraissait être

la clé de l’énigme.

Alors il n’y avait plus

rien d’autre à dire.

Fermer les yeux

et porter en soi,

pour une brève éternité,

 cet éclair de vie.

Tout geste au-delà

eût été sacrilège.

Oui, sacrilège !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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