Quand vient le soir …vers Peyriac de Mer…
Photographie : Hervé Baïs
***
Tout est au retrait
Tout est au repos
L’heure hespérique
est arrivée
que nul n’attendait
L’heure orientale,
l’heure originaire est distante,
elle qui appelait le jour,
appelait les Hommes
à ouvrir la carrière,
à faire fond sur
le bruit du Monde.
Mais il y a loin
de la coupe
aux lèvres
et la naissance du jour,
sa mesure de source,
n’a guère plus de présence
que le lampyre dans
l’herbe dense de l’été.
Courte est la mémoire
des Hommes,
légère la conscience
d’une dette.
Et pourtant l’aube
est un précieux joyau
remis entre leurs mains,
une pépite qui brille
à l’ombre de leurs
corps oublieux.
C’est dans l’ombre
portée des Hommes
que se dissimule la clarté,
que végète le sens premier,
cette longue efflorescence
qui, jamais, ne devrait être
remise à sa peine,
murée qu’elle est
dans le silence cotonneux
des bouches closes,
infiniment closes.
Tout est au silence
Tout est au retrait
Tout est au repos
L’heure hespérique
est arrivée
que nul n’attendait
L’heure est longue,
immobile,
dont nul ne perçoit
le mystère,
l’appel, la plainte
au seuil de la Nuit,
cet avant-propos
de la Mort.
Une longue parenthèse
de ténèbres envahira tout,
les fronts soucieux,
les lèvres scellées,
les rêves étroits,
ils seront tels des meurtrières,
des couleuvrines par où rien
ne se laissera voir
que la suie du désespoir,
la perte des projets,
l’extinction des desseins.
Nul ne questionnera
l’avenir des Errants,
il sera d’avance scellé,
aussi étroit que
la peau de chagrin.
Les Distraits se seront
laissés piéger à confier
leur futur à leur cécité,
à leur surdité natives.
Tout est au silence
Tout est au retrait
Tout est au repos
L’heure hespérique
est arrivée
que nul n’attendait
Et pourtant,
l’heure hespérique
ne porte en soi
nulle malédiction.
Elle ne surgit qu’à
inviter les Fugitifs
à traverser le gué,
mais dans l’ouverture,
mais dans la lucidité.
Les Hommes sont au foyer,
devant leur bol de soupe.
Les oiseaux sont au nid.
Les chiens couchés
dans leurs niches.
Tout autour
une grande beauté
vacante avant que
tout ne s’efface.
Le Ciel passe tout là-haut
dans son suaire d’argent
voilé de noir.
Les Nuages s’attardent,
pareils à des enfants
primesautiers.
La colline,
badigeonnée
de sombre
connaît déjà sa nuit.
L’Eau du lac est
du platine ruisselant
que ponctuent les signes
sourds des flamands,
semés ici et là,
ils sont les premiers
mots du songe,
l’évasion hors de soi,
l’essai de se distraire
de l’étreinte de la Nuit.
Les Herbes aquatiques
se hérissent de picots,
brumes fuligineuses
où rien ne se donne
qu’un illisible rébus.
Tout est au silence
Tout est au retrait
Tout est au repos
L’heure hespérique
est arrivée
que nul n’attendait
Dans les anxieuses casemates,
dans les cubes de béton,
des mains se cherchent,
des bouches se devinent,
des sexes entonnent
un Hymne de la Joie,
mais si léger,
si éphémère.
Que peut-il contre
les morsures de la Nuit,
contre les entailles
de la Mort ?
Pathétiques sont
les mouvements,
tragiques sont les
gestes qui griffent l’ombre.
Les ongles couleur de
rubis se révulsent,
les boules des genoux
se choquent,
les râles font leur
bruit de râpe,
leurs lancinantes
stridulations.
On dirait une nuée
de sauterelles
ombrant le Désert
de leur vol serré.
Bientôt l’Obscur
aura tout phagocyté.
Bientôt l’Inconscient
aura commis
ses basses œuvres.
Bientôt le Sommeil
aura glacé jusqu’au
moindre désir.
L’heure hespérique
aura accompli ce qu’elle
devait accomplir,
amener les hommes
tout au bord du jour,
les livrer aux délices
de l’heure nouvelle.
Le temps est un
Éternel Retour.
A nous, les Hommes,
d’en décrypter le sens.
Tout est au silence
Tout est au retrait
Tout est au repos
L’heure hespérique
est arrivée
que nul n’attendait