Image : Léa Ciari
***
Est une énigme
Mais le visage
Toujours il nous questionne
Et nous restons sans réponse
Le jour est à peine venu
Il flotte dans une demi-teinte
Il profère son nom et se retire
En un même mouvement
Il dit la vie, il dit
Le repos et la fuite
Il dit le temps et
L’ombre métaphysique
Il dit qui nous sommes
Qui nous avons été
Il ne dit nullement
Qui nous serons
Le jour nous frôle
De son aile de soie
Il est déjà au loin et
Nous ne l’avons aperçu
La nuit aussi est présente
Elle est le contretype du jour
Son versant négatif
Avec elle les rêves, avec elle
L’angoisse du jour à venir
Quelqu’un est dans la ténèbre
Et nous ne savons qui
Est-il Homme ou bien Femme
Ou bien Androgyne
Les choses sont si ambiguës
Dans cet éther
Dans ce poudroiement
Un gris taché de bleu
A envahi la pièce
Et cette hésitation
De la lumière
Nous jette dans le trouble
Un Visage, oui, un Visage
Mais lequel
Est une énigme
Mais le visage
Toujours il nous questionne
Et nous restons sans réponse
De quel abîme
Ce visage est-il le mot
Vers quelle faille nous entraîne-t-il
Est-ce notre perte dont il s’agit
Est-ce notre reflet en l’Autre jeté
Alors nous n’aurions plus de place
Dans le vaste Monde
Et nous errerions telle
Une âme en peine de soi
Nous ne pouvons que
Regarder dans l’instant
Et regagner notre coquille
De limaçon
Y trouver quelque réconfort
Å l’unisson
De quel tragique
Ce Visage est-il l’image
Que veut-il exprimer qu’il
Ne se soit avoué à lui-même
A-t-il commis quelque forfait
A-t-il assisté à la Scène Primitive
Et le deuil s’est inscrit en lui à jamais
A-t-il vu l’invisible, touché
L’intouchable, entendu l’inouï
Et la mémoire est une braise
Qui incendie le corps
A-t-il connu Œdipe aveugle
A-t-il aperçu Jocaste éplorée
A-t-il rencontré l’innommable
Qui l’a rendu muet
A-t-il vu Phèdre
Son existence tourmentée
De quel absurde
Ce Visage est-il le lieu
Est-ce la finitude humaine
Qui l’a terrassé
Une insoutenable
Scène de guerre
Qui l’a ravagé
Un terrible holocauste
Qui l’a accablé
Il y a sur Terre
Tant de contrées dévastées
Tant de famines annoncées
Tant de maladies disséminées
Tant d’amours contrariées
Le corps, tout le corps
Est une énigme
Mais le visage
Toujours il nous questionne
Et nous restons sans réponse
Ce Visage nous le regardons
Sans bien le voir
Ce visage nous le traversons
Comme la pluie le ciel
Ce Visage nous l’appelons
Mais n’attendons nulle réponse
Quelle pierre de Sisyphe
En a-t-elle abattu l’épiphanie
Quel mauvais génie
En a-t-il aboli la magie
Blême est ce Visage, pareil
Å celui d’un Mime triste
Tout comme lui
Il ne profère nul mot
Il s’est retiré dans
Un éternel silence
Il ne nous tend que
Sa fiévreuse absence
Il nous désole à même
Son indigence
Les yeux, ces avant-postes
De la conscience, sont éteints
Les oreilles ouvertes sur le
Chant du Monde sont occluses
La bouche qui distille
Le subtil langage est scellée
Nous regardons et cette épiphanie
Ne nous renvoie nul écho
Et cette épiphanie
Nous précipite dans les limbes
Et cette épiphanie
Nous laisse orphelins de ce qui est
Et cette épiphanie
Nous dérobe notre être
Aussi ne pouvons-nous soutenir
Longuement son épreuve
Toujours à sa propre complétude
Il faut le Visage de l’Autre
Toujours à la plénitude de l’Autre
Il faut l’épiphanie de notre Visage
VISAGE contre VISAGE
Le corps, tout le corps
Est une énigme
Mais le visage
Toujours il nous questionne
Et nous restons sans réponse