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29 novembre 2022 2 29 /11 /novembre /2022 08:30
Quand Beauté se donne

Photographie : CatOpale Catherine Queval

 

***

 

« Plage de Calais »

 

« C’est une plage si douce aux immenses dunes de satin

Le soleil y glisse sur l’onde au bout des cieux

Elle m’offre toutes ses merveilles comme un paradis

C’est de ma jolie plage dont je vous parle ici

J’aime ses chalets qui font sa singularité

Moi je la trouve sublime et il n’y a pas mieux

Pour enivrer de l’air marin de douces pensées. »

 

C.Q.

 

*

 

   Å peine aperçue et nous disons « cette image est parfaite ». Tout comme l’on dirait des feuilles d’automne du féerique érable qu’elles sont belles, tout comme la brume diaphane sur le bord du lac, tout comme le liseré de givre posé sur les rameaux du végétal. Mais alors, disant ceci, nous sommes-nous enquis du lieu d’où provient cette douce certitude ? Des choses Belles, il en est comme de l’Exister, jamais nous ne questionnons suffisamment à leur sujet. Si la Beauté, toute Beauté, si l’Existence, toute Existence, sont, pour nous, purs mystères, alors convient-il de faire halte auprès d’eux afin d’en sonder, autant qu’il est possible, l’intime texture, pour que se lève, fût-ce dans la seule proximité, le voile de leur essence. Car nous ne pouvons nous contenter d’émettre un rapide jugement au sujet des choses sans chercher à en connaître leur hypothétique fondement, leur sol originaire en quelque sorte. Mais tout d’abord convient-il de décrire de manière à rendre le réel visible, à en explorer le sens.

       La plaine de sable est ridée, parcourue des sillons du vent. On en sent le flux sur la peau, de minces fragments frolent notre visage à la manière d’une douce pluie de printemps. Å droite des pieux, une butte s’est levée, pareille à un haut plateau qui dominerait quelque steppe, la toiserait depuis son haut regard. Le sable, ce fils de la pierre, ce petit-fils du rocher, cette belle symbolique du Temps qui passe, nous en admirons la belle géographie comme s’il s’agissait d’un merveilleux monde en miniature et alors nous serions des Géants, des genres de Polyphème, mais parcourus des plus belles intentions qui se puissent concevoir. Plus loin, après le susurrement lent du sable, un chapelet de minces dunes au sommet desquelles vibrent des touffes d’oyats. De gris qu’il était tout en bas de l’image, le sable devient plus clair, plus lumineux à mesure qu’il gagne les lointains, s’échappant en quelque manière d’une lourde matérialité, pour devenir plus léger, aérien, atteint, pourrait-on dire, d’une étrange spiritualité. Tout en haut, dans la perspective fuyante, une rangée de cubes blancs et gris, sans doute des cabines réservées au bain, des chalets, puis, à l’extrême droite, quelques maisons d’habitation. Au-dessus de tout ceci, un ciel de zinc court d’un horizon à l’autre, traversé de fins cirrus, soyeux, échevelés, ils nous disent ce pur secret de la zone éthérée que nous ne rejoindrons jamais qu’au motif de notre imaginaire.

      Puis ces merveilleuses clôtures de pieux tressés. La première à l’avant-plan avec la projection exacte de ses ombres, elle articule la représentation, lui donne toute sa force, la place devant nos yeux telle la pure fascination qu’elle exerce sur notre esprit. Puis, à l’arrière-plan, en deux séries diagonales qui s’effacent au loin, comme une répétition harmonique de ce ton fondamental, un rappel de l’architectonique qui ordonne l’ensemble selon des lois strictement logiques. L’on pense à la Loi du Nombre qui s’opposerait à la simple Affinité Intuitive du sable en ses douces mouvementations, ses sinuosités : la géométrie faisant face à la poésie. C’est de cette subtile dialectique que naît notre plus vif intérêt pour cette image composée selon des plans quasi rationnels. Tout à la fois elle suscite notre inclination au songe, tout à la fois notre exigence de trouver, dans le réel, des lignes de force qui dessinent la voie unique d’une certitude. Car, dans le procès même de notre vision des choses, deux paradigmes en tracent la merveilleuse effectuation : celui qui fait signe en direction de nos sens, celui qui fait signe en direction du concept. Notre juste entendement est à ce prix d’un équilibre sans lequel, soit nous verserions dans l’abstraction mathématique, soit dans la confusion de la pluralité mondaine sans feu ni lieu.

      Et ce que les clôtures apportent en tant que coordonnées du visible, les cubes de bois du fond de l’image en renforcent l’impression de telle manière que nous pourrions penser là que toute cette belle symétrie existait depuis une éternité, trouvant ici et maintenant, la dimension topologique qui l’attendait. Et la Beauté résulte de cette confrontation d’une rigueur et d’une souplesse, d’une contrainte et d’une liberté. Or, ce qui eût pu compromettre la rhétorique de l’image, cette césure entre une norme rigide et une libre venue à soi des choses, la somptueuse tonalité grise vient en réaliser l’unité dont la conséquence la plus évidente est cette présence d’une esthétique accomplie jusqu’en ses moindres détails. Bien évidemment, ce que nous analysons ici au moyeu du concept, l’œil du Regardeur en fait une synthèse au gré de laquelle, seule l’harmonie de l’ensemble se donne à voir comme seul sens à faire sien.

   Toute image résulte d’une étonnante alchimie, mais l’or ne sort jamais des cornues de verre qu’à la mesure d’une juste proportion des ingrédients qui y ont été semés en tant que les seuls possibles. Nous, Voyeurs distraits, nous satisfaisons bien trop vite d’une première appréciation et notre œil s’est déjà dirigé vers une seconde image alors que la première a été laissée en friche, c’est-à-dire privée du sens qui l’eût portée, au moins selon nous, à la forme de son accomplissement. Car si l’image est en soi une œuvre autonome à la vérité de laquelle rien ne saurait être ajouté ni retranché, il n’est nullement indifférent, pour notre plaisir et pour la connaissance que nous avons du Monde, que nous y consacrions une conscience bien plus ouverte, bien plus attentive. Tout progrès de Soi est progrès même de notre connaissance, accroissement de notre conscience, mais ici, nous ne redoublerons nullement les belles théories hégéliennes qui sont admirables. Mais il faut reprendre l’énoncé poétique de la Photographe, y déceler ces mots essentiels qui en décrivent, selon elle, le réel le plus approchant.

 

« si douce » ; « satin »

« glisse » ; « jolie plage »

« sublime » ; « douces pensées »

 

   Tout y est dit dans une manière d’effleurement, d’onctuosité, de plénitude que rien ne semblerait pouvoir entamer. Le « paradis » ici décrit, sans doute terrestre, n’est pas sans évoquer la délicatesse, la douceur d’une Arcadie et c’est bien cet épanouissement de la Nature dont nous sommes en attente. Nulle allusion à ce qui nervure cette scène et se traduirait selon un lexique bien plus structuré, texturé, pourvu de méridiens apparents. La Poésie l’a emporté sur la Géométrie et il est heureux qu’il en soit ainsi puisque l’armature de l’image est seulement le prétexte à une évocation qui laisse apparaître les eaux de surface, bien plutôt que de décrire les courants des abysses qui en déterminent la forme, mais doivent nécessairement demeurer en retrait, faute de quoi la photographie ne serait qu’un écorché de salle d’anatomie et de dissection.

   Alors, après cette rapide analyse, que pourrions-nous encore dire de la Beauté qui ne soit simple répétition ou énoncé de lieux communs ?  Cette Beauté est-elle Beauté en Soi dont la représentation ne serait que mimèsis ? Donc une Idée qui viendrait à l’existence dans le sensible ? Ou bien encore, cette Beauté, serait-ce nous qui en serions les instigateurs depuis le corridor de nos motivations conscientes ou inconscientes ? Cette Beauté porte-t-elle en elle-même les signes de sa propre vérité ou est-ce notre propre « vérité » que nous projetons sur l’œuvre afin de nous rasséréner, de tâcher de coïncider avec quelques-unes de nos minces certitudes ?

    Mais l’on s’aperçoit vite que ces interrogations sont abyssales, qu’elles sont comme des portes grand ouvertes sur un vertige, sur un mouvement en vortex qui pourrait bien être le dernier lieu de notre question. Quoiqu’il en soit de ces positions théoriques qui ne peuvent faire l’objet de longues méditations sans que quelque réponse stable puisse en résulter, que nous soyons sensibles à la douceur nostalgique de l’image, à la nervation qui en soutient la visibilité, l’essentiel est bien qu’elle retienne notre attention, gagne le secret de notre propre intériorité, là sont les ferments de sa future germination. Car, rien de ce qui a été semé ne peut demeurer en retrait toujours. Vient nécessairement un jour, peut-être de pluie et de sable, peut-être de vent au hasard des dunes, où l’épi lève et nous donne sa moisson. Nous sommes des faucheurs aux mains vides mais le grain travaille pour nous depuis la pliure même qui est acte de donation en puissance. Toute virtualité, surtout si nous y sommes par nature sensibles, aboutira à sa propre émergence, que nous nous y attachions ou pas !

 

Merci Catherine Quetval

de livrer à notre naturelle curiosité

 de si délicates icônes,

elles sont pure lumière

dans la nuit d’Hiver

qui ne saurait tarder.

 

 

 

 

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