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9 décembre 2022 5 09 /12 /décembre /2022 08:40

    Du Monde, saisit-on plus que son envers, ses coutures comme si sa peau s’était retournée avec, au plein jour, l’éclatement de ses viscères de glaise et d’humus ? De toute Altérité, n’aperçoit-on jamais qu’une illisible esquisse à l’horizon des choses ? Du Proche, du Lointain ne s’approprie-t-on que de vagues lignes effacées avant même qu’on n’ait eu le loisir d’en faire le compte, d’en estimer la mesure ? Voyez-vous, c’est de questionnement dont il s’agit, d’interrogation qui font leurs vrilles au centre de l’ombilic, qui le métamorphosent en un cruel vortex dont le vertige est la seule matière que l’on puisse vraiment approcher. Exister, la plupart du temps, consiste tout contre le long écoulement du jour, à le voir passer, le jour, à n’atteindre le temps que d’une manière si superficielle : une étoile filante dans le vide sidéral. Sans doute penserez-vous que l’Écriveur que je suis est atteint d’une curieuse affection qui le fait osciller de Charybde en Scylla, hésitant à se précipiter tête la première (tel Empédocle en son volcan), dans tel ou tel abîme, ce qui, de toute manière, est choisir la Mort plutôt que de désigner la Vie comme terre d’élection.

   Vraisemblablement aurez-vous raison en quelque lieu de votre interprétation, mais, pour autant, vous n’aurez atteint là qu’une vérité fragmentaire, un copeau de certitude. Oui, toute Vérité, en son essence, si elle s’orthographie avec la Majuscule qui sied aux choses essentielles, exactes, tout aussi bien ne peut prétendre, le plus souvent, qu’à la modeste minuscule, l’authenticité est si rare sur cette Terre livrée aux bien étranges rituels des Existants. Une fois ils sont de telle manière, une fois de telle autre, tellement instables en leurs postures, culbutos tanguant de l’avant à l’arrière sans interruption, si bien que l’on ne peut guère, de leur comportement de caméléon, prétendre connaître seulement une esquisse, une facette, ils sont déjà loin, cintrés dans leurs habits d’Arlequin aux mille empiècements polychromes. Mais cette longue propédeutique perceptive de la réalité de ce qui vient à nous, ne présente de réel intérêt qu’à être confrontée à ce qui est, au moins à l’une des Images que son éternel carrousel présente à notre naturelle sagacité.

   Celle que, devant vous, je vais tâcher de décrire, il me faut la doter d’un nom, faute de quoi sa position de simple abstraction se diluerait bien vite dans le maquis des généralités et alors nous serions, vous comme moi, orphelins d’une présence que nous voulions sonder plus avant.

« Revers-de-Soi », tel sera l’étrange sobriquet affectant la dimension fuyante de cette Inconnue qui ne semblerait être venue à nous qu’à l’aune d’une réflexion que nous pourrions poursuivre à son sujet. Fermez les yeux, si vous le souhaitez, ce sera une manière de stimuler votre imaginaire, de le contraindre à tirer des ombres grises qui vous habitent, tout comme elles habitent l’inconscient de tout un chacun, de tirer donc autre chose qu’une vague rêverie qui serait simplement une chorégraphie que vous initieriez tout autour de vous, vous prenant vous-même pour l’inépuisable sujet narcissique que votre fantaisie élit, le plus habituellement, comme son terrain de jeu favori.

   D’abord, il n’y a que du noir, du noir profond tel qu’il peut l’être au fond d’une douve que, jamais, le jour n’éclaire. Du noir compact en son signe de deuil le plus achevé, rien n’en pourrait sortir que la lourde poix de l’absurde. Autrement dit, vous êtes face au propre mur de votre existence, un mur aveugle et mutique, un mur identique à celui que les condamnés à mort ne peuvent même pas regarder, un bandeau recouvrant pudiquement les globes de leurs yeux. Si je déplie, ici, toutes les dentelles les plus invasives de la verticale aporie, c’est dans le simple et unique but de vous porter au niveau de « Revers-de-Soi », d’en devenir en quelque manière le sosie, le facsimilé, d’être, à la fois, Vous en votre écrin de chair, et, par une sorte de vertu siamoise, d’être aussi inclus en l’anatomie de cette Curieuse Présence.

   Être-soi-et-l’Autre, sans césure apparente, sans contradiction, sans motif qui pourrait opérer la disjonction de qui-vous-êtes et de qui-elle-est. C’est merveilleux, tout de même, l’infini pouvoir de création de l’âme humaine qui peut, dans l’instant même, être au plus plein de Soi, être au plus plein de l’Autre. Bien évidemment cette faculté illimitée de la psyché semblerait faire signe, proximité oblige, en direction de la paix éternelle entre les Hommes. Étant Moi-en-l’Autre, je ne puis qu’accéder à l’exception de qui il est et l’accueillir sans réserve au sein de mon propre être. Seulement les choses ne sont pas si simples qu’elles y paraissent et, tenir cette pensée pour vraie, consisterait tout simplement à confondre le Réel et les Images qui, parfois, en tiennent lieu. C’est bien sur l’Image qu’il faut dorénavant se focaliser, afin qu’en l’observant d’aussi près que possible, un enseignement puisse en être tiré, toute image ayant en soi quelque valeur allégorique.

     Nous n’étions partis du noir que pour y revenir, maintenant dotés de quelques clés qui vont nous permettre d’en déceler la nature, au moins dans un genre d’approche. Le noir est là, immensément présent, pareil à une nuit sans limite, à une nuit privée d’étoiles, privée de Lune, privée du songe des Dormeurs. Une nuit sans issue teintée de l’absurdité du Néant. Rien ne s’en détache, Rien n’y fait sens et la lumière est, soit abolie, soit non encore venue à l’être. C’est un peu comme si l’immense cerf-volant de l’espoir s’était soudain délesté de sa queue, dépouillé de ses losanges de couleur, vide d’armature, flottant au sein même de son propre désarroi sans possibilité aucune de ne jamais pouvoir s’y soustraire. Le noir est un champ d’herbe noire. Le noir est une savane où se devinent encore des traces anciennes de clarté, une à peine phosphorescence à elle-même sa propre clôture. Un noir d’invisible matière, on n’en devine que les immatérielles empreintes, quelques soubresauts antiques, le retour à de l’incompréhensible, à du non-proféré, à du pré-verbal, à une mutité soudée à même sa lourde gangue. Certes, j’en conviens, le tableau est bien sombre, bien funeste, mais c’est l’Image qui commande, je n’en suis que le modeste exécutant.

    Alors, « Revers-de-Soi », qui est-elle donc pour qu’elle nous mette ainsi au défi tragique de la comprendre, au moins dans la forme de l’essai car chacun est un Insondable Mystère.  Elle est cet être hybride, cet être en voie-de…, cet être qui tient encore de l’Enfance et, sur la pointe des pieds, appelle déjà l’âge Adulte, l’âge de toutes les fascinations, de tous les dangers. Elle est cet être indéfinissable pour lequel il conviendrait, plutôt que d’user du terme « d’adolescente », de créer un néologisme, peut-être celui de « médio-lescente », ce fléau de la balance qui oscille et ne sait de quel côté du plateau pencher, ce genre de numéro d’équilibriste, de marche de funambule tantôt attiré par le côté sombre de l’ubac, tantôt du côté lumineux de l’adret, cet être en partage, cette inquiétante médiation entre deux identiques impossibles. D’un côté la Nuit, de l’autre, la Nuit et une lame de jour si étroite entre les deux qu’elle devient invisible, en quelque façon inatteignable.

      « Revers-de-Soi », tout en haut de l’image, comme à la recherche d’une hypothétique transcendance, ne nous fait nullement face. Le ferait-elle et ce serait alors comme de se confronter à l’avenir, de le vêtir de projets, de l’entourer d’une aura dont elle pourrait faire son signe le plus vraisemblable. Mais « Revers-de-Soi » ne nous présentant que son dos, vêtue d’une ample robe blanche de Petite Fille, sinon de Communiante, nous dévoilant la minceur de ses jambes, « Revers-de-Soi » n’est tournée que vers son passé, vers cette Enfance qui encore rayonne, vibre des cris des cours d’école, s’enthousiasme des farces de Guignol, pleine de joie des travestissements des clowns, animée en son intérieur des comptines et autres berceuses autrefois chantées au-dessus de son berceau.

    « Revers-de-Soi » est un dialogue sans mots, un miroir privé d’images, une paroi que n’habite nul écho d’une voix humaine. « Revers-de-Soi » est perdue en soi, sans qu’un quelconque amer puisse guider sa conscience vers une étoile qui brillerait sous la voûte du Ciel. « Revers-de-Soi » et en-Soi, dans le vibrant tumulte du jour, dans le frisson de l’heure, dans le miroitement indistinct de l’instant. Nous sommes les Témoins impuissants des drames qui la tissent de l’intérieur, cela résonne quelque part dans la conque éloignée de notre « médio-lescence », cela bruit longtemps à la façon de la source claire qui s’étonne de surgir au jour et de se découvrir, une parmi la pluralité infinie des Existants.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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