« Rive Noire II – Islande »
Michael Schlegel
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Grise la lumière
Grise telle la traînée
de cendre.
Tout repose en soi.
Tout est au calme que
même les Hommes ne
peuvent surprendre,
eux qui sont encore
dans la douce texture
de leurs songes.
Eux, les Hommes, sont
dans l’inconscience d’être,
comme si, absents
à eux-mêmes,
ils flottaient dans les brumes
d’une invisible Origine.
Leurs corps sont
des champs irrévélés,
identiques à des boules de cristal
qui traverseraient l’éther selon
les rayons d’une lumière lente,
juste un frémissement
à l’orée du Monde.
Grise la lumière
Venue de si loin
qu’elle n’a plus
la mémoire
de qui elle est.
Lumière amnésique
en quelque sorte.
Lumière pliée
au sein même
de son immobile vortex.
Rien, sur la Terre,
n’est bien assuré.
Tremblements de luciole.
Vacuité de diatomée.
Le glissement de
l’aile de l’oiseau
sous la soie lisse du Ciel
serait déjà pure effraction,
déchirement de ce qui va venir,
oblitération d’un silence
qui se veut silence et
nulle autre chose.
Merveille parmi
les Merveilles
que ce temps arrêté,
que ce suspens,
un fil attache l’âme
à ses illisibles amers.
Répétition de chaque
seconde devenant Éternité.
Grise griserie qui dit
le Tout de l’Homme,
le Tout de la Femme,
la beauté de l’union qui
les fait être plus
que ce qu’ils sont,
de purs événements déposés
à la lisière de quelque
limpide pensée.
Leurs yeux scintillent
d’être qui ils sont,
de simple Nomades
en chemin vers eux-mêmes,
la seule destination qui soit.
Gris le Ciel au tissage de l’heure.
Le Ciel se sait
en tant que Ciel
et vogue très haut,
inattentif à toutes choses.
Le Ciel est une Royauté.
Une vastitude à lui seul
dont nul regard ne pourrait
embrasser le dôme infini,
la courbe altière qui
ne connaît de limite.
Être Ciel, c’est être perdu
pour les Hommes, gagné à
l’immensité seulement.
Alors l’Homme-Ciron
baisse les yeux
en signe d’allégeance.
Alors l’Homme ploie
sous le faix de
l’Incommensurable.
Le Ciel est son hiéroglyphe,
le signe sous lequel il s’incline
et renonce à tout pouvoir,
à toute possession.
Noire la colline qui
descend vers la mer.
Mystérieuse telle la
profondeur de la Nuit.
Nocturne est la colline
dont nul, encore, n’a pu
déchiffrer les ténébreux
caractères.
Terre/Ciel, des
interrogations
pour les Existants
qui, à cette
heure immobile
du jour, sont,
au plus profond
d’eux-mêmes,
en leur essence,
Question de la Question.
Question, les Hommes,
de la Question du Néant,
de la Question de l’Être.
L’Eau. Illimitation de l’Eau.
Venue de si loin, partant si loin.
Eau dans la douce et inaperçue
mouvance du jour.
Grise-Blanche, l’Eau,
comme une hésitation à venir.
Elle vient au Présent,
mains pleines de dons et
se retire en son Passé
que nul Avenir, encore,
n’appelle à se manifester.
Eau lustrale, eau originelle.
Un baume pour la Terre.
Une purification
pour les Hommes.
Eau qui réverbère la
douce feuille du Ciel,
se pare de ses subtiles
transparences.
Eau qui bat, ici et là,
avance et se retire,
flux et reflux,
tout ceci pareil au
rythme du Temps,
à la généreuse
scansion de l’Amour,
à la valse à deux temps
de la Vie, de la Mort.
Balancement immémorial
qui est la mesure même de tout
ce qui vit et progresse
vers son Destin.
Eau inconnue en son être.
Eau porteuse de mystères.
Eau qui repousse et attire.
Eau de la fascination.
Eau de Narcisse.
Eau/Miroir en lequel chacun
croît reconnaître les lignes
de sa fortune ou bien
de son adversité.
Et l’air, l’air invisible
on le connaît à sa touche discrète,
pareil au baiser de l’Amante,
pareil au jeu subtil de l’enfant
qui effeuille la vie à gestes feutrés.
L’air est discrétion, l’air est silence
et cependant on le sent si proche,
tellement en nous,
un vent est passé
dont nous attendions
qu’il revienne,
lustre notre peau
d’une joie nouvelle.
Puis cet ilot, au loin,
qui dresse la herse
de ses rochers,
surgissement,
à l’horizon,
griffure qui dirait
la douleur
vacante des Hommes,
la longue attente
des Femmes
près de l’âtre
où le feu étincelle.
Gris
Blanc
Noir,
trois notes
viennent à nous
et leur modestie,
leur retrait,
nous placent face à
l’exténuante
beauté du Monde.
Exténuante, oui,
ne pas
la reconnaître
nous plongerait
dans notre propre
abîme.
Grise la lumière
Sa douceur
Sa pureté
Le Don
Qui nous
est fait,
L’Être
En sa
Venue.