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26 août 2023 6 26 /08 /août /2023 09:00
Tout n’est que par son contraire

Roadtrip Iberico…

Praia do Castelejo #02…

Portugal

 

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

   Ce qui, dans un premier geste du regard, toujours nous retient, le style d’une photographie, sa composition, le sujet qui y est représenté, mais surtout cette inimitable atmosphère qui s’en dégage, la tonalité au gré de laquelle elle est cette image-ci et non une autre, autrement dit sa singularité, son caractère propre. Depuis longtemps déjà, Hervé Baïs nous a habitués à une économie de moyens, parfois à un minimalisme se donnant sous la belle unité de la triade Noir/Blanc/Gris. Comme un lexique de l’origine qui nous dirait le Tout du Monde à l’aune du menu, du discret, souvent de l’inapparent. Et ceci est heureux et ceci doit se lire à l’encontre du bavardage polychrome qui vient à nous dans l’excès de son fourmillement. Cent fois déjà cette remarque a été faite et il convient d’y insister encore car le réel est têtu lequel, parfois, fait tache dans les yeux des Voyeurs.

   Car rien n’est plus précieux que de tirer de la confusion ambiante, seulement quelques lignes, seulement quelques traits, un lavis léger se donnant souvent telle l’inimitable présence dont il s’agit de rendre compte. Certes il existe des variations d’image, des traitements différents d’un contexte à un autre, ici des accentuations qui, là, s’estompaient sous un voile de brume et de blanche écume. Le réel est si contrasté que la façon d’en rendre compte doit s’accommoder de ces multiples variations, du peuple infini de ses formes. Or ce court article voudrait montrer que c’est bien plus l’intention du Photographe, son inclination personnelle à peindre ce qui vient à lui de telle et de telle manière, que tel détail, tel volume, telle ligne particulière qui constitueraient en leur massive présence la signification ultime de l’œuvre. Certes, parmi les Regardants, Untel préférera la venue de formes soulignées avec vigueur, alors que tel Autre se satisfera davantage de simples évocations, d’effleurements, de suggestions en lieu et place d’affirmations par trop évidentes.

    L’image que, ci-après, nous proposons de mettre en relation avec l’image-titre, voudrait souligner la multiple et complexe parution des choses à l’horizon du regard humain.

 

Tout n’est que par son contraire

Roadtrip Iberico…

Port Covo #02…

Portugal

 

 

   Ici, il devient vite évident que, si les motifs sont sensiblement identiques d’une photographie à l’autre, cependant le traitement de l’image diffère, bien évidemment en fonction du contenu du paysage et de l’heure de la prise de vue. Mais ces causes strictement contingentes doivent être dépassées afin de ne retenir que l’essentiel, à savoir l’être-de-l’image en ce qu’il pose en nous deux empreintes au contraste accentué. Telles deux narrations dont l’une, Praia do Castelejo, s’opposerait à l’autre, Port Covo, un peu comme la nuit s’oppose au jour, l’ombre à la lumière, le rugueux au lisse, le tragique au joyeux. Le Lecteur, la Lectrice entraînés à interpréter la sémantique de l’image, auront tôt fait de donner Port Covo telle une image aurorale, supposée symboliser quelque origine, Praia do Castelejo venant jouer en contrepoint la vision crépusculaire avant que tout ne soit repris dans les plis de la nuit, donc d’un possible néant. Et peu importe laquelle de ces photographies, dans le geste de prise de vue qui les a posées comme existantes, a été réalisée au levant ou au couchant, peut-être même au mi-temps du jour. C’est de symbolisme dont il est ici question, de significations internes gisant en filigrane dans les valeurs respectives des représentations.

   Aussi, maintenant, convient-il de juxtaposer ces deux déclinaisons du paysage afin d’y déceler, aussi bien les convergences, aussi bien les divergences. Ce qui est véritablement enthousiasmant, dans la tâche compréhensive de l’Humain, mettre en rapport ce qui vient à nous et nous met constamment en danger si les formes, demeurant occluses, se figent en elles, en un étrange mutisme qui n’a d’égal que le nôtre. Mutisme dont l’aspect exacerbé nous conduit tout droit dans le champ sans issue de l’aporie, tout comme les Protagonistes des dialogues platoniciens dits « socratiques » ne concluaient rien d’autre, à l’issue de longues et épuisantes méditations, qu’une question suivant une autre question et ainsi à l’infini d’une longue désespérance. Car rien n’est plus dommageable pour l’intellect que de se trouver devant un mur sans issue dont nulle autre réponse ne pourra être extraite qu’une impossibilité de se manifester autrement qu’à cette démesure d’un absurde en acte.

Tout n’est que par son contraire

                                        Praia do Castelejo                                   Port Covo

 

 

   Bien évidemment, le rapprochement, la juxtaposition des deux situations ne peut faire signe qu’en direction d’une dialectique, d’une confrontation des opposés, d’une polémique des contraires. Tout comme l’existence en ses joies et peines successives, en ses éclats de rires que suivent des larmes, en ses discordances successives, la photographie est le reflet de cette variabilité, de cette mobilité, de ces antagonismes, de ces tensions qui structurent le réel, le plus souvent, sans que nous n’y prêtions attention. Ce qu’il est important de saisir en son fond, c’est le fait que chaque photographie ne peut être ce qu’elle est qu’au motif de sa nature profonde. Praia de Castelejo n’est pas Port Covo, pas plus que l’inverse ne serait vrai. Ceci est une simple lapalissade. Ce qui doit nous questionner et le mode sous lequel ce questionnement doit exister, c’est simplement celui de

 

la Relation, du Passage, de l’Échange.

 

   Jamais une réalité ne se donne pour seule. Elle joue en écho avec la totalité du réel et ne prend sens qu’à être comprise, immergée dans ce large horizon des Choses du Monde.

   C’est étonnant ce rapprochement des deux images. C’est un peu comme si l’une se reflétait en miroir en l’autre. A ce ciel noir, à ce ciel d’illisible profondeur, à ce ciel tragique correspond, point par point, cet autre ciel si lisse, si haut, si clair, ce ciel de pure joie, d’entière transparence. Å une pesante finitude, viendraient s’accoter l’ouverture, l’effusion, la parole vive et nette si proche d’un chant sacré, d’une haute poésie, l’empire du Blanc venant tutoyer verticalement la désespérance du Noir. Aux nuages légers de Praia de Castelejo, un fin saupoudrage sans grande conséquence, vient se confronter un voile blanc qui faseye dans l’immense présence lumineuse de Port Covo.

 

Ici la joie naïve et éclatante de l’Enfance.

Là un suaire de haute perdition.

Ici le resplendissement d’une Fête,

 là l’affliction d’un Deuil.

 

   Puis l’histoire se poursuit, logique, implacable. Une ligne d’horizon pareille au trait appuyé d’un fusain, une autre ligne insouciante, rieuse, un destin s’anime des plus vives clartés. Mais il ne saurait y avoir que des différences, de violentes oppositions. Il y a aussi des prolongements, des affinités, des liaisons qui, pour n’être pas « dangereuses », n’apparaissent pas d’emblée au regard. Une sorte de dissimulation, d’échanges secrets, de rencontres intimes. L’immense plaque d’eau argentée de Port Covo trouve sa correspondance dans l’étendue Gris/Blanc de la plage de Praia de Castelejo. Comme s’il y avait une connivence cachée, la rencontre de deux Amants au large des regards des Curieux et des Importuns.

   C’est bien à l’ombre de cette réunion, de cette jonction que notre sentiment de la continuité des choses, de leur logique interne vient nous rassurer et nous tirer, parfois, de l’embarras de vivre. C’est heureux cette confluence, cette convergence naturelles, elles nous confortent dans notre propre sentiment d’unité même si, le plus souvent, l’existence nous tiraille et nous fait chuter de Charybde en Scylla. Oui, c’est vraiment rassurant, cela panse nos plaies, cela obture un peu les failles qui nous divisent et nous font parfois douter de l’utilité de figurer sue la vaste scène mondaine. Puis il y a ce dialogue de la surrection, ce chant tectonique infini, ce beau tellurisme en acte comme si, depuis le centre de la terre, quelque chose voulait se dire à la fragilité humaine, à son caractère friable, à son devenir limité.

 

Le basalte en sa haute présence dure.

L’Homme en sa fugace venue est

de l’ordre de l’instant, de l’éclair,

de la fulguration entre deux néants.

 

   Å Port Covo l’heure est encore native, le rocher émerge tout juste de l’eau. L’eau, tout autour, est lisse, parsemée de flocons de lumière, elle vient à elle dans la longue patience du jour. Elle parle, mais peu, dans le genre d’un enfant non encore bien assuré de son être. C’est intimidant la venue au Monde, cela nécessite une préparation, cela implique une propédeutique, cela exige un savoir. Certes, bien modeste en ses premiers essais, en ses balbutiements, mais ensuite il y faudra de l’application, de la rigueur, des vertus morales seront exigées afin que le surgissement en l’Être soit éthique et non seulement un acte accompli dans la distraction, l’égarement, l’intérêt moyen qui, sans doute, est le pire de tous. C’est bien là à une naissance que nous assistons et c’est l’art de la maïeutique qui sera convoqué. Comme si de bienveillantes Fées se penchaient sur le berceau liquide afin d’en extraire quelque quintessence en voie de devenir. Ici, il s’est agi d’une Image Primordiale, d’une Image fondatrice du sentiment d’exister, d’une Image-Source ontologique par laquelle les sorts des Existants trouvent le site de leur actualisation.

    En regard, l’image de Praia do Castelejo, est image adolescente, peut-être même silhouette de jeune adulte. Hissées, surgies du sable blanc, les roches sont comme inclinées sous la force du vent, à moins que ce ne soit la conséquence d’un implacable destin. Å l’évidence, il y a une fierté de la roche à s’élever, à se sentir envahie de l’intérieur de cette belle plénitude qui dit la présence illimitée des Choses, leur désir de croître et de s’affirmer partout où un espace est disponible, partout où une Beauté peut se montrer et se donner en tant que ce qui est à voir, laissant le ciel à son affliction noire, à la tristesse vacante qui en ralentit la marche en avant. Tout, ici, dit l’essentialité du Rocher, la plaine de sable blanc n’est rien, sauf, sans doute un support, un plateau à partir duquel prendre essor.

   Et la force de la confrontation des deux images, celle de Port Covo, cette à peine insistance, celle de Praia do Castelejo, cette pleine affirmation de Soi, la force donc est de nature dialectique, un jeu d’oppositions, de tensions s’établit dont chaque photographie tire la singularité de sa présence. Pouvoir mettre en relation, pouvoir organiser un passage d’une image à l’autre, voici qui suscite la pensée, implique la méditation, pousse au précieux de toute conceptualisation. Car demeurer muets devant de si belles images serait totale punition et ce serait alors la Beauté qui aurait été sacrifiée à notre désir impétueux, à notre hâte de boulotter image après image sans qu’aucune, vraiment, ne retienne notre attention,

 

ne nous fixe en cette irremplaçable

attention aux Choses,

 une eau de fontaine,

pure et transparente,

attend toujours d’étancher notre soif.

Il n’est que de porter nos lèvres

à la jarre jaillissante-fécondante !

 

 

 

 

 

 

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