"Sans titre", acrylique
et graphite sur papier préparé
Bieuzy 2016
Œuvre : Marcel Dupertuis
***
Tu me disais cette tache
Cette tache dans l’obscur
Cette illisible présence
Ce grenat presque éteint
Ce sang de bœuf caillé
Ce non retour à soi
Cette dolente mutité
*
Je te disais ce fond
Ce sans fond en réalité
Cet imprenable voile
Ce mastic dense
Ce refus de paraître
Cette terre glacée
Ce refuge du sol
En son silence premier
*
Tu me disais
La perte en croix
Du Rouge
Cette inconnaissance
La biffure du jour
Dont il témoignait
L’appel d’un deuil
Puis plus rien
*
Je te disais
L’ouverture infinie
Du Jaune
Le glissement hors de soi
La limite franchie
La diaspora de ce clair
Sa fuite toujours
Sa non-parole
Comme clôture
Comme absence
*
Tu me disais
Les couleurs orphelines
Leur confondante solitude
Leur troublante aliénation
Le Rouge en tant que demeure
Le Mastic en tant qu’eau morte
Chacune en sa désolation
Chacune en son destin
Chacune en sa finitude
*
Je te disais
Le Temps est infini
L’Espace trop ouvert
Je te disais
Nous ne sommes
Que du Rouge
Son étrange flamboiement
Nous ne sommes
Que du Jaune
Cette faible poussière
Sur le chemin du doute
*
Ensemble nous disions
L’impossibilité des Choses
La tournure affectée du Monde
La pliure de nos corps
Sous la morsure de l’heure
Peut-être n’étions-nous
Qu’une feuille de sang caillé
Qu’une terre infertile
Qu’aucun coutre
N’aurait connue
Qu’aucun archéologue
N’aurait fouillée
Juste des sédiments
Enfouis au creux de l’ombre
*
Tu me disais l’équivalence
Du Rouge et du Noir
Je te disais l’homonymie
Du Jaune et du Blanc
Tu me disais Rouge-Noir-Ombre
Je te disais Jaune-Blanc-Lumière
Ensemble nous disions
Le clignotement
La pulsation de l’univers
Son rythme inaperçu
Son agitation
Son être
*
Tu me disais le non-sens
Qu’il y avait
À ne voir les phénomènes
Qu’à l’intérieur de leur site
À les isoler
À les porter à l’extrême
De leur paradoxe
Rouge d’un côté
Jaune de l’autre
Et rien entre les deux
Qui les unirait
Les rassemblerait
En une unique parole
Une goutte fondatrice
Où les sceller
*
Je te disais
Le côté de l’Obscur
Le côté de Clair
Tout comme j’aurais dit
Le côté de chez Swann
Celui des aubépines
Où dorment les larmes
Le côté de Guermantes
Où brille le désir
Où étincelle
La pépite des mots
*
Tu me disais
De Guermantes à Swann
Du clair à l’obscur
S’inscrit la loi du tiret
Ce si beau clair-obscur
Qu’est tout langage
En sa promesse accompli
*
Je te disais tout est passage
Tout est mouvement
Tout est relation
Que métamorphose le réel
Tout est diastole-systole
Au cœur du Monde
Tout est allées et venues
Au désir des amants
Tout est nuit/jour
Dans l’aube qui se donne
Le crépuscule qui se retire
Tout est toujours déjà dit
Qui part du silence
Eclot dans le mot
*
Tu me disais
Le Rouge attend le Jaune
Le Jaune attend le Rouge
C’est de leur commune tension
Que naît le sens
Celui que l’œuvre nous confie
Celui en retour
Que nous lui attribuons
Du clair à l’obscur
De l’obscur au clair
Se disent toutes choses
En leur juste mesure
*
Je te disais
L’Unique est ceci
Qui se montre
Prenons-le en garde
Avant que la nuit n’arrive
Car alors le secret serait tel
Nous ne le verrions plus
Il n’y aurait
Qu’une plaine livide
A seulement y penser
Nous sommes
Hors de chez nous
Hors
*