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7 novembre 2015 6 07 /11 /novembre /2015 08:42

 

Ce que nous dit le monde…que nous n'entendons pas.

 

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Photographie : Blanc-Seing.

                                                                                                                                    

 

  Souvent, dans notre hâte à nous saisir des objets du monde, nous ne les rencontrons que par défaut, dans une manière d'inadéquation qui nous échappe. La nature est un objet de cette sorte, que toujours nous côtoyons, sans même l'apercevoir. Ainsi nous longeons le ruisseau, la rive, le bouquet d'arbres, la terre, le tapis de feuilles mortes à l'aune d'un simple égarement.

  Nous disons : "l'eau est bleue, transparente""les arbres ont un tronc lisse""les feuilles sont pareilles à l'argile". Nous disons cela par devoir, comme pour donner  assise aux choses et nous passons notre chemin. Ayant dit le bleu de l'eaule lisse des troncsl'aspect limoneux des feuilles nous pensons avoir tout dit de la nature, de ce qui nous fait face alors que nous n'avons fait qu'en effleurer l'essence, figeant cette dernière dans des prédicats définitifs. En réalité nous avons fait surgir des nervures, des lignes de force, des aimantations mais nous avons été privés de profondeur. La chair intime du monde jamais ne se laisse approcher de cette sorte. Il y faut plus d'attention, il y faut plus d'ouverture.

  Toujours les choses sont ombreuses dont nous ne voyons que les frondaisons, dont nous n'apercevons que la touffeur. Un peu comme si nous survolions la canopée. Alors, par les trouées ménagées parmi les cimes des arbres, nous percevons des fragments de terre ocellée, des fougères, des entrelacs de racines. Et aussitôt nous disons l'ocellele solla fougèrela racine, alors que nous aurions pu dire la marche lente du paresseux à trois doigtsles robes de feu de l'orang-outanla vibration des abeillesle vol stationnaire du colibriles membranes de cendre des chauves-sourisles noix de l'arbre castanharanas.

  Mais apercevoir tout ceci qui, habituellement, se dissimule en son énigme, nécessite une clairière, c'est-à-dire une éclaircie, c'est-à-dire un regard. N'aperçoivent les milliers de battements d'ailes du colibri, leurs plumages colorés, leurs becs effilés, les prunelles de jais de leurs yeux que ceux qui savent s'y disposer. Et ceux-ci , disons les "sages", ne parviennent à cela , regarder, qu'à pratiquer une césure dans leur expérience de la quotidienneté. Car le quotidien, l'habituel ont ceci de particulier qu'ils nous conduisent à un état proche de la cécité. Bien des formes de notre environnement quotidien ne s'enlèvent plus du fond sur lequel elles font phénomène. Combien ne sauraient dire si la fourche avec laquelle ils aèrent le foin dispose de trois ou de quatre brins.

  Et le ruisseau, comment nous parle-t-il ? Suffit-il de dire sa présence colorée, la subtilité de son flot, la pureté qui en émane naturellement pour avoir circonscrit sa nécessaire polysémie ? Mais, déjà, nous sentons bien qu'il y a une manière d'impossibilité à saisir les choses en leur simplicité, à les faire exister devant nous à la mesure de ce qui nous constitue le mieux, à savoir le langage. Ou bien nous disons le cristal de l'eau, sa fragilité ou bien nous dressons l'inventaire infini des ressources lexicales qui, pareillement aux gouttes, pullulent sans que nous soyons en mesure d'en arrêter l'inconcevable complexité. Ou bien nous nous taisons afin que les choses adviennent d'elles-mêmes, en dehors de notre jugement, de notre raison, de nos préjugés.

  Incroyable paradoxe auquel nous confronte toute esquisse formelle s'inscrivant à l'horizon de nos préoccupations : soit l'aphasie nous privant de parole, soit le bavardage entaché de curiosité, soit le mutisme dont notre essence même ne saurait faire l'expérience qu'à possiblement disparaître. Le bruissement du monde, l'ébruitement des choses, il nous faut bien l'admettre, prennent acte, croissent et se multiplient à notre insu quoi que nous proférions de la puissance de l'homme sur ce qui l'entoure et que, souvent, il ne fait qu'asservir afin d'asseoir son règne.

  A produire une seule thèse sur les ordres respectifs de l'humain et  de ce à quoi il se confronte, la nature particulièrement, osons le silence comme meilleure manière de dire et d'éprouver. Le ruisseaul'arbrela rive regardons-les dans une sorte de recueillement, et tant pis si nous versons dans un panthéisme facile. Laissons-leur, au moins, une chance de parler. Car, eux aussi, ont beaucoup à nous dire sur ce qu'ils sont, dans leur singularité, sur ce que nous sommes, nous, dans le rapport que nous entretenons avec ce qui fait phénomène sans que, parfois, nous en soyons avertis. Le vent fait-il son bruit de râpe lorsque les hommes dorment dans leurs cubes d'étoupe ? Nul ne le saura jamais.

  Ainsi toute parole doit-elle finir par se sceller afin que, seules, les intuitions se fassent jour, que l'instinct depuis son antre primitif, son abri originaire puisse s'éployer à la mesure du monde. L'occlusion du langage, en dernier ressort, devient la conque à partir de laquelle tout, en guise d'effusion, attend le moment opportun de son surgissement. C'est là, tout au bord de l'éclosion, que peut apparaître une forme de vérité. L'antéprédicatif, en attente du concept, des mots, laisse le champ libre à toute compréhension du monde, en constituant sans doute son poème le plus accompli, le plus exact. Seule une liberté pourra ôter le voile dont toute chose se revêt dès qu'elle se met à exister. Elle n'est cela qu'à vivre la tension préparatoire à son dépliement. C'est pourquoi nous avons tant de mal à démêler l'écheveau de la vérité-liberté. Tout dans une même perspective. Regarder librement le paysage, c'et lui conférer la vérité à laquelle il aspire afin de pouvoir adéquatement apparaître. Toute esthétique du regard présuppose une éthique qui la devance et concourt à son rayonnement. De cela nous devons prendre acte à défaut de demeurer sourd à ce qui vient à nous dans la simplicité.

 

 

 

                 

                                                                                                     

  

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