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13 novembre 2015 5 13 /11 /novembre /2015 08:42

 

D'une vérité qui voudrait se dire.

 

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Photographie : Yaman Ibrahim. Sur Facebook.

 

  Nous disons de cette photographie qu'elle est belle. Sans doute l'est-elle, mais encore faut-il savoir à partir de quoi une telle affirmation peut être formulée. La décrire consisterait déjà à en cerner quelques nervures signifiantes. Dire le visage pareil à une terre parcourue de profonds sillons, le dire en tant que cuir tanné par les ans, comme un bois antique dans lequel se seraient imprimés les signes du temps; le dire, en somme, métaphoriquement. Ceci serait une première tentative mais, de prime abord, nous sentons que cela ne suffit pas, que nous ne faisons qu'effleurer le problème, que nous demeurons en surface.

  Or, si nous ne souhaitons avoir recours à la métaphore - cette merveilleuse figure de rhétorique par laquelle la poésie prend souvent forme - , alors nous comprenons que cet Existant, nous ne pouvons davantage l'aborder à l'aune d'une icône, pas plus qu'à la mesure d'une idole. Car, à le considérer de cette manière, nous ne ferions que le reconduire à ce qu'il n'est pas. A savoir une image, fût-elle celle d'une nature transcendant le réel qui nous affecte quotidiennement.

  Une autre perspective consisterait à lui assigner quelque identité ou fonction sociale concourant à le déterminer. Et alors nous pourrions l'envisager sous les auspices du moine, de l'ascète, du pèlerin, peut-être même du chemineau longeant les sentiers du monde. Mais, ce faisant, nous le limiterions à quelque hypothétique silhouette, la condition humaine en comptant à foison.

  Tous ces essais successifs ne seraient, en leur fond, qu'une sorte de mise en scène, de fiction  dont notre imaginaire aurait bien voulu s'emparer. En réalité, cet Existant, nous l'aurions revêtu de quantité de masques, lesquels n'auraient résulté que de notre fantaisie. Cet Existant comme boule d'argile nous faisant face dans laquelle nous aurions imprimé les formes de notre propre subjectivité. Toutes les tentatives : des essais successifs d'interprétation. L'Existant considéré selon telle ou telle esquisse, selon notre propre vision des choses. L'interprétation, cette simple euphémisation de la compréhension. Tout visage nous faisant l'offrande de sa singulière épiphanie nous renvoie au devoir de compréhension. Ce qui veut simplement dire que l'Autre est à "comprendre", soit, étymologiquement formulé : "saisir avec". Mais que saisir et au moyen de quoi ? Mais simplement saisir l'essence de l'altérité au moyen de l'éclairement de notre conscience.

  Autant de temps nous persisterons à nous saisir de l'Autre selon ses qualités formelles - la géographie qu'il met à notre disposition -, autant de temps nous girerons dans l'orbe de l'esthétique, donc de la sensation, donc de ce qui apparaît comme l'illusion dont nous serons toujours les spectateurs distraits et, le plus souvent, satisfaits. Alors nous nous contenterons du masque - ce "faux visage" : à l'origine le mot italien "maschera" -, de l'apparence, peut-être même du faux-semblant, du maquillage, du simulacre.

  Or, ici, bien évidemment, nous sentons d'emblée que le propos du Photographe ne saurait trouver sa justification dans l'exposé d'une quelconque anecdote. Cette image va à l'essentiel, cette image outrepasse sa dimension strictement topologique, sa proposition spatio-temporelle. Elle fore bien plus loin, du côté des significations premières, des fondements. Elle nous interroge bien au-delà des habituelles vanités mondaines, des entrechats et des colifichets dont notre société contemporaine aime à s'entourer, des paysages en trompe l'œil, des pastiches et autres mirages qui ne nous donnent à voir que la fumée alors que nous souhaiterions observer le feu, ce qui l'anime et le rend tellement fascinant.

  Seulement le feu, pas plus que l'image, ne livreront leurs secrets à des regards s'appliquant seulement à ricocher sur la face brillante des choses. Constamment, il faut se livrer à une vue incisant la peau du réel. Le regard adéquat, par son exigence même, passe au-delà du miroir, pour ne retenir, de la quadrature de l'Existant, seulement le cercle, là où s'origine l'essence de la liberté humaine, puisque toute chose considérée comme telle se délie de ses prédicats réducteurs. Regardant cette image du Vieil homme avec exactitude - l'éthique ne porte pas d' autre nom - , nous ne faisons que le reconduire à son tremblement premier, à sa vibration ultime.

  "L'art est la mise en œuvre de la vérité.", nous disait le philosophe Heidegger dans "Chemins qui ne mènent nulle part".  Ce qui veut signifier que nous ne pouvons nous arrêter, considérant l'œuvre, à un abord perceptif réalisé dans l'immédiateté, lequel nous installerait dans la pure sensation et nous y laisserait. Il n' y est jamais question de considérations formelles, telles la couleur, le contraste, la composition, et, conséquemment, le sentiment esthétique. Ce qui nous est proposé dès que l'art est atteint, c'est ce cheminement en profondeur qui donne lieu à la vérité d'un monde. De telle manière se révèle à nous, est rendu visible ce qui, habituellement, se soustrait à l'entendement. A savoir l'événement à partir duquel signifie, sous les traits de l'homme, son essentielle humanité. Cette belle photographie de Yaman Ibahim nous y invite avec une sobre élégance. Car l'élégance, à défaut d'être une simple vitrine que nous présenterions au monde, est cet espace d'invisibilité qui nous habite tous et que, seule une exigence de vérité, peut mettre en exergue. Les plus belles cimaises sont celles qui, dans la discrétion, ouvrent cette dimension. Nous ne saurions nous y soustraire qu'à nous oublier nous-mêmes en nous confiant aux ombres tremblantes et illusoires de la caverne platonicienne. Il y a mieux pour qu'un site authentique soit assuré à notre condition mortelle : celle de sa propre remise à ce qui brille de mille feux, aussi bien dans les œuvres d'art, aussi bien au centre de l'éther et qui s'appelle indifféremment, chef-d'œuvreIdée du Bien. Hommes de raison, nous sommes appelés à connaître ce à quoi le sensible fait signe : l'être vrai qui transcende le réel et lui donne ses assises mondaines. Nous sommes tous, le sachant ou à notre insu, convoqués à une telle contemplation.

 

 

 

 

 

 

 

     

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