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19 décembre 2015 6 19 /12 /décembre /2015 08:44

 

Dune-Océan.

 

DUNE [1024x768] 

                                                                                        Photographie : Thierry Chiès.

 

  Il faut partir dès la chute du jour, marcher le long des sentiers de poussière, passer sous la vague verte des pins. L'instant est si calme alors que la Dune, privée de ses Passagers, se dispose à la nuit. Le sable, encore chaud, fait entendre ses craquements, ses grésillements de mica. A l'abri des monticules, derrière les cheveux hirsutes des oyats, les lézards font palpiter leurs goitres. La tache couleur de terre des lucanes se confond avec les premières ombres. Cheminements des fourmis pareils à une caravane de signes discrets, ponctuations bientôt illisibles. Quelques sternes glissent encore sous les nuages. Les boules blanches des goélands flottent au-dessus de l'eau. Puis le regard libre jusqu'au gonflement sans fin de l'horizon.

  C'est l'heure pleine, celle où les hommes fourbus rentrent au logis, où la Ville meurt dans ses dernières rumeurs. Celle qui convoque le corps à la longue dérive, dispose au grand large. L'Océan est une bulle d'encre infiniment dilatée, tendue sous le fil de l'horizon. Les vagues, un moutonnement qui s'éparpille là-bas, au loin, dans une brume de vapeur. On dirait le bout du monde, vision infinie au-delà de laquelle serait la pure poésie, le chant des sirènes, l'envoûtement distrayant de l'ennui. Liberté infinie, sans frontières, sans mots qui partagent les hommes, sans parchemin où s'écrivent les lois. Pure offrande de ce que le paysage étendu tient toujours en réserve. Les yeux la savent cette vérité d'une nature infinie, ce tremplin pour l'imaginaire, cet essor longtemps contenu qui ne demande qu'à s'éployer. Regarder avec l'œil de la conscience, approfondir avec celui de l'esprit, forer au loin avec l'âme du Peintre, tracer les cartes de l'utopie avec la main du Géographe.

  Bientôt, au-dessus du grand dôme liquide, les cataractes lourdes des nuages. Ventres dilatés à la densité du plomb. Mais rien de menaçant. Juste une parenthèse du jour afin que s'annonce la nuit. Maintenant, la Dune a confié son corps de baleine blanche au balancement du rivage. Flux, reflux, comme pour dire le grand mystère du nycthémère, la belle dialectique temporelle et le gris pour unir, médiatiser. Et la neige de sable sous la lumière assourdie des étoiles. Une pure félicité. La Ville est si loin avec ses maisons blanches coiffées d'ardoise, ses quartiers d'hiver, ses tonnelles où, au printemps, s'accrochent les grappes des glycines. Et les jupes en corolles aux terrasses parfumées d'iode, parcourues d'embruns éphémères. Seule la ligne des réverbères, la promenade de planches au-dessus de la lagune, les feux du port pareils à des photophores.

  Alors on s'allonge auprès d'un arbre écaillé, la tête appuyée sur le grand os blanc, face à l'immensité. Le Banc d'Arguin flotte parmi l'écume claire, entouré par les courants qui franchissent le goulet, gagnent les eaux plates  de la lagune. De hautes cabanes de planches, montées sur pilotis, pieux identiques aux bouchots, oscillent doucement dans le vent. Juste une brise marine chargée de sel, de guano, de varech. Le ciel fait girer ses constellations avec minutie. Le bruissement des astres est perceptible : un murmure de fond répercutant en écho les clameurs de la Ville, maintenant assoupies. Un faisceau balaie la côte de sa longue rainure couleur d'opale. Sans doute le feu de Cordouan ou bien, alors, quelque bateau fantôme faisant sa course imaginaire dans le sillage des étoiles. Le calme est alors si profond, étalé sur l'immense voile de la terre. La nuit avance avec son empreinte bleu-marine, des rêves accrochés à sa toile piquetée d'ombres légères. Le chant du monde est là, comme rassemblé dans une conque, on peut le toucher, en éprouver la soie, le battement subtil.

   Ainsi, confié à la Dune-Océan, on n'a plus d'attaches, on dérive longuement parmi les caps et les golfes, au milieu des cordons de sable, tout près des lacs matinaux où commencent à s'imprimer  les lueurs du jour. On étire son corps de salamandre, on essaie de se réchauffer à la première clarté, on longe la crête de la colline de sable. Les Passagers ne sont pas encore arrivés. Ils dérivent dans la brume dense du sommeil. La Ville fait tout juste entendre ses premiers craquements. Bientôt seront les bruits qui creuseront leurs  galeries dans  les lames d'air. Il sera temps, alors, de rentrer dans la chambre tiède des songes. L'Océan reprendra possession de la DuneEt l'homme de lui-même.  Jusqu'au prochain voyage. 

                                                                               

 

 

 

 

    

 

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