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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 15:41

 

Honnies soient qui mâles y pensent (21)   

 

  Cependant le sort de son épouse, dont le comportement paraissait fort équilibré et l’humeur réglée avec équanimité, dont la vie sociale s’épanouissait en de multiples occupations, ne le préoccupait à vrai dire qu’aux rares moments où il n’était point affairé à quelque activité et, bientôt, cette question ne se posa même plus, n’ayant, à ses yeux, aucun soubassement qui lui permît d’entretenir plus longtemps de si pusillanimes états d’âme.

  D’états d’âme, bientôt, il n’eut plus besoin pour peupler sa conscience morale, les circonstances l’ayant, un jour, de manière fortuite, conduit aux abords du boudoir, lieu réservé à l’intimité de son épouse, pour y quérir « Vénus dans le cloître », dont il souhaitait relire des extraits. Son entreprise, toute naturelle, ne recélait aucune intention particulière, si ce n’était de se replonger dans une lecture dont quelques détails lui échappaient et qu’il voulait à nouveau collecter dans l’unique but, non de fouetter ses phantasmes, mais de mieux percer la vie de Ninon, qui, telle la « Vénus » de l’Abbé du Prat, vivait, à sa façon, dans le « cloître » qu’avaient édifié autour d’elle, pour son plus grand bonheur, fallait-il croire, Grâce Nantercierre et Gaston Leglandu.

  Pour se rendre à l’autre extrémité du Manoir, le Comte eût pu emprunter couloirs et escaliers, mais il préféra, pour rejoindre le boudoir de son épouse, passer par l’extérieur, profitant de l’odeur des glycines en fleurs, le Docteur Charles d’Yvetot insistant pour que son patient mît à profit toutes les situations qu’il pourrait exploiter, afin d’offrir à ses alvéoles l’air pur qui convenait à leur apaisement.

  Seize heures sonnaient au clocher de Labastide Sainte-Engrâce, lorsque le Comte descendit l’escalier de sa Librairie, gagna le perron aux balustres de pierre, devant lesquelles étaient garées, face à la pièce d’eau, des voitures automobiles qui, rares en Sologne, lui permirent de deviner d’emblée l’identité de leurs propriétaires, toutes femmes de la bourgeoisie solognote, qui passaient le plus clair de leur temps à La Marline, en compagnie de la Comtesse, le long  d’interminables parties de bridge. Les véhicules, une Dedion-Bouton de couleur noire; une Panhard-Levassor à la carrosserie blanche; une Talbot-Lagot au long capot, étaient découvertes, leurs capotes rassemblées sur le coffre, lesquelles indiquaient, mieux que n’importe quel baromètre, la supposée persistance d’une journée radieuse et ensoleillée que Fénelon de Najac se promit de mettre à profit, dès qu’il aurait relu l’Abbé du Prat, pour monter l’alezan et aller chevaucher du côté de la Limeuille, jusqu’aux grandes forêts de bouleaux qui jouxtaient la propriété de son ami, Aristide de Fontille-Meyrieux, à qui il se promettait de rendre visite si, toutefois, ce cher homme n’était point occupé à sa charge notariale.

  Sur ces bonnes résolutions, il monta le majestueux escalier de pierre qui conduisait au boudoir où étaient réunies les bridgeuses. Parvenu au deuxième étage, le boudoir étant situé à l’étage au dessus, le Comte perçut des rires et des éclats de voix, témoignant du bonheur qu’avaient ces dames à se rencontrer pour une partie de cartes, autour d’une tasse de thé et de quelques biscuits confectionnés par le régisseur, Anselme Gindron en personne qui ne détestait pas, lorsqu’il en avait le loisir, mettre la main à la pâte.

  Arrivé sur le palier du dernier étage, Fénelon de Najac perçut, comme entremêlés aux bruits précédents, des sortes de soupirs, peut être des gémissements ou des plaintes qui, à défaut de l’intriguer, piquèrent sa curiosité au vif. Ne parvenant aucunement à les identifier, il fit halte près de la porte du boudoir qui était munie, en son milieu, d’un minuscule guichet qui faisait office de judas et qui se commandait de l’intérieur de la pièce. Quoiqu’il fût dans la nature du Comte de ne point être indiscret, les murmures s’amplifiant derechef, il esquissa un geste vers la jalousie afin de satisfaire une curiosité toute naturelle. Tout honnête homme, à sa place, eût cédé à la même impulsion. A son grand étonnement, la planchette de chêne n’était nullement verrouillée de l’intérieur et pivota sur elle-même, livrant à ses yeux une scène que sa raison, dans un premier temps eut du mal à cerner. Sa vision, s’habituant peu à peu à la lumière dorée qui tapissait le boudoir, parvint à accommoder sur les personnages présents dans la pièce. S’offrait à lui un tableau digne de la Renaissance italienne, pour sa facture générale et sa composition; digne des orgies romaines quant à son contenu et aux mouvements dionysiaques qui l’animaient. Le Comte, pour être en paix avec sa conscience, eût pu repousser discrètement le guichet, redescendre l’escalier de pierre, regagner les écuries où l’attendait la jument qu’Anselme Gindron avait sellée à son intention, et disperser aux quatre vents l’irréelle vision qui venait, tout en l’assaillant, de lui révéler les étranges mœurs du boudoir de La Marline de Clairvaux. Cependant il n’en fit rien et estima salutaire pour sa conscience de percer plus à fond la vie secrète de l’aile droite du Manoir.

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